The Motorleague

Malgré les incessantes tournées du groupe au cours de la dernière décennie, The Motorleague est généralement demeuré sous le radar des grands médias. Mais grâce au succès de leur plus récent simple, « All The Words », sur les radios rock canadiennes, cette anonymité semble sur le point de disparaître. Et cette soudaine popularité a donné envie aux rockeurs de la côte est de retourner à leurs racines.

« Nous avions un son beaucoup plus punk et cru à nos débuts », raconte le chanteur et guitariste Don Levandier. « Tout ce qui nous intéressait, c’était de voir du pays et de jouer dans les salles dont nous avions entendu parler jusque sur la côte est. À force de partir en tournée et d’être jumelés à d’autres groupes de tous les genres, notre énergie punk s’est graduellement effritée. Nous voulions travailler à fond sur notre image de groupe qui n’a pas honte de ses origines ou qui serait timide de jouer en compagnie d’un groupe d’envergure nationale. »

Leur dernière parution, Holding Patterns, qui suit Acknowledge, Acknowledge (2013), a permis au quatuor de Moncton d’atteindre ce but, tout en continuant d’avoir un son rock déjanté avec de gros « riffs » et une attitude punk qui est au cœur même du groupe et de son parcours musical. Holding Patterns capte l’énergie et l’enthousiasme des concerts du groupe. Outre Levandier, le groupe est composé du bassiste Shawn Chiasson, du guitariste Nathan Jones et du batteur Francis Landry. Du propre aveu de Levandier, la mélodie ou le « riff » de guitare demeurent toujours sa principale muse.

« Les accords et la structure de la chanson viennent toujours plus tard dans le processus et sont généralement très flexibles », poursuit-il. « La mélodie vocale ou le “hook” de guitare est toujours le point de départ. Souvent, un mélodie vocale ou une idée de “riff” s’incrustent dans votre subconscient jusqu’à ce que vous vous surpreniez à la fredonner pour ensuite partir à la recherche d’un instrument pour en explorer les accords et déterminer si elle a du potentiel. Je rêve souvent à des chansons, je nous vois en train de la répéter, et dès que je me réveille, je la note sur papier. »

Maddison Krebs

L’auteure-compositrice-interprète Maddison Krebs a toute les raisons du monde de dire que 2016 a été une véritable tornade. La jeune albertaine de 19 ans a entamé l’année en lançant son deuxième album, Bull’s Eye. Le premier simple tiré de l’album, « Pink Roses », lui a valu trois nominations aux Alberta Country Music Award dans les catégories meilleure artiste féminine, meilleure chanson et meilleur vidéoclip de l’année. Puis, en septembre, alors qu’elle se préparait pour un premier voyage à Nashville, elle a été mise sous contrat dans le programme de développement artistique red dot de l’éditeur ole dans la foulée de sa victoire de la deuxième édition du concours « On The Spot » qui avait lieu durant la Country Music Week.

« C’est tout simplement fou ! », s’exclame-t-elle au sujet de l’année qui s’achève. « C’est vraiment génial la manière dont tout s’est passé et je suis très excitée par tout ce que l’an prochain a en réserve pour moi. »

Le grand public a découvert Krebs il y a deux ans alors que son premier album, Your True Love, a été mis en nomination par l’Association of Country Music in Alberta comme meilleur album de 2014. Ce que 2017 lui réserve est encore incertain, mais elle sait hors de tout doute qu’il y aura beaucoup de chansons. Elle planche actuellement sur un nouveau EP à Nashville, où elle met les bouchées doubles en compagnie de nombreux collaborateurs.

