Tegan and Sara

Lorsque l’on félicite Sara Quin d’avoir créé et lancé 8 albums à ce jour, elle rit. « Pour être franche, je n’en ai fait que la moitié. »

Bon, supposons que la plus jeune des sœurs jumelles n’est vraiment responsable que de la moitié de la production créative du duo, cela mérite tout de même d’être souligné. Plus d’un million d’albums vendus?; des prix JUNO, la liste courte du prix Polaris?; des nominations aux Grammys?; des enregistrements avec les papes de la dance music Tiësto et David Guetta?; partir en tournée avec Neil Young et monter sur scène avec Taylor Swift?; donner une prestation aux Oscars?; créer une chanson comme « Walking with A Ghost » — reprise par les White Stripes —, « Closer » – qui a été certifiée double-platine et la rutilante « Boyfriend », leur plus récent succès tiré récent album Love You to Death.

Lorsque Tegan and Sara ont commencé à se faire connaître sur la scène musicale de Calgary pour ensuite signer sur le label Vapor de Neil Young pour le lancement de leur premier album en 2000 (This Business of Art), la scène musicale canadienne en était taillé dans le « rock » tandis que les Our Lady Peace et autres Tea Party allaient bientôt laisser le champ libre au règne de Nickelback. C’est ainsi que la musique articulée autour de la guitare acoustique du groupe a été qualifiée d’indie puis d’alternative. Sauf que dès le début, Tegan et Sara faisaient de la pop. C’est simplement que c’est devenu évident ou fil du temps.

Love You to Death poursuit sur la lancée entamée en 2007 avec The Con, lancée qui est passée en mode turbo avec Heartthrob en 2013, complétant ainsi la transformation du groupe en véritable groupe synth pop Top 40. Et sans guitares, qui plus est.

« J’ai toujours trouvé très difficile de nous décrire », explique Sara. « On s’identifiait au indie rock pendant longtemps, mais je crois que ce n’était vrai que dans la mesure ou on jouait de la guitare et on était un peu underground. J’entends beaucoup de nos influences punk sur nos premiers albums. On composait dans un style très saccadé et tronqué : deux minutes et merci bonsoir. Plutôt agressif. Puis, à l’époque de So Jealous (2004), nous avons commencé à explorer les arrangements et les textures de notre musique et de nos voix. The Con est une extension de cette période. »

« Heartthrob n’a pas été une transition aussi importante pour nous qu’elle a pu l’être pour nos fans. »

« Nous ne sommes pas encarcanées par l’idée que nous ne pouvons pas essayer certaines choses parce que ça ne nous ressemblerait pas. On a l’avantage d’avoir des voix très particulières et ces voix ont un rythme, c’est notre signature. C’est pour ça que Heartthrob n’a pas été une transition aussi importante pour nous qu’elle a pu l’être pour nos fans. »

Et il s’avère que le moment n’aurait pu être plus opportun. Le Canada vibre aujourd’hui au son de la musique pop, avec les Justin Bieber, The Weeknd, Carly Rae Jepsen et Alessia Cara qui dominent les palmarès ici et ailleurs. La différence principale entre Tegan and Sara et leurs compatriotes de la planète pop est que côté création, elles travaillent presque exclusivement ensemble et non pas avec un rolodex complet de collaborateurs professionnels. [À l’exception notable de « Everything is Awesome », la chanson thème du Film Lego, chanson sur laquelle elles ne sont qu’artistes invitées.]

Au fil des ans, cet intense partenariat créatif a prouvé maintes fois sa touche magique, mais il a souvent été poussé dans ses derniers retranchements. À preuve, le nouveau simple « 100x » contient les paroles « I told you that I needed out/ And I couldn’t stay / Couldn’t stay here one more day » (librement : je t’ai dit que je voulais partir/que je ne pouvais rester/rester ici un jour de plus) et l’on serait porté à croire que c’est une autre chanson pop sur une relation amoureuse, mais en réalité elle raconte les innombrables fois où le duo a failli éclater en raison de directions musicales divergentes.

Sara explique qu’elles ne possèdent pas de pouvoirs télépathiques, mais que leur partenariat créatif a grandement bénéficié de la technologie, car celle-ci leur a permis de collaborer plus étroitement sans accroître la pression sur leur relation interpersonnelle.

