Article par Nicolas Tittley | jeudi 22 dcembre 2016
Malgré sa renommée grandissante, il ne serait pas injuste de qualifier le groupe The Brooks de « secret le mieux gardé de Montréal ».
Lancé par des musiciens renommés aux parcours éclectiques (au fil des ans les huit membres ont accompagné des artistes comme Yann Perreau, Fred Fortin, Yanick Rieu, Kroy et… Michael Jackson !), ce band aux racines soul et funk est en train de devenir un projet sérieux, dont l’identité musicale apporte un vent de fraîcheur sur la ville.
« Ça fait des années que Montréal est connu pour ses bands indie-folk-rock et pour tous ceux qui veulent un break, il y a The Brooks », lance en ricanant Alexandre Lapointe, bassiste et leader officieux de cette bande de joyeux drilles.
Le meilleur endroit pour découvrir les Brooks, c’est lors de l’une de leurs soirées de « soul therapy » au bar Dièze Onze. C’est dans ce petit club du Plateau Mont-Royal que le groupe est né et c’est là qu’il renaît chaque semaine, en jouant tous les mercredis soir devant un public survolté qui compte de plus en plus de fans. Le succès est tel qu’il a souvent été question de s’installer ailleurs, mais c’est dans l’intimité du Dièze Onze que The Brooks se sent le plus à l’aise. « Au départ, on s’installait pour une résidence de trois mois, en jammant avec des chanteurs différents, mais je pense qu’on a eu un peu trop de fun à faire ça parce qu’on va bientôt fêter nos trois ans ! », explique Alexandre.
La scène a aussi complètement transformé le projet d’origine, qui était plus modeste et plus anonyme. « On est tous des musiciens pigistes, occupés à plein de jobs différents et ce n’est pas toujours facile de se réunir », poursuit Alexandre. « Alors au départ, on pensait faire un trip de studio et se concentrer sur la musique instrumentale pour le cinéma (le groupe a notamment créé la bande originale des Maîtres du suspense de Stéphane Lapointe) ou pour les jeux vidéo. Même l’idée de faire un album n’était pas dans nos plans. » Mais les pièces du puzzle se sont mises en place progressivement. Le groupe s’est retrouvé sur scène et s’est mis à grandir, au point de compter huit musiciens aujourd’hui, incluant un personnage aussi groovy que charismatique, qui s’est naturellement installé derrière le micro.
Parmi les chanteurs avec lesquels The Brooks a partagé la scène à ses débuts au Dièze Onze se trouvait Alan Prater qui, en plus d’être un solide soliste, a déjà accompagné Michael Jackson à la trompette et au trombone. D’abord collaborateur, Alan est devenu un membre à part entière du band et il est une composante essentielle de leur plus récent disque, le très funky Pain and Bliss. Et même s’il a aussi collaboré avec les gars de Valaire sur leur dernier disque, Oobopopop, sa loyauté envers The Brooks est totale. « Au départ, Alan devait surtout collaborer en faisant des cuivres, mais il s’est plutôt mis à chanter des mélodies et ç’a tout de suite cliqué. Il nous apporte tellement, avec son énergie, ses histoires de la belle époque, mais aussi avec ses paroles, qui sont parfois très personnelles, explique Alex. Mama, par exemple, a été directement inspirée par sa mère. » Le thème de la maternité – très présent dans le quotidien du groupe, dont trois des membres sont devenus papas récemment – est d’ailleurs évoqué sur la pochette, qui montre une mère et son enfant. Le look de l’illustration rappelle certains albums afro-beat des années 1970, ce qui n’a rien d’étonnant, puisque The Brooks a fait appel à l’artiste nigérian Lemi Ghariokwu, qui a travaillé sur plusieurs pochettes de Fela Kuti, un artiste dont l’influence s’ajoute à celle des grands des labels Stax et Motown.
« Tu sais, on n’est pas qu’une gang de musiciens, on est aussi des chums mélomanes ; on se fait des soirées vinyle dans lesquels tout le monde apporte 2-3 disques et on passe des heures à se faire écouter de la musique », explique Alexandre. « Même si on travaille dans plusieurs styles différents, il n’y a jamais eu de conversation sur le genre de musique que nous allions faire ; on s’est mis à jammer entre nous et c’est ça qui est sorti, sans la moindre contrainte. »
Brad Rempel de High Valley: un créateur à la plage
Article par Nick Krewen | mercredi 4 janvier 2017
L’isolement peut comporter certains avantages.