Krebs affirme que c’est son arrière-grand-mère qui est sa principale influence artistique. « Mon arrière-grand-mère m’a fait découvrir les disques vinyle », confie la jeune artiste. « Elle m’a fait découvrir plein de classiques que j’ai appris à apprécier dès mon plus jeune âge. »

Lorsqu’elle repense à sa production de l’année qui s’achève, quelques chansons la rendent particulièrement fière : « Midnight Slow Dancing » et « A Little More Nerve ». La première est une ballade déchirante et « douce, qui parle d’une peine d’amour. » La seconde est une chanson qui incite à être soi-même et à ne pas changer — un thème qui revient fréquemment dans les chansons de Krebs. « Il y a en effet presque toujours un message d’émancipation et de pouvoir », avoue-t-elle.
Sebell

Barde nomade et énigme musicale qui collabore avec à peu près tout le monde, l’étoile de Sebell est désormais en pleine ascension. La seule question est avec qui collaborera-t-il ensuite ? Originaire de Salmon Arm, en Colombie-Britannique, il a collaboré avec des artistes aussi variés que Banners, Shawn Hook, Chord Oversreet (de Glee), Stephen Kozmeniuk (Madonna, Kendrick Lamar), Jimmy Harry et Reuben and the Dark, uniquement au cours de la dernière année.

Ces jours-ci, l’auteur-compositeur de 32 ans partage son temps entre Los Angeles, Nashville et Toronto. Sebell, dont le véritable nom est Greg Sczebel, n’est pas un inconnu des prix et distinctions : il est lauréat d’un prix JUNO et a gagné le WorldWide Song Contest de Billboard ainsi que le John Lennon Songwriting Contest, et deux fois plutôt qu’une. Plus récemment, il a coécrit le « hit » du Top 10 country de Paul Brandt, « I’m an Open Road ». Son simple « Till the Sun Burns Out », paru sous son propre nom de scène, s’est rendu en 6e position du palmarès Canadian Artist de Billboard et en 15e position du Top 40 canadien.

Alors, quel est le secret du succès de Sebell ? A-t-il des conseils pour les jeunes auteurs-compositeurs ?

« Écrivez, écrivez, écrivez. », dit-il simplement. « Écrivez avec des gens qui sont complètement différents de vous. Écrivez avec des gens qui sont exactement comme vous. Écrivez avec des vétérans et des débutants. Lancez-vous des défis et ne vous limitez pas. Une carrière d’artiste et d’auteur compositeur peut être de très longue haleine, mais si vous prenez le temps de développer vos aptitudes, ça peut devenir très payant. »



Avec toutes les prometteuses sorties d’albums annoncées dans les premiers mois de 2016, le hip-hop québécois ne pouvait que connaître une année exceptionnelle. À bien des égards, l’engouement pour le genre musical a même dépassé les attentes. Retour sur les avancées substantielles de cette scène historiquement marginalisée et aperçu des défis qui attendent maintenant ses artisans.

« Le hip-hop québécois, franco ou franglo, C’EST notre plus puissant mouvement pop de la période actuelle. N’en déplaise aux autres tendances (…), le hip-hop local génère le plus grand intérêt auprès des jeunes francophones, il faut se rendre à l’évidence », clamait le journaliste Alain Brunet sur son blogue en novembre dernier.

Souvent lu ou entendu dans les dernières années, ce genre de constat gagnait en crédibilité à travers la plume du journaliste émérite de La Presse. On y confirmait qu’au-delà de ses honorables chiffres d’assistance et de ventes, le hip-hop d’ici n’était plus confiné à exister en marge de l’industrie musicale, mais pouvait plus que jamais espérer rayonner au sein même de celle-ci.

Steve Jolin

Steve Jolin, Disques 7ième Ciel

« Le rap a pris la place qui lui revenait en 2016. Ça a été une année assez déterminante pour l’évolution de notre scène », considère Carlos Munoz, directeur de l’étiquette Silence d’or, qui représente notamment Shash’U et Rymz.

Aux premières loges de la scène rap d’ici depuis 2003, année de la fondation de son étiquette 7ieme Ciel, Steve Jolin dresse lui aussi un excellent bilan des derniers mois : « Il y a eu de très belles années par le passé, mais on était beaucoup plus ignorés. Cette fois, les médias de masse ont démontré une belle ouverture. En fait, le rap dominait tellement à plein de niveaux qu’ils ne pouvaient plus passer à côté. »

Les bons coups ont effectivement été nombreux pour le hip-hop en 2016. En termes de ventes d’albums, plusieurs artistes comme Dead Obies, Rymz, Souldia et Koriass ont dépassé le cap des 5 000 exemplaires. À cela s’ajoutent les succès d’Alaclair Ensemble, KNLO, Brown, Loud Lary Ajust et Rednext Level, qui ont enchaîné les spectacles partout en province pendant une bonne partie de l’année, ainsi que les tours de force d’Enima, T.K et plusieurs autres, qui ont accumulé les dizaines de milliers de vues sur leur chaine YouTube. N’oublions pas non plus l’engouement international pour le producteur longueuillois Kaytranada, premier récipiendaire hip-hop de l’histoire du prestigieux prix Polaris.

