Tatiana Zagorac a grandi entourée de musique pop. Que ce soit à la radio dans une voiture ou à la maison en regardant des vidéoclips à la télé, elle affirme que « la structure d’une chanson pop est une chose qui a toujours été très claire pour moi ».

Cette compréhension intime des arrangements pop joue désormais de multiples rôles dans sa vie. Auteure-compositrice pour CYMBA Music Publishing, cette Edmontonienne met son talent au service d’artistes un peu partout en Asie, bien qu’elle doive parfois ajuster ses sensibilités nord-américaines afin qu’elles collent mieux à l’esthétique J-Pop et K-Pop. « Écrire pour ces marchés a profondément transformé et bonifié mes aptitudes », explique-t-elle. « J’ai toujours été quelqu’un de porté sur les mots, et tout d’un coup les paroles sont devenues la chose la moins importante. Il m’a fallu développer mon sens de la mélodie très rapidement. »

Et comme son travail pour CYMBA lui permet de satisfaire son désir d’écrire des « hits » top 40, elle a pu se permettre de diriger son projet personnel, Talltale, dans une direction plus électronique. Pour Zagorac, expérimenter avec langage de la musique électronique lui permet de « totalement informer le paysage sonore où vivent mes chansons ».

Son plus récent album sous l’alias Talltale, intitulé A Japanese Fever Dream, a été inspiré par les nombreuses années où elle a travaillé à l’étranger. « Tokyo », la première pièce de l’album, donne l’impression de se promener au cœur des innombrables néons du quartier anime Akihabara, tandis que « Shed My Skin » résume le sentiment de surréalisme provoqué par un endroit qui nous est étranger, comme en témoigne cette strophe : « Already feels like a memory/already feels like a fever dream » (Ça ressemble déjà à un souvenir/Ça ressemble déjà à un rêve fiévreux). C’est un album cinématique qui se veut une ode à un pays tout en célébrant l’envie de voyager qui sous-tend le désir de nouvelles perspectives.

Talltale connaît également le succès chez elle. Zagorac a été sacrée « Artist to Watch » aux Edmonton Music Awards 2018 et elle a remporté le trophée de la chanson électronique de l’année lors de l’édition 2018 de la Canadian Songwriting Competition. Bien qu’elle affirme que Talltale risque fort d’être en veilleuse pour le reste de 2019, outre quelques vidéoclips, elle prévoit lancer de la nouvelle musique en 2020 : « Ça va être une grosse année pour moi ! »



Jerome 50

Photo: Rosalie Beaucage

On demande trop de permissions selon Jérôme 50. Il ne faudrait qu’avancer, y aller et voir ce qui survient. Après un album acclamé, La hiérarchill, sorti à la fin de 2018 et prônant un retour au calme, Jérôme 50 fait parler les enfants et réinvente les codes de la comptine avec Le camp de vacances de Jérôme 49, un album où il se donne tous les droits.

Si tu aimes le soleil, tu tapes des mains, mais si tu ne l’aimes pas tu fermes les yeux, tout simplement. C’est ce que suggère l’auteur-compositeur-interprète issu de la banlieue de Québec sur son plus récent album-surprise. « Je ne sais pas si les chansons de camp m’ont marqué, mais quand j’ai une idée et que je veux la faire je la fais, annonce d’emblée Jérôme. Les gens ont des idées et ils ne mènent pas à terme leurs projets. »

L’idée d’inclure de véritables voix d’enfants sur les chansons était un impératif pour lui. Pas question de faire les choses à moitié. Les pièces expriment ce grand désir de liberté émanant de sa jeunesse « pauvre en liberté et riche en fausses libertés ». « MØ a sorti un album démo en 2009, qui s’appelle A Piece of Music to Fuck to. Elle y parle de la déchéance de la jeunesse et elle le fait en étant libre de contraintes, sans peur des mots, explique-t-il. C’est un peu ce que je voulais faire avec ce projet-là. »

Les limites sont en effet inexistantes, notamment lorsqu’il fait dire à des enfants anonymes des propos très crus ou échafaudés sur des opinions politiques.

