TiKA SimoneTiKA a tous les talents, celui d’être entrepreneure n’étant pas le moindre. Paru en février 2020 sur étiquette Next Door Records, son premier album Anywhere But Here l’a établie comme une incontournable voix de la nouvelle scène soul et r&b canadienne. En parallèle, l’autrice-compositrice-interprète a fait ses premiers pas dans l’univers de la musique à l’image et cofondé StereoVisual, une organisation à but non lucratif visant à favoriser l’intégration des musiciens noirs, autochtones et racisés (BIPOC) dans une industrie audiovisuelle qui ne leur accorde encore que peu d’espace pour s’exprimer.

Son plus récent dada? Les jetons non fongibles (non-fungible tokens, ou NFT en anglais). Il y a près de deux mois, Tika Simone et le rappeur Allan Kingdom ont mis aux enchères (via le protocole Etherium) une chanson, Yebo Life, dont le jeton s’est finalement envolé à 4.4ETH, l’équivalent d’un peu plus de 14 000 $CAN au moment de la transaction. Tika a depuis récidivé en offrant des jetons des chansons de son récent album – dans ce cas-ci, des éditions limitées des fichiers en format .wav, la musicienne conservant tous ses droits d’édition.

« Je suis très excité par le potentiel des jetons non fongibles », explique Tika, rejointe à Toronto où elle passe son temps lorsqu’elle n’est pas à Montréal. « Je trouve que ce concept est source de progrès, surtout pour des artistes mal servis par l’industrie de la musique. » Une manière, en somme, de générer de nouveaux revenus autonomes pour des artistes qui travaillent très souvent sans l’appui de structures ou de maisons de disques établies.

Ces revenus comptent pour beaucoup dans la démarche, reconnaît Tika, mais « c’est aussi un moyen de bâtir une communauté de fans autour de son projet. Une bonne partie de la démarche est de l’afficher sur les réseaux sociaux, donc d’avoir assez confiance en soi et en son travail pour le promouvoir activement. On peut vraiment construire une communauté, qui nous permettra ensuite de tirer des revenus plus stables; en ce moment, beaucoup d’artistes vivent des temps difficiles, parce qu’il nous était impossible de partir en tournée à cause de la pandémie. Je pense que les jetons non fongibles peuvent permettre aux artistes de joindre les deux bouts en cette période difficile. »

Période durant laquelle la musicienne a ajouté une corde à son arc : compositrice de musique à l’image. Coécrite avec Casey Manierka-Quaile pour le long métrage Learn to Swim de Thyrone Tommy, sa chanson And Then They Won’t est présentement en lice pour le prix de la Meilleure chanson originale aux prix de l’Académie canadienne du cinéma et de la télévision, qui seront décernés le 8 avril prochain.

« Composer pour le cinéma est une expérience plus intimiste, plus privée, que lorsque je le fais pour mes projets, abonde Tika. Il y a toute une différence entre composer une chanson pour moi et regarder un film, une scène, pour imaginer quelle musique pourrait bien l’accompagner, trouver quel type d’instrument convient à l’émotion, et c’est pour ça que le processus me paraît plus intuitif. Surtout qu’au moment de travailler sur ce projet, le réalisateur n’avait pas encore terminé son film. Donc, il nous a fallu beaucoup échanger à propos du message du film et des émotions que la chanson devait véhiculer. J’ai composé une chanson à partir de nos conversations; c’est comme canaliser l’énergie du réalisateur pour arriver à évoquer la musique qu’il imagine. »

Tika Simone a également pu mesurer les défis auxquels elle a du faire face pour prendre pied dans le monde de la musique à l’image – un monde, estime-t-elle, qui ne favorise pas l’intégration des personnes de couleurs, encore très minoritaires. C’est ainsi qu’elle a participé à la création de StereoVisual, organisme qui outille les minorités pour leur permettre d’accéder à l’industrie audiovisuelle.

« Ce projet est né d’un désir très fort d’aider cette industrie à changer », explique Tika, qui a bénéficié d’une formation dans le domaine de la composition de musique à l’image grâce à la Slaight Music Residency au Canadian Film Centre. « J’ai vécu là une super belle expérience, mais on me disait aussi des trucs comme : Tu sais Tika, si tu veux devenir compositrice de musique à l’image, tu dois apprendre à jouer d’un instrument à cordes. Soit, mais qu’en est-il alors de tous ceux qui n’ont pas eu les moyens ou la chance d’avoir une telle formation ? Pourquoi ceux-ci seraient-ils exclus de ce monde, d’autant que beaucoup de gens marginalisés n’ont pas accès à cette formation et doivent apprendre à composer avec des logiciels et leur ordinateur, parce que c’est tout ce qu’ils sont capables de s’offrir. C’est la question de l’accessibilité à cette formation qui suscite une conversation, car si on se fait dire que pour composer pour le cinéma on doit connaître la théorie musicale, ça exclut toute une catégorie d’artistes, très souvent des gens de couleur. »

C’est le chantier auquel s’attaquent les gens derrière StereoVisual, qui cherche à bâtir des ponts entre les musiciens issus des communautés culturelles et le milieu, « très blanc et très masculin » rappelle Tika, du cinéma et de la télévision. « C’est toute l’industrie du cinéma qui devra se transformer, et pas seulement le milieu de la musique à l’image », affirme Tika.