Présenté en juin, le spectacle d’ouverture extérieur des Francofolies de Montréal a probablement été l’évènement hip-hop québécois de la décennie (voir photo principale). Pour la toute première fois, c’est exclusivement à des groupes rap d’ici que Laurent Saulnier et son équipe de programmation ont fait appel pour lancer leur festival.

Koriass, Tout le monde en parle

Koriass, Tout le monde en parle

« Ça a été un feu roulant », admet Carlos Munoz, après s’être rappelé les moments forts de l’année. « Autrement, je crois que la présence de Koriass et Dead Obies à Tout le monde en parle a beaucoup aidé. La plupart des gens de l’industrie musicale regardent cette émission-là, alors ça crée un éveil général sur le rap. Aux yeux de beaucoup de téléspectateurs, la bibitte rap sortait de l’ombre. »

De passage sur le plateau de Guy A. Lepage en février dernier, Koriass reconnait les bénéfices que l’émission a pu avoir sur sa carrière, même s’il juge y avoir été invité en premier lieu pour ses prises de position féministes. « Si ça prend ça pour que le grand public s’ouvre au rap, je trouve ça positif. De ce que j’observe, il y a beaucoup de gens qui sont venus me voir en show une première fois après avoir entendu mes opinions », constate-t-il.

Même s’il est conscient des toutes ces avancées significatives, le cofondateur de Bonsound, Jean-Christian Aubry, se fait un peu plus critique. Selon lui, le rap n’est pas près d’atteindre les portes du courant musical dominant au Québec. « On est très loin de là. On vit encore dans un marché dominé par la musique franco pop de bonne famille », estime celui qui compte dans ses rangs des artistes de tout acabit comme Safia Nolin, DJ Champion et Dead Obies. « Même avec un phénomène comme Malajube à l’époque, on avait uniquement fait des petites brèches dans le mainstream, sans plus. »

Streaming et radios

Devant cette soi-disant absence d’ouverture, l’étiquette montréalaise s’assure une forte présence en ligne, en accueillant à bras ouverts les plateformes d’écoute en continu. Sur Spotify, le deuxième album de DO, Gesamtkunstwerk, a fait très bonne figure en 2016, notamment en raison de l’inclusion de la chanson Where They @ sur une populaire liste de lecture provenant de France. « On a eu plus de succès cette année grâce à ça », remarque le directeur de l’étiquette. « Ça fait un certain temps qu’on apprend comment fonctionne la machine au lieu d’en avoir peur. Éventuellement, quand ça va devenir payant, on va déjà savoir comment maximiser les revenus pour nos artistes. »

Chez 7ieme Ciel et Silence d’or, la méthode a été différente. Pour éviter de perdre des ventes, les deux étiquettes y sont allées « au cas par cas », en refusant de rendre instantanément disponibles les albums de leurs artistes établis (Koriass, Rymz) sur les principales plateformes de streaming.

Ainsi, Love Suprême de Koriass a mis plus de huit mois avant d’arriver sur Spotify. « Dans ce cas-là, je savais que les fans attendaient l’album et j’étais conscient qu’une vente sur iTunes à 10 ou 12 piasses, ça équivalait à plusieurs dizaines de milliers d’écoutes, avance Steve Jolin. Mais bon, quand je vois que l’album de Dead Obies est allé tout de suite sur les plateformes et qu’il a quand même généré beaucoup de ventes, je repense à ma décision… J’ai jamais été à fond dans le streaming, mais de plus en plus, je me rends compte qu’il faut travailler ça. »