« Le trafic rend hystérique en banlieue de Québec. Oh hé ! Hé oh ! En banlieue de Québec. Les plus wacks votent pour la CAQ en banlieue de Québec. Oh hé ! Hé oh ! En banlieue de Québec. Les p’tits bums se tirent des bongs en banlieue de Québec. Oh hé ! Hé oh ! En banlieue de Québec. »

C’est ce qu’on peut entendre sur la chanson En banlieue de Québec. « Les parents ont été super smatts et la chorale qu’on a choisie aussi, raconte Jérôme. Je crois que le système et la Terre ne vont pas bien. Le Québec est vieillissant et il a besoin de se faire brasser. Les jeunes n’ont pas assez la parole. Le fait que la CAQ soit au pouvoir, ce n’est pas un bel air d’aller. Je me suis donné le droit, c’est tout. »

Comme beaucoup de ses amis, Jérôme vient de la banlieue et il ressent une oppression ou une part d’endoctrinement liée à cet état. Il soutient qu’il est temps que l’on cesse d’imposer des idées « pas bonnes pour les jeunes ou pour l’humanité ». « 35 h semaine avec un condo et un fonds de pension, c’est pas vrai, ça. Il faut faire des études collégiales pis un bac ? Pourquoi on nous a dit ça ? On nous sacre une vérité alternative devant les yeux. Tu vas au centre d’achats et une pub de l’Université Laval est devant toi pendant que tu pisses. C’est écrit “Nos étudiants ont un meilleur avenir”. Moi je dis non. »

Refaisant son propre monde en déconstruisant les comptines qu’on scandait au camp durant l’enfance, il fait l’éloge de la simplicité. « Je ne les réinvente pas parce que je crois qu’elles nous ont menti. Je crois plutôt que les chansons pour enfant sont négligées, elles n’ont pas leur juste place dans le monde des intellectuels. Ça a une grande valeur pour moi de ramener ça vers le haut. »

La hiérarchill, quant à elle était plutôt un pari pris face aux tendances sociales. « La technologie nous aide à ne plus faire d’effort, soutient Jérôme. On est de plus en plus dans l’immobilité et dans l’inaction. L’humain court à sa perte. Il a une chance de se rattraper et c’est de prendre ça cool. »

Si certains artistes n’arrivent pas à voir plus grand que ce qu’ils ont déjà en main, Jérôme 50, dit vouloir écrire les plus grands hits de l’histoire de l’humanité. « Je veux écrire pour Céline Dion et Éric Lapointe, affirme Jérôme, le plus sérieusement du monde. Dans dix ans, ils vont tomber sur mon album de camp et ils vont pogner un esti de deux minutes. »

Trucs d’écriture
« Pour le premier album, j’écrivais de manière spontanée, je laissais ça dormir trois mois, je réécrivais un couplet et ainsi de suite. Pour Le camp de vacances, j’ai utilisé beaucoup de produits de la SQDC. Pour les paroles de ma version de Trois petits chats, ça m’a pris 48 heures, ben buzzé. Y’en a qui disent que ça sert à rien, la drogue, moi ça me sert à ça. Sinon, j’aime ça quand les couplets viennent soutenir le refrain avec des jeux d’esprit mélangés aux rimes. Dans un couplet avec des rimes ABAB, j’aime que le dernier B soit un clin d’oeil au refrain, comme dans Wéke n’ béke où je dis que l’avenir appartient à ceux qui se lèvent stones. J’aime prendre les règles, les recréer et les crisser dans le feu à même la toune. Je pense que quelque chose qui est assez flagrant, ce sont les oneliners, comme prendre une douche, je t’aime tellement que je vomirais, etc. Je fais juste prendre une phrase comme ça et je la répète. Je construis mes chansons comme ça parce que j’ai pris cette habitude dans le travail d’Angus and Julia Stone. »

Pour arriver à faire des grands hits, sa stratégie est simple: il écoute en boucle durant plusieurs jours des chansons qui ont eu énormément de succès. « Ces temps-ci, c’est I