Grandir dans la minuscule communauté mennonite de La Crete, Alberta, située à environ 250 km au sud de la frontière avec les Territoires du Nord-Ouest, signifie que Brad et Curtis Rempel n’ont pas connu le même degré d’exposition aux médias que la plupart d’entre nous.
Il est par exemple surprenant de découvrir quels genres musicaux les frères Rempel — professionnellement connus sous le nom High Valley — ne connaissaient pas.
« Avant de déménager à Nashville, nous n’avions jamais entendu parler de Michael Jackson », avoue Brad. « Jamais entendu parler de Led Zeppelin, de Nirvana, et de tous ces autres célèbres groupes que les gens tenaient pour acquis que nous connaissions. »
Pas de « Stairway to Heaven » ? Pas de « Billie Jean » ? Pas de « Smells Like Teen Spirit » ?
« Ricky Skaggs est l’un de trois seuls albums que nous avions le droit d’écouter dans notre jeunesse », expliquait Brad durant un récent exercice promotionnel à Toronto. « Nous n’avions ni radio ni télé : tout ce que nous avions, c’était de la musique bluegrass. On connaissait Ricky Skaggs, Del McCoury et Ralph Stanley, des trucs du genre. »
Ça rend les choses intéressantes, car si vous croyez entendre des échos de Mumford & Sons ou des Lumineers dans les joyeuses mélopées, les harmonies entraînantes et les rythmes endiablés de High Valley — et on pense ici à des pièces telles que « Young Forever » et « Dear Life » tirées de leur cinquième et plus récent opus du même nom — c’est que les Rempel affirment qu’ils étaient Mumford avant même que Mumford soit Mumford.
« Ça fait quinze ans que l’on fait ce qu’on fait, mais personne ne l’avait entendu avant », lance Brad. « En toute honnêteté, on a essayé de jouer notre musique pendant quelques années au Canada, mais on avait beaucoup de pression pour entrer dans un moule, on nous demandait d’écrire et d’enregistrer des musiques qui sonnaient comment du country formaté pour la radio. »
« Ça fait quinze ans que l’on fait ce qu’on fait, mais personne ne l’avait entendu avant » — Brad Rempel de High Valley
« Nous avons racheté notre contrat de disques il y a deux ans et demi et nous nous sommes finalement dit “OK, c’est le temps de faire ce que nous avons toujours fait”. C’est là qu’on a commencé à entendre des groupes comme Mumford & Sons, les Lumineers ou les Avett Brothers sur les radios pop, et j’ai passé un coup de fil à Curtis et je lui ai dit “Hé ! Ils font jouer du bluegrass à la radio pop. Je me demande si les radios country vont bientôt leur emboîter le pas”. »
« Alors on est retournés en studio et on a commencé à jouer la musique que nous avions toujours jouée. Si vous écoutez le disque que ma famille a enregistré en 1988, quand j’avais quatre ans — et deux des chansons étaient de moi —, ça ressemble beaucoup plus à ce que nous faisons maintenant qu’à tout ce que nous avons fait entre temps. Et c’est ça que nous aurions dû faire pendant tout ce temps. »
L’auditoire américain découvre à peine High Valley, grâce à un contrat que le duo a signé avec Atlantic/Warner Music Nashville et la chanson « Make You Mine » — enregistrée avec la participation de leur héros d’enfance Ricky Skaggs —, mais nos compatriotes savent écrire des « hits » depuis au moins 2007, à l’époque où ils formaient un trio en compagnie de leur autre frère, Bryan. Ils ont eu deux succès dans le Top 20 — « Love You for a Long Time », « Trying to Believe » — et un dans le Top 10, « Rescue You ».
Brad Rempel a également gagné le Prix SOCAN 2016 dans la catégorie country grâce à « Make You Mine », ainsi que quatre Prix #1 SOCAN pour avoir dominé le palmarès CMT Canada Countdown : en 2016 avec « Come On Down », coécrite en compagnie de Jared Crump (SESAC) et Frederick Wilhelm (BMI) ; deux fois en 2015 avec « Make You Mine » et « She’s with Me », toutes deux coécrites avec Seth Mosley (SESAC) et Ben Stennis (BMI) ; et en 2013 avec « Let it Be Me », coécrite avec Crump et Philip Barton (BMI).