Cette année, le fondateur de 7ieme Ciel a également mis beaucoup d’efforts à tenter de percer le mystère d’un autre réseau de diffusion : la radio. Sans avoir été vains, ses essais n’ont pas été fort concluants. « À partir du moment où c’est du rap, c’est très difficile d’entrer en rotation », déplore-t-il. « Pourtant, quand je regarde les palmarès en France et aux États-Unis, le rap domine, alors qu’ici, Koriass a beau avoir vendu 12 000 albums et se faire inviter sur tous les plateaux, la plupart des radios refusent de jouer ses chansons. »

Récemment, le rappeur eustachois a toutefois vu sa chanson Plus haut entrer en rotation forte à NRJ. Absente de Love Suprême, la pièce a été écrite pour un groupe de jeunes enfants dans le cadre des Journées de la culture. « C’est une toune très lumineuse et consensuelle, sans anglicismes ni sacres. Je crois que les radios sont frileuses d’aller ailleurs que ça », explique Koriass. « L’affaire, c’est que les programmateurs ont un grand pouvoir décisif sur les artistes qui vont vivre de leur musique. C’est pour ça qu’il y a beaucoup de faux buzz ou, en d’autres termes, des artistes qui gagnent leur vie avec des redevances radio, mais qui ne remplissent pas leurs salles. Pendant ce temps-là, plusieurs rappeurs québécois font des shows à guichets fermés et peinent à vivre de leur musique. »

Pour Carlos Munoz, la radio commerciale dans sa forme actuelle n’a rien de très stimulant : « Ça ne m’intéresse pas d’entendre un de mes artistes entre une toune de Taylor Swift et des Cowboys Frigants. » Voulant à tout prix éviter le compromis radio, qui encourage « les chansons à l’eau de rose », le directeur de Silence d’or voit plus loin et rêve du jour où « une radio à saveur urbaine » prendra d’assaut les ondes FM.

Steve Jolin caresse d’ailleurs le même idéal : « J’ai même déjà été rencontrer des hauts dirigeants de grosses compagnies à ce sujet, et ils m’ont répondu que le marché des radios était déjà très segmenté. En gros, j’avais affaire à des boss qui ne connaissaient pas le rap et qui n’en avaient un peu rien à foutre. Moi, je suis convaincu qu’une très grande partie des jeunes de 25-30 ans qui embarquent dans leur char seraient intéressés à écouter un poste strictement rap. »

2017, année de défis

En attendant ce moment qui reste de l’ordre du fantasme, le directeur de 7ieme Ciel se fait plutôt optimiste. 2017 s’annonce riche en défis, et l’entrepreneur veut tout mettre en place pour les surmonter. Dans les prochains mois, il accompagnera d’ailleurs Koriass pour une autre mini-tournée en France. « C’est un marché difficile à percer pour la simple et bonne raison que le rap, c’est une musique très territoriale et identitaire. On fait de beaux progrès là-bas, mais on n’a pas d’attentes démesurées. On veut juste que les Français comprennent que le rap québécois, ça peut être autre chose que le Roi Heenok », blague-t-il.

Dead Obies

Dead Obies

Carlos Munoz tentera lui aussi une incursion française avec Rymz en 2017 : « On constate qu’il y a un petit intérêt parce que 6% de nos ventes digitales proviennent de la francophonie européenne. La France est un pays assez chauvin en matière de culture, alors il faut arriver en force avec quelque chose qui peut surprendre. »

C’est précisément ce qu’a fait Dead Obies lors de son dernier passage dans l’Hexagone. Deux ans après avoir attiré l’attention de la presse française généraliste (notamment Liberation), le sextuor a refait plusieurs spectacles cet automne et a réussi à s’immiscer dans quelques médias plus spécialisés, comme le magazine hip-hop Grünt. « La prochaine fois qu’on y retourne, on va être capables de faire un bon headline », prévoit Jean-Christian Aubry.

Pour ce qui est du Québec, le cofondateur de Bonsound s’assurera de garder la cadence afin que Dead Obies continue de cheminer avec autant de succès. L’un des principaux défis du groupe sera de remplir le M Telus (ex-Métropolis) à la fin de l’été.

