Au moment où la fierté de Grande Prairie, Alberta, fait ses débuts dans une maison de disque majeure en tant que prochaine superstar du country, les statistiques reflétant son succès continueront de s’accumuler. Il y a toutefois un chiffre qui aura plus d’importance que les autres pour Tenille Townes : 140. C’est le nombre de ses concitoyens qui ont nolisé un Boeing 737 afin de parcourir près de 4000 km pour assister à la première apparition de Townes au Grand Ole Opry, à Nashville, en 2018.

« Ma famille, mes amis et toute la communauté ont été indissociables de cette aventure depuis le début », explique Townes. « Ils ont été incroyablement encourageants et enthousiastes depuis mes débuts lorsque je chantais l’hymne national lors des parties de hockey à Grande Prairie. Ils disaient à la blague qu’un jour ils viendraient me voir chanter au Grand Ole Opry de Nashville. »

« Sauf que ce n’était pas une blague. Ils sont venus : 140 d’entre eux ont descendu l’escalier roulant de l’aéroport de Nashville. C’était le plus beau et le plus touchant des câlins qu’une ville entière pouvait me faire, et entrer dans ce cercle pour la toute première fois était sacré pour moi. C’est une chose que je n’oublierai jamais. »

Et un tel geste en dit tout aussi long sur Townes, qui a aujourd’hui 25 ans, qu’il en dit long sur sa communauté. Elle gravit actuellement les échelons des palmarès avec sa pièce « Somebody’s Daughter », son premier simple sur étiquette Columbia Nashville qui, au moment d’écrire ces lignes, avait déjà récolté 500 000 visionnements sur YouTube. C’est une chanson extraordinaire inspirée par une femme itinérante que Townes et sa mère ont vue tenant un panneau en carton près d’une sortie d’autoroute. Mais pour Townes, le périple pour arriver où elle est rendue aujourd’hui ne s’est pas fait du jour au lendemain.

D’abord connue simplement comme « Tenille » au début de sa carrière au Canada, Townes roule sa bosse depuis un bon moment, et son ambitieux sens de l’initiative l’a vue s’embarquer dans une tournée pancanadienne de 32 semaines intitulée Play It Forward (afin d’inspirer les jeunes à faire une différence) durant laquelle elle a jouée dans des centaines d’écoles secondaires presque d’un océan à l’autre (désolé, Terre-Neuve !) à l’autre, puisqu’elle s’est même rendue au Nunavut et dans les Territoires du Nord-Ouest.

À l’âge de 15 ans, Townes a lancé « Home Now », réalisé par Duane Steele, suivi par deux albums réalisés par Fred Mollin pour Royalty Records – Real (2011, pour lequel elle a été mise en nomination pour le prix de l’artiste de l’année aux Canadian Country Music Awards) et, en 2013, Light. Chez elle, à Grande Prairie — et ici encore, la communauté joue un rôle crucial — Townes a mis sur pied le spectacle-bénéfice Big Hearts for Big Kids qui vient en aide à The Sunrise House, un refuge pour les jeunes sans-abri. L’événement fêtera son 10e anniversaire cette année et il a, depuis sa création, récolté plus de 1,5 million pour la cause.

Avec son album Light sous le bras et 45 heures de route derrière elle, Townes s’est établie à Nashville en 2014.   Dès son arrivée, elle a fait connaissance de son voisin et compatriote David Kalmusky, copropriétaire des studios Addiction Sound en compagnie du claviériste de Journey, Jonathan Cain. Après que Townes ait pris quelques jours pour prendre le pouls de la ville, Kalmusky l’a prise sous son aile.

“Tenille m’arrivait sans cesse avec des chansons qui me donnaient la chair de poule.”—David Kalmusky

« David est devenu comme un grand frère pour moi et il m’invitait au studio », raconte Townes. « J’écrivais, j’explorais, j’avais le temps et l’espace pour approfondir ce que je souhaite que cette musique représente, qui je suis, et l’authenticité de ma voix. David a joué un rôle crucial dans cette première phase de développement de ce son. »

À mesure que Townes peaufinait son art au fil des quatre années suivantes, Kalmusky ne pouvait qu’être impressionné par sa patience et sa ténacité. « Je me souviens que les gens lui demandaient si elle se sentait frustrée par le fait que les choses ne bougeaient pas vite », raconte-t-il. « Les gens sentaient qu’elle était prête, et elle leur répondait “Il faut ce qu’il faut”. »

David Kamulsky

David Kalmusky

Et elle faisait ce qu’il faut, organisant constamment des réunions avec des auteurs, des éditeurs et des musiciens en plus de monter sur scène à toutes les occasions possibles.