Lorsque Bryan Rempel a quitté le groupe pour passer plus de temps avec sa famille, Brad et Curtis ont eu le champ libre pour retourner à leurs racines musicales. « On s’est dit qu’on préférait être les premiers dans cette lignée musicale de duo country familial que les 25es, mais ça n’a jamais été vraiment notre tasse de thé, même si nous avons tenté de nous en convaincre nous-mêmes pendant quelques années », explique Brad. « Notre musique porte naturellement sur la foi, la famille et l’agriculture, ce genre de chose, c’est ce qui me permet d’écrire des chansons “old school” avec le vocabulaire bluegrass. »
« Rescue You » est la chanson qui a vu une solide équipe de création musicale prendre forme : Brad, son pote Ben Stennis et le réalisateur nommé aux Grammys Seth Mosley, qui est également membre de Me in Motion, un groupe de rock chrétien. Ensemble, les trois hommes sont tellement à l’aise que leur processus créatif fait envie.
« Ben, sa femme et ses enfants, ma femme et nos enfants ainsi que Seth, sa femme et ses enfants nous rendons tous à la plage, plusieurs fois par an, à Pensacola Beach, en Floride », raconte Brad. « On écrit durant la journée, on fait un saut à la plage, on rentre, et on enregistre. Beaucoup des lignes chantées sur Dear Life, je les ai enregistrées alors que je les chantais pour la première fois dans notre maison de plage, micro en main. »
« On a écrit la chanson, je l’ai chantée, et c’est ce que l’on entend sur le disque. “Dear Life”, “Don’t Stop”, “Memory Making” et “Young Forever” ont toutes été enregistrées à la plage. On adore créer de cette façon. On adore enregistrer de cette façon. Aucune des chansons auxquelles j’ai participé sur ce disque n’a été écrite sur Music Row [à Nashville]. J’ai acheté cette vieille maison de campagne, alors on travaille soit là, soit chez Seth, à Franklin, au Tennessee, ou à la maison de plage. »
Brad décrit ce processus qu’il décrit comme ne connaissant aucune pression. « Nous avons un studio de fortune à la plage », explique-t-il. « Pour plusieurs des pièces sur l’album, Seth arrivait avec son ordinateur portable et nous disait “je veux tester mes capacités et n’utiliser que les fonctionnalités de base de Logic [un logiciel d’enregistrement]”. Pour certaines des chansons, je chantais carrément assis sur une chaise, le micro en main. On en a aussi enregistré au Castle, un endroit où Al Capone avait l’habitude de passer du temps quand il était au Tennessee. »
« Warner a été très cool », poursuit Brad. « On a signé avec Warner Atlantic et, soudainement, on avait un budget qui nous permettait d’enregistrer où on voulait, ce qui était hallucinant. Mais on a quand même préféré aller chez Seth, comme on l’avait fait pour County Line, l’album précédent. On est des mennonites près de nos sous. On n’a pas vraiment envie de changer quoi que ce soit. »
Quant au choix de sujets, Brad affirme être inspiré par la nostalgie. « Presque tout me rappelle mon enfance », confie-t-il. « C’est très important pour moi, pour mes enfants, que tout ce que nous ne faisions que des choses qui nous donneront de bons souvenirs. Je pourrais prendre l’avion et ne plus jamais les revoir. Comment se souviendront-ils de moi ? Je pense beaucoup trop à ce genre de choses. »
« Il y a une chanson qui s’intitule “Memory Making”, l’une de celles qu’on a enregistrées à la plage. C’est ma femme Rebekah qui a trouvé le titre de la pièce “Dear Life”. Je venais de rentrer à la maison et elle m’a dit “Nos enfants grandissent à vue d’œil, j’ai l’impression de m’accrocher à la vie.” Et je me suis dit “Ça, c’est un excellent titre de chanson”. On l’a gardée pour notre voyage à la plage suivant et j’en ai parlé aux gars, je l’ai écrite comme une page de mon journal intime. J’espère que tout l’album est comme un journal intime : voici les choses qui nous remplissent de gratitude, voici les choses qui nous effraient, et voici ce qui nous rend fiers. »
Avec le récent placement de « Young Forever » dans la franchise de jeu vidéo ultra populaire Madden 2017 ainsi que dans les télédiffusions de basketball universitaire sur ESPN, ainsi que l’arrivée de « Make You Mine » sur les palmarès country américains, la philosophie musicale de High Valley est comme un vent de fraîcheur.