De son côté, Steve Jolin veut que le rap québécois continue de prendre sa place « avec des projets de qualité ». Après L’Osstidtour, la tournée panquébécoise de son étiquette qui culminera au Club Soda cet hiver avec Koriass, Brown et Alaclair Ensemble, l’Abitibien mettra en œuvre d’autres spectacles d’envergure, encore gardés secrets.

Carlos Munoz, quant à lui, espère que 2017 permettra au rap québécois d’étendre un peu plus sa diversité. Après tout, même s’il connait une effervescence marquée sur Youtube avec des artistes comme Enima, Lost & White-B et Jackboy, le street rap est encore boudé par la plupart des médias de la province. « Je suis très content qu’il y ait maintenant une ouverture plus grande pour le hip-hop, mais le revers de médaille, c’est que ça met uniquement de l’avant un certain genre homogène, pas assez raw à mon goût », explique-t-il.

S’il est vrai que les nouveaux visages tardent à prendre la place qui leur revient, Steve Jolin ne cultive pas particulièrement d’inquiétudes. « Ici, les artistes qu’on adopte, ils ont souvent mûri leur proposition artistique. Ce n’est pas comme aux États-Unis où les saveurs du mois se succèdent », met-il en relief. « La relève, elle s’en vient très bientôt. Il faut juste être patient. »



Lorsque nous rencontrons la compositrice de musique à l’image Amritha Vaz en juillet 2016, elle fait un stage au prestigieux Sundance Institute Music and Sound Design Labs de Skywalker Sound, situé sur le Skywalker Ranch du créateur de Star Wars, George Lucas, dans le nord de la Californie. Elley participe à des ateliers et des exercices créatifs sous la direction d’éminents compositeurs de musique à l’image et autres professionnels de la musique servant de conseillers créativité. Chaque équipe compositeur/réalisateur a ses musiques originales pour de nouvelles scènes de film indépendantes interprétées en direct par un orchestre de chambre.

« On te jumelle avec ces cinéastes extraordinaires et on te donne quelques jours pour mettre en musique des scènes plutôt difficiles, et tu ne peux pas t’empêcher d’être prise de panique à l’idée de te planter royalement », explique Vaz. « Ensuite tu te rappelles que oui, c’est précisément le but de l’exercice. S’il y a un endroit où je peux essayer de nouvelles choses et prendre des risques sans avoir peur, c’est bien ici. »

Ce n’est pas par hasard que le mur de la pièce où elle nous reçoit est décoré d’une affiche qui dit Make Mistakes. « J’ai tellement de chance d’avoir eu Harry Gregson-Williams, Christophe Beck et Edward Shearmur comme mentors », reconnaît Vaz. « Il y a tellement à apprendre d’artistes qui peuvent travailler à ce niveau-là, non seulement pour la création, mais aussi pour équilibrer les pressions temporelles et les problèmes techniques, réagir à des opinions différentes — y compris les tiennes ! – et comprendre à demi-mot… J’ai aussi tellement appris de mes collègues compositeurs, des concepteurs sonores de Skywalker et de toute l’équipe de Sundance. Ils ont tous été tellement généreux de leur temps et honnêtes concernant leur cheminement personnel. Ironiquement, en venant ici, je m’attendais uniquement à faire l’apprentissage de nouveaux outils et de nouvelles techniques d’écriture — mais bien que j’aie décidément approfondi ma connaissance du métier, j’en repars avec quelque chose d’infiniment plus précieux : m’être fait dire par tout ce monde que j’admire que je mérite d’être ici. » C’était la troisième année que Vaz postulait pour le programme, et elle a finalement été admise cette année. Pas étonnant qu’elle en soit si reconnaissante.

Amritha Vaz

Vaz s’y connaît déjà en écriture de musique de film, bien entendu. Elle a récemment écrit deux musiques pour le laboratoire Project Involve de Film Independent et signé celle des documentaires Made in India (PBS) et Music for Mandela après avoir collaboré à l’écriture de musiques de film pendant plusieurs années. Née au Canada de parents d’origine indienne et établie à Los Angeles, cette multi-instrumentiste a servi d’assistante pour de nombreux films couronnés d’Oscars ou de prix Emmy du compositeur de musique de film et de télévision Mychael Danna, notamment 500 Days of Summer, Pomegranates and Myrrh et Cooking with Stella.