« Je n’ai jamais rencontré une personne aussi travaillante et passionnée », confie Kalmusky, un vétéran qui a travaillé avec des artistes aussi variés que Journey, Vince Gill, Justin Bieber et The Road Hammers. « Je travaille depuis 32 ans, et il n’y a aucun autre artiste à qui j’ai dédié quatre années de ma vie, produisant 32 démos et 14 bandes maîtresses, en plus d’être leur porte-étendard. Tenille m’arrivait sans cesse avec des chansons qui me donnaient la chair de poule. »

Après cinq années passées à se faire les dents, la satisfaction s’est manifestée en un éclair grâce au plan de match du duo. « Nous avons acheminé les cinq dernières bandes maîtresses que nous avons complétées à des éditeurs afin qu’ils ciblent les dirigeants de l’industrie à Nashville », explique Kalmusky.

Townes avait par ailleurs trouvé un nouvel allié en la personne de Robert Filhart, alors directeur artistique pour ASCAP. « Robert et moi nous réunissions régulièrement et je lui faisais écouter mes nouvelles chansons et je lui demandais avec qui d’autre je pourrais collaborer à écrire d’autres chansons », se souvient Townes. Filhart s’est tourné vers Carla Wallace, copropriétaire de Big Yellow Dog Music, la maison d’édition de Meghan Trainor, Maren Morris et Daniel Tashian, entre autres.

Carla Wallace

Carla Wallace

« Il m’a envoyé un texto qui se lisait “Il faut que tu entendes cette fille” », raconte Wallace. « Je me souviens bien, quand j’ai reçu sa musique, il ne m’a fallu que deux phrases d’une chanson pour savoir qu’elle était très spéciale. Son phrasé, sa façon de chanter et son sens lyrique unique m’ont immédiatement captivé. » Big Yellow Dog n’était qu’une des trois offres provenant d’une maison d’édition que Townes a reçues la même semaine, mais c’est l’atmosphère de l’entreprise de Wallace que l’artiste a préféré. « Je sentais qu’ils me comprenaient vraiment », affirme Townes. « Ils m’ont entendu. Elle m’a demandé de revenir et nous avons commencé à travailler ensemble immédiatement. »

Au même moment, David Kalmusky a également contacté Jim Catino, le vice-président exécutif de Sony Music Nashville. « Quant à Sony, je tenais à ce qu’il se déplace, qu’il sorte de son bureau », raconte Kamulsky. « Je voulais qu’il vienne dans notre monde pour y entendre et voir Tenille dans un environnement où elle est à l’aise et où elle crée sa musique. Quand Jim s’est assis sur notre divan, elle avait déjà un contrat d’édition majeur avec Big Yellow Dog. »

Ce fut un coup de foudre pour Catino. « J’ai voulu lui offrir un contrat dès la première fois où je l’ai rencontrée », affirme Catino. « Son talent d’auteure-compositrice est si unique, et ses chansons sont authentiques et fidèles à sa personnalité. Et elle est unique en tant que chanteuse, également. Sa voix est vraiment unique et différente. Elle est incroyablement prolifique et ses paroles sont très profondes. C’est une part très importante du format de la musique country, cet art de raconter une histoire. »

Jim Catino

Jim Catino

Ils se sont rencontrés un vendredi, et le lundi elle offrait une prestation à Columbia Records Nashville qui a débouché sur un contrat. « Jim m’a téléphoné pendant le week-end pour me dire qu’il y avait une offre sur la table », se souvient Kalmusky.

Townes m’explique que sa famille a une tradition : lorsqu’il y a une bonne nouvelle à partager, elle s’achète de la crème glacée à Nashville et ses parents font de même à Grande Prairie et ils célèbrent au téléphone. « On a mangé beaucoup de crème glacée ce week-end-là », dit-elle en riant.

Alors que Townes travaillait à l’enregistrement des 12 chansons de son album produit par Jay Joyce, elle assurait la première partie de la tournée 2018 de Miranda Lambert/Little Big Town. Columbia n’a pas perdu une seconde et a lancé un EP de quatre pièces intitulé Living Room Worktapes. « On souhaitait offrir quelque chose aux fans », explique Catino. « On a profité de la tournée avec Miranda pour mousser “Somebody’s Daughter” à la radio. »

Catino est convaincu que « sky is the limit » pour Tenille Townes. « Elle sera une superstar », dit-il. « Je crois qu’elle peut devenir l’une des plus grandes vedettes de ce format. Elle a la personnalité. Elle a l’éthique professionnelle. Elle a l’identité. Les chansons, une voix et un chant puissants — elle possède tous les outils pour devenir une vedette incroyable. »

En attendant la parution de son album, Townes passe le temps en assurant la première partie de Dierks Bentley pour la portion nord-américaine de sa tournée, ainsi que pour au moins un spectacle de son idole Patty Griffin et quelques spectacles en Australie… et elle doit se pincer pour y croire.

« Ç’a vraiment été amusant jusqu’à maintenant », dit-elle. « J’en rêve depuis que je suis toute petite et c’est surréaliste de voir tous ces rêves se réaliser : “ce sera vraiment cool, un jour, de vivre à Nashville”, et “ce sera vraiment cool, un jour, d’écrire des chansons”, et “ce sera vraiment cool, un jour, d’entendre mes chansons à la radio”. Toutes ces choses se sont concrétisées pour moi et j’en suis incroyablement reconnaissante. »