« Les gens appellent ça de l’Americana, du folk, du Mumford, mais nous appelons ça du bluegrass, même si on a engagé un réalisateur très progressiste qui lui donne une “vibe” très 2016 », explique Brad. « Mais on y met tous les banjos, les mandolines et les autres instruments acoustiques qu’on peut. C’est comme un tir au poignet entre ces deux influences, c’est ce qui crée le “son” High Valley dont nous sommes si fiers. Une chose est sûre, c’est très différent de la radio country normale. »
Photo par Courtesy of Séan McCann
Des membres de la SOCAN veulent sensibiliser la population au sujet de la santé mentale
Article par Stuart Berman | jeudi 22 dcembre 2016
Une bouteille de scotch. Quatre bouteilles de vin. Quarante-huit bières. Pour la plupart d’entre nous, ce sont des provisions raisonnables pour un long week-end. Pour Séan McCann, c’était une journée comme les autres.
En tant que multi-instrumentiste pour le groupe Great Big Sea, McCann a joué un rôle intégral du succès de la musique endiablé de ce groupe pendant plus de 20 ans. Dans ce contexte, le précédent inventaire de boissons — sur son « rider » personnel, la liste des choses requises dans sa loge chaque jour — n’était rien d’autre que son outil de travail. Comme il le dit si bien, « ce groupe était le refuge parfait pour un alcoolique. »
Il y a cinq ans, à l’âge de 45 ans, McCann a canalisé toute sa volonté afin d’arrêter de boire et, peu de temps après, de quitter son groupe. « J’étais sobre pendant ma dernière tournée et ce fut brutal », se souvient-il. « Je crois que les autres membres du groupe s’attendaient à ce que j’échoue, car j’avais essayé d’arrêter avant, sans succès, et cet échec répété me déprimait de plus en plus à chaque fois. Ce n’était pas un endroit agréable. Mais voilà, je me suis dit “je veux survivre”. »
Après avoir quitté Great Big Sea, McCann a entrepris une autre tournée : hôpitaux psychiatriques, centre de désintox et conférences sur le bien-être où il transmettait un message à ses pairs dépendants : la musique peut guérir.
Toutefois, lors d’une conférence prononcée en 2014 à London, en Ontario, McCann a été forcé de prendre conscience que son alcoolisme n’était pas qu’un effet secondaire du fait d’être membre d’un groupe roots-rock endiablé. Lors de la période de questions d’une de ses conférences, une des personnes présentes s’est levée et a raconté que sa dépendance découlait d’une agression sexuelle par un coach de hockey mineur. Dans la foulée de cette confession, McCann a lui-même avoué publiquement — pour la première fois de sa vie — qu’il avait aussi été victime d’abus sexuels répétés par un prêtre avec qui il s’était lié d’amitié lorsqu’il était ado.
« Je vivais encore dans le déni par rapport à ça lorsque j’ai arrêté de boire, même si c’était la cause de mes problèmes », confie aujourd’hui McCann. « J’ai tout dévoilé sur mon passé et, ce jour-là, j’ai appris une leçon sans pareil, j’ai enlevé un poids considérable de sur mes épaules. »
Depuis cette prise de conscience, McCann a canalisé ses expériences pour en faire deux albums solo, le premier, Help Your Self, est paru en 2014, et le second The Sean McCann Song Book Vol. 1 : You Know I Love You, est paru en 2016, et tous deux mettent de l’avant une inspirante philosophie de développement personnel.
Ces deux modestes efforts autoproduits ont toutefois contribué à ouvrir le dialogue au sujet de la santé mentale au sein de l’industrie canadienne de la musique. Et ce dialogue réunit des voix très disparates, que ce soit Serena Ryder qui est porte-parole pour la campagne Cause pour la cause de Bell ou encore le travail de sensibilisation pour le compte de VICE effectué par Damian Abraham du groupe Fucked Up. De plus en plus d’artistes s’ouvrent et parlent de leurs combats avec la dépendance, l’anxiété ou la dépression dans l’espoir de faire changer les choses, que ce soit simplement que les autres personnes souffrant de ce genre de problème se sentent moins seules, ou encore en faisant pression auprès des gouvernements afin qu’ils revoient leurs approches respectives de la santé mentale.