Comment a-t-elle rencontré le compositeur de L’Histoire de Pi, qui s’inspire des traditions musicales de l’Asie du Sud et du monde occidental ? « Quand je l’ai croisé pour la première fois, il portait un tee-shirt sur lequel on pouvait lire le mot desi, un terme hindi qui signifie essentiellement local ou un des nôtres », raconte Vals. « J’étais comme “Ah ouais ? Tu te prends pour un gars de la place ? » C’était juste une blague. C’était drôle et il l’a bien pris. En l’entendant parler, je pouvais constater l’immense détour par lequel il était arrivé à la musique indienne, et j’aimais la façon dont il parlait de la musique de film… Il parlait de l’importance de trouver sa propre voix, et son histoire m’a réellement accrochée. Le fait qu’il travaillait lui aussi sur de nombreux films indiens décalés en plus [de films grand public] voulait dire que je connaissais son travail. Je l’ai contacté un peu après pour m’excuser de l’avoir malmené. Je me suis rendu compte que j’étais fière de le considérer comme un desi.

« J’ai l’impression que l’industrie dans son ensemble commence à vouloir diversifier ses équipes – non seulement parce il est important d’être plus inclusif, mais aussi parce que ces candidats sont excellents dans leur métier. »

« Il est sans doute absolument improbable que tu ailles entendre une conférence de compositeur et que, six mois plus tard, tu travailles avec lui comme assistante », s’étonne Vaz. « J’ai eu la chance incroyable de faire mes débuts avec un autre compositeur canadien, Tim McCauley. Puis, moins d’un an après, par un autre coup de chance, je commence à travailler dans le studio hollywoodien de Mychael. Quand tu commences à travailler comme assistante, tu peux exceptionnellement avoir la chance de décrocher un contrat d’écriture, mais il arrive plus souvent que tu aies à faire ton propre chemin vers une telle position. Peut-être parce que je n’avais pas de formation formelle en composition de musique de film, j’étais extrêmement consciente de la courbe d’apprentissage que j’avais devant moi, si bien que j’étais tout aussi désireuse d’apprendre la configuration des modèles Logic Pro et la synchronisation vidéo que je l’étais d’absorber des connaissances musicales. Le fait d’être un peu nerd a probablement aidé, mais même à ce compte-là, il y avait tellement à apprendre ! April Lebedoff, du bureau de la SOCAN à Vancouver, a décidément reçu plus que sa part de courriels désespérés pour lui demander comment remplir un rapport de contenu musical. Éventuellement, j’ai eu la chance d’écrire de la musique additionnelle pour Mychael, et nous avons même écrit deux musiques ensemble. »

Vaz en a beaucoup appris comme assistante du compositeur Mychael Danna depuis environ 2008 jusqu’à la fin de 2013. « J’ai acquis de l’expérience et de l’intuition dans la composition de musiques de film de haut niveau, dans l’art d’incorporer de la musique du monde et d’écrire des musiques à la fois épurées et hautement orchestrées », explique-t-elle. « Il m’a toujours encouragée à me “raccrocher au concept” dans mon écriture, à me mettre au défi d’aller au-delà de l’évidence et à songer à contribuer à l’histoire globale du film tout en produisant des musiques qui soient belles en elles-mêmes. Après tout ça, il y a l’art de lâcher prise avec grâce lorsque ce que tu as essayé ne tient pas la route et que tu dois retourner à la case départ. Je ne prétends maîtriser aucune de ces choses-là, mais j’essaie, ça c’est sûr ! »

