Stefie Shock est de retour avec la perspective du battant évoluant depuis une décennie dans le milieu de la pop, et la fébrilité de celui qui ne prend pas son public pour acquis et veut le reconquérir. Très généreux en entrevue, le chanteur-musicien s’est entretenu avec nous de sa vision de l’industrie de la musique et, bien sûr, d’un quatrième album qui paraît après une pause de cinq ans, La mécanique de l’amour.

Il y a bien eu Tubes, remixes et prémonitions, une compil parue en 2009, mais on commençait sérieusement à se demander quand et sous quelle forme nous reviendrait Stefie Shock. « Des fois, développer des idées demande plus de temps, dit le chanteur au timbre grave et cuivré. J’ai besoin de me sentir inspiré, sinon ça ne vaut pas le coup. Et la compétition est forte aujourd’hui. Faire un disque est un long processus qui demande de l’énergie, certaines dispositions d’esprit, de l’inspiration. La première chanson qui m’est venue, “Bright Side of The Moon”, m’a crinqué. À partir de là, j’ai commencé à avoir les idées claires. Les bouts de paroles, les riffs, les amorces accumulés : tout s’est mis en place et ça n’a pas arrêté de l’été 2010. Faire un disque, c’est trop précieux à mes yeux pour que j’envisage de procéder autrement… Et tant pis si ça prend cinq ou dix ans. »

Dix ans ont passé depuis qu’un drôle de dandy gainsbourien est apparu dans le ciel de la pop québécoise en claironnant qu’il combattait « le spleen avec l’aspirine ». « J’ai commencé à écrire des chansons à vingt ans sur un coup de tête. Avant ça, je jouais de la batterie dans des groupes, mais je n’aimais pas cette dynamique-là, trop de monde prenait part aux décisions à mon goût. Et la batterie ne me suffisait plus, j’avais faim de plus. » Stefie Shock range alors ses baguettes, aiguise son crayon, puis entreprend de développer sa fibre et une signature vocale : « J’ai commencé par expérimenter avec les allitérations. J’avais remarqué que la contrainte me rendait créatif, et de fil en aiguille, j’ai défini ma façon de faire. Mais je trouve toujours ça aussi dur d’écrire les chansons, ça me donne mal aux jointures! Ensuite, je me suis trouvé une voix, parce qu’au départ je ne chantais pas dans le bon registre, comme la plupart des chanteurs qui débutent. À un moment donné, j’ai baissé d’une octave et c’est là que j’ai commencé à avoir de l’intérêt pour mes chansons. »

De Presque rien à La mécanique de l’amour en passant par Le Décor et Les vendredis, Stéphane Caron, 42 ans, a investi le territoire pop en progressant à sa façon. À chaque album, un nouvel instrument. Sur son dernier, paru au printemps dernier, les synthés sont à l’honneur, et entraînent l’auditeur vers des chansons carrément new waveuses. « C’est arrivé un peu par hasard. J’ai un ami – un wizz – qui s’occupe de l’entretien de mon ordinateur. C’est lui qui a installé les synthés dans mon ordi et soudain, je me suis retrouvé avec toutes ces nouvelles sonorités. Comme j’avais déjà commencé à m’amuser avec un vieux piano délicieusement désaccordé, j’étais déjà dans un “mood” clavier. Sur le disque précédent (Les vendredis), je m’étais entiché d’une guitare acoustique. L’instrument élu influence la composition des chansons. » Celui qui est aussi, depuis 2007, porte-parole de l’organisme Revivre (Association québécoise de soutien aux personnes souffrant de troubles anxieux, dépressifs ou bipolaires), se permet au passage quelques titres en anglais, dont « Middle of a Dream », coécrite avec Paul Cargnello, ainsi que deux reprises, « Dévaste-moi » de Brigitte Fontaine et « Zobi la mouche » des Négresses vertes, qui figurent toutes deux dans le palmarès des chansons-phares du chanteur. « J’ai voulu les mettre sur disque parce que j’ai senti que j’avais réussi à me les approprier. »

Au cours des dix dernières années, Stefie Shock a été un témoin privilégié des bouleversements de l’industrie de la musique. Petit bilan : « Quand je suis arrivé avec Presque rien, on était encore dans le modèle classique (compagnie de disque, producteur et contrat). Il n’était pas question de faire un disque soi-même et de le sortir sur sa propre étiquette, ou par Myspace et Bandcamp. Les réseaux sociaux n’existaient pas, la promo et la diffusion coûtaient cher et c’était difficile de contourner le moule imposé par l’industrie. Aujourd’hui, c’est possible de faire un disque avec peu d’argent. Mais si l’offre a grossi, la demande, elle demeure sensiblement la même. En 2000, quand je suis arrivé dans le milieu, ça se vendait encore, des albums. Mais entre Le Décor, paru en 2003, et mon troisième, Les vendredis (2006), quelque chose a bifurqué, les ventes de disques ont chuté et l’industrie a dû se réorienter. Durant cette décennie, j’ai vu ces transformations de très près. Le changement a été rapide et radical. »

Le vent a tourné. Ce fut brusque et subit. Rendez-vous dans dix ans pour voir où tout ça nous aura menés? Celui qui décortique si habilement la mécanique de l’amour n’a pas toutes les réponses pour celle de l’industrie musicale.