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« Crazy. » « Crazy on You. » « Let’s Go Crazy. » « Crazy in Love. » L’histoire de la musique pop en est une où on célèbre la psychose en la décrivant en termes euphoriques et héroïques. Et cette licence artistique finit même par englober notre perception des artistes eux-mêmes : de Brian Wilson à Kanye West, nous glorifions l’excentricité en tant que corollaire inévitable du génie. Ainsi, lorsque de grandes vedettes s’effondrent en public, il est d’autant plus facile pour les psychiatres amateurs que nous devenons alors de simplement mettre ça sur le compte de la pression qui vient avec la gloire. Une fois notre « diagnostic » posé, nous nous contentons d’en observer les contrecoups, avec l’obligatoire bol de popcorn, lors des divers galas de remises de prix.
Mais pour le musicien moyen — qui n’a pas les moyens de se payer une cure de six mois dans un établissement privé haut de gamme —, les troubles de santé mentale ressemblent beaucoup plus à un enfer sur terre qu’à un épisode de télésérie dramatique : c’est un problème du quotidien qui menace leur subsistance même.
Tous les musiciens vous le diront : la tournée est une des façons de gagner sa vie les moins sécuritaires et les plus exténuantes. Elle recèle une pléthore de pièges et de facteurs extrêmement risqués — incertitude financière, heures de travail interminables, conditions de transport claustrophobes, routine d’une répétitivité ahurissante, mauvaise alimentation, solitude, mal du pays — qui peuvent être hautement dangereux pour les personnes prédisposées à l’anxiété ou à la dépendance. Les mesures de soutien qui existent en environnement de travail traditionnel — service des ressources humaines, counselling, arrêts de travail — n’existent tout simplement pas lorsque les 50 $ que vous avez gagnés au spectacle de ce soir ne suffiront peut-être pas à payer l’essence pour vous rendre au prochain spectacle.
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Vu de l’extérieur, tout semble indiquer que Carmen Elle a une vie de rêve. Son groupe électro pop DIANA a été propulsé à l’avant-scène en 2012 après que son premier simple — « Born Again » — a suscité beaucoup de « buzz » sur les blogues spécialisés et soit signé par des labels réputés (Paper Bag au Canada, Jagjaguwar aux États-Unis) pour lancer un premier album, Perpetual Surrender et partir en tournée sur le circuit des festivals.
Carmen Elle (of/de DIANA)
La plupart des artistes se seraient empressés de tirer un maximum de profit de cet erre d’aller en lançant un deuxième album. Mais Elle, elle, était terrorisée par cette perspective. Les tournées intensives de DIANA dans la foulée de l’album suivant, Perpetual Surrender, n’ont fait qu’exacerber son anxiété reliée aux déplacements, un problème avec lequel elle devait composer depuis sa plus tendre enfance. Chacun de leurs concerts devenait un test d’endurance : parviendrait-elle a finir le spectacle sans provoquer une crise de panique caractérisée.
« C’est beaucoup plus intense qu’avoir le trac ou avoir besoin d’un verre en se disant que tout ira mieux après », explique-telle au sujet de son anxiété reliée à la scène. « J’ai eu une crise de panique vraiment intense sur scène à Montréal, l’été dernier. J’ai complètement perdu la carte. Je fixais le panneau de sortie de secours sans arrêt, et j’étais à un cheveu de jeter ma guitare par terre et de m’enfuir en criant “Je vais vomir ! Je vais mourir !” »
DIANA vient tout juste de lancer un deuxième album, Familiar Touch, un disque qu’Elle « ne voulait vraiment pas sortir », par crainte des exigences promotionnelles qui allaient nécessairement suivre. « Je ne suis tout simplement pas faite pour la tournée comme d’autres le sont. Il a fallu que nous changions notre façon de communiquer, en tant que groupe. Auparavant, les autres membres du groupe me cachaient le plus de choses possible le plus longtemps possible dans l’espoir que je n’aurais simplement pas le choix de suivre. Cela les stressait au plus haut point de me parler de tournée, ce qui me stressait encore plus au sujet des tournées, et cela est devenu un cercle vicieux pour chacun de nous. Maintenant, je suis plus ouverte au sujet des choses que je crois ne pas être en mesure d’accomplir, et ils ont appris à l’accepter. »
Elle est également reconnaissante d’avoir des collègues qui savent désarmer ses crises d’anxiété à l’aide de judicieuses petites doses d’humour. Elle se remémore un voyage en Californie durant lequel elle était convaincue qu’elle souffrait du mal de l’altitude. Leur réaction ? Ils lui ont ri au nez. « Parfois, le fait qu’une personne attire votre attention sur l’absurdité de votre situation peut aider. »
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L’auteure-compositrice-interprète terre-neuvienne Amelia Curran est une autre artiste qui est la preuve que des petits pas peuvent parfois se transformer en immenses enjambées. Elle a été aux prises avec l’anxiété et la dépression pour la majeure partie de sa vie adulte et, dans son cas, « les solutions sont parfois si simples qu’elles en sont décevantes. Ça peut être un changement dans l’alimentation ou les habitudes de sommeil, voire surveiller son taux de glycémie, et ce sont des choses dont on perd totalement le contrôle lorsqu’un est en tournée si on n’use pas d’un minimum de discipline », confie-t-elle. « Le privé et le public s’empressent d’adopter des mesures de santé mentale en environnement de travail, et c’est merveilleux en entreprise. Mais il faut que les musiciens définissent leur environnement de travail, et ça devient très compliqué, même lorsqu’on n’a pas de problèmes de santé mentale. »
Amelia Curran
C’est pour cette raison qu’Amelia Curran est devenue partenaire du Fonds de bienfaisance Unison, un OSBL caritatif fondé en 2010 par deux vétérans de l’industrie, Jodie Ferneyhough et Catharine Saxberg, qui vient en aide aux membres de l’industrie, artistes et artisans, en leur offrant un service de counselling 24/7 par téléphone ou clavardage ainsi qu’une aide financière d’urgence financée par de nombreux partenaires importants, dont notamment la SOCAN. « La communauté musicale canadienne n’avait aucune ressource d’urgence vers qui se tourner », explique la directrice générale d’Unison au sujet de la genèse de son organisation. « Les musiciens sont des travailleurs : ils sont souvent sur la route et sont sensibles aux mêmes facteurs de stress que vous et moi. S’ils ont besoin d’un coup de pouce pour payer leur loyer ou leur épicerie, nous leur offrons une aide de courte durée pour qu’ils se remettent sur pied. »
De nombreux autres membres de la communauté artistique ont fait campagne au nom d’Unison, mais Amelia Curra s’implique bien au-delà de la sensibilisation de ses pairs. En 2014, elle et son ami et cinéaste Roger Maunder ont publié une vidéo mettant en vedette de nombreux Terre-Neuviens connus — dont McCann — ou pas afin de sensibiliser la population aux problèmes de santé mentale et aux stigmates qui les accompagnent trop souvent. Sa vidéo devenant virale, Curran a eu l’idée de lancer un site Web intitulé It’s Mental visant à faire pression sur le gouvernement de Terre-Neuve et Labrador afin qu’il réforme le système des soins de santé mentale de la province. « Ce sont des luttes qui existent depuis des décennies, nous voulons un minimum de service dans les régions rurales », dit-elle. « Nous ignorons ces communautés éloignées jusqu’au jour où quelque chose d’horrible se produit. »
C’est le genre d’effort qui lui aurait semblé impossible il y a à peine quelques années, alors que sa dépression était si sévère qu’elle était incapable d’accomplir quoi que ce soit pendant des mois et des mois. Accepter la maladie mentale est quelque chose de très intime et c’est pourquoi de nombreuses personnes préfèrent souffrir en silence plutôt que de faire face aux conséquences d’en parler, qui vont de l’isolement social à une aptitude au travail diminuée. Mais comme l’ont constaté Curran, McCann et Elle, le courage peut parfois devenir contagieux et transformer une affliction qui entraîne l’isolement en une cause commune. Et comme chacune de leurs histoires respectives le démontre, une conversation peut parfois être plus bénéfique que des médicaments.
« J’ai beaucoup parlé de dépression et d’anxiété », explique Amelia Curran, « et elles font partie de ma vie, et je compose avec elles du mieux que je peux. Même en ce moment, je sous-estime la valeur de ma propre expérience. Si ça peut toucher et aider d’autres gens, alors je n’ai aucune raison d’en avoir honte. »
Quant à son ami McCann, il propose une prescription encore plus succincte : « Un secret peut vous tuer. La seule façon de combattre un secret, c’est de le dévoiler. »