Amritha Vaz

Le cheminement de Vaz a connu de nombreux détours avant de la conduire là où elle est aujourd’hui. Violoniste classique pendant son adolescente, une mauvaise tendinite (« tellement sérieuse que j’étais incapable de m’habiller ou d’ouvrir une porte ») l’amène, à l’âge de 16 ans, à se rendre en Inde pour étudier la musique classique indienne, qui encourage l’improvisation. Elle commence alors à créer de la musique, à se joindre à des groupes et à jammer. Mais sa tendinite n’étant pas encore complètement guérie, elle se découvre une nouvelle passion : la justice sociale. Elle obtient un diplôme en sciences politiques, une maîtrise dans le cadre du programme d’études du développement international, puis en droit, et part travailler en Afrique du Sud. De retour à Vancouver, incapable de se trouver du travail comme avocate, elle se met à aider d’anciens amis de l’école des beaux-arts qui avaient besoin de musique pour le court métrage qu’ils tournaient.

« Vu que mon grand-père travaillait à Bollywood, c’est peut-être pour ça que je me suis dit que ça pourrait être agréable d’essayer, mais je n’avais aucune idée que ce serait le coup de foudre », se souvient-elle. « C’était passionnant de collaborer et d’aider à raconter des histoires de cette manière-là, mais une autre lumière s’était déjà allumée. Quand je travaillais en Afrique, j’avais entendu parler de groupes de théâtre musical qui remportaient plus de succès dans le domaine de la sensibilisation au sida que les politiques traditionnelles, et j’ai commencé à me demander si je ne pourrais pas faire quelque chose dans ce sens-là avec mon amour de la musique. Peu de temps après le court métrage, j’ai rencontré Tim McCauley, et il m’a aimablement donné la chance d’écrire des musiques pour un documentaire de la CBC sur les réfugiés hongrois, et je me suis soudainement rendu compte que la composition de musique de film pourrait être le lien entre ces deux mondes-là. »

Comme mère socialement consciente et femme de couleur travaillant dans une industrie dominée par de très riches hommes blancs, Vaz voit son métier de compositrice de musique de film d’un œil particulier. « Bien que personne n’ignore que les femmes et les personnes de couleur ont fait face à la discrimination, je pense que les choses changent », observe-t-elle. « Il y a des tas de champions partout, et j’ai l’impression que l’industrie dans son ensemble commence à vouloir diversifier ses équipes – non seulement parce il est important d’être davantage inclusif, mais aussi parce que ces candidats sont excellents dans leur métier et qu’ils apportent de nouvelles perspectives emballantes qui n’ont pas encore réellement été entendues. »

Le prochain projet de Vaz est un long métrage documentaire qui correspond parfaitement à sa philosophie. « Little Stones raconte l’histoire d’artistes sénégalaises, brésiliennes, indiennes et kenyennes qui changent profondément la vie des femmes, et ce, particulièrement dans les domaines de la mutilation génitale, de la violence domestique, du trafic sexuel et de l’extrême pauvreté », explique-t-elle. « Elles n’ont aucun financement, aucun argent. Elles agissent simplement de leur propre chef, accomplissent simplement des choses étonnantes… des femmes de vision qui ont une histoire incroyable à raconter. »

CONSEILS D’AMRITHA VAZ AUX JEUNES COMPOSITEURS DE MUSIQUE À L’IMAGE

  • Trouvez votre voix. Qu’est-ce que vous et votre son avez de particulier ? La technique s’apprend, mais la découverte de votre voix est la vraie clé.
  • Entourez-vous d’une communauté de compositeurs/artistes — pour pallier la solitude possible de ce métier, il est important de pouvoir compter sur le soutien d’autres artistes pour apprendre, collaborer et parfois s’apitoyer.
  • Bâtissez votre équipe — au début, vous faites tout vous-même, mais à mesure que vous entreprenez des projets plus importants, vous avez besoin de musiciens, de mixeurs de réenregistrement, d’assistants Pro Tools, d’entrepreneurs, d’orchestrateurs et d’assistants sur lesquels vous pouvez compter pour vous aider à réussir.
  • Adhérez à une association de compositeurs — pour bâtir des alliances, enrichir vos compétences et trouver des mentors.
  • Amusez-vous — cela peut sembler banal, mais j’essaie autant que possible de découvrir l’aspect joyeux de ce que j’écris parce que je suis persuadée que, en fin de compte, ce qui m’interpelle en interpellera d’autres aussi.