« Le processus est de plus en plus aisé », explique-t-elle. « Des technologies telles que Logic nous permettent de peaufiner notre art sans avoir à dépendre des studios, et ce processus où on écrit et enregistre nous-mêmes avant d’aller en studio est réellement devenu confortable pour nous au cours de 8 ou 9 dernières années. »

« De plus, les ordinateurs nous offrent une certaine intimité. Nous n’avons jamais réellement réussi à être dans la même pièce pour créer ensemble. Maintenant, je peux écrire mes chansons, les travailler de mon côté, puis j’envoie les fichiers à Tegan, puis elle les ouvre et fait ses trucs avec, même si parfois ce n’est qu’un arrangement ou un peu d’édition. Nous collaborons beaucoup plus efficacement ainsi. »

« Pour moi, c’est un peu comme se farfouiller mutuellement dans le cerveau. Je peux voir sa façon de penser — les parties de la chanson qu’elle a créées en premier, par exemple. Puis je peux jouer avec ça sans heurter ses sentiments. Lorsque nous avons commencé et que nous devions exprimer ce que nous pensions, ça finissait souvent en conflit. Je crois vraiment que les ordinateurs nous permettent d’utiliser notre vraie langue, la musique. »

Il y a toutefois un « étranger » qui est toujours invité a participer à leur processus créatif : le producteur. La sélection de ce membre crucial de l’équipe Tegan and Sara a toujours répondu à un seul critère : ce producteur doit aussi être un musicien. Leur premier album avait été réalisé par l’auteur-compositeur torontois Hawksley Workman?; If It Was You (2002) et So Jealous le furent par Jon Collins (New Pornographers, Destroyer) et David Carswell (The Evaporators, The Smugglers)?; tandis que pour The Con et Sainthood — qui avait été inscrit sur la courte liste des finalistes pour le Prix Polaris —, elles avaient fait appel à Chris Walla (Death Cab for Cutie). Heartthrob a été confié à une équipe de producteurs incluant Rob Cavallo (Green Day, My Chemical Romance) et Greg Kurstin (Kelly Clarkston, P!nk, Sia), en plus de faire appel à Justin Meldal-Johnsen (Beck, Nine Inch Nails) et Mike Elizondo (Dr. Dre, Eminem). C’est toutefois Kurstin, un diplômé du conservatoire de jazz et cofondateur du groupe alt-rock des années 90 Geggy Tah, qui a été l’unique producteur de Love You to Death.

« Greg, c’est un génie », dit Sara. « Il est sans pareil, c’est un musicien phénoménal. »

C’est lui qui est derrière le méga succès d’Adele, « Hello », chanson qu’il a également coécrite. Sara est chanceuse qu’il l’ait rappelée, lui lance-t-on à la blague. « On était en studio avec lui, on travaillait par blocs de temps et je savais qu’il était à Londres pour travailler avec Adele », explique-t-elle. « Lorsque “Hello” est sortie, je lui ai demandé : “mais comment fais-tu pour donner toute ton attention à notre album alors que tu étais en train de travailler sur une chanson aussi immense et magnifique??” Mais c’est là que réside son talent. Il est incroyablement discipliné. »

C’est Kurstin, avec l’aide de Tegan, qui a convaincu Sara que sa chanson « Boyfriend » avait quelque chose de spécial. Elle est devenue le premier extrait de Love You to Death et c’est une parfaite pièce de pop estivale qui raconte comment on se sent lorsqu’un est en amour avec quelqu’un qui n’est pas prêt à sortir du garde-robe et à s’engager complètement. “Kiss me like your boyfriend/And trust me me like a very best friend,” chante-t-elle, “But I don’t want to be your secret anymore.” (Librement : Embrasse-moi comme ton petit ami/Et fais-moi confiance comme ta meilleure amie/J’en ai marre d’être ton petit secret)

« J’ai réécouté le démo l’autre jour », raconte-t-elle. « J’étais horrifiée?! Musicalement, ce n’est vraiment pas une de mes meilleures. Mais lorsque Tegan et Greg l’ont entendue, ils ont tous les deux dit que c’était une chanson pop et un simple. Je ne pensais même pas qu’on la garderait pour l’album. J’étais aussi très inquiète qu’elle soit trop convenue ou légère au niveau des paroles. Je savais que je voulais parler d’identité sexuelle, mais également des rôles que nous jouons dans nos relations sans égard à notre sexualité. Il y a donc un passage qui réfère au film The Crying Game et au jeu de la bouteille et des signaux que les gens perçoivent ou non. Bref, certaines personnes y liront un deuxième degré tandis que d’autres n’entendront qu’une chanson pop amusante. »

Aujourd’hui âgée de 35 ans et forte d’une carrière qui a plus de 15 ans, Sara n’a aucun doute sur la solidité de Tegan and Saraen tant qu’artistes et femmes d’affaires tout comme elle n’a aucun doute en sa capacité de traduire en musique ce qui se trouve dans sa tête et dans son cœur afin de le partager sur disque avec le monde entier.

« Quand je repense au passé, je regrette de m’être sentie aussi anxieuse pendant tant d’années », confie-t-elle. « Je n’étais pas sûre de moi. D’un autre côté, cela me donnait un petit côté vulnérable, j’imagine. Mais j’ai tellement gaspillé ma vingtaine?! Désormais, je dis haut et fort ce que je veux, qui je suis, et ce dont j’ai besoin, et toute circonstance. Et je sais exactement comment obtenir ce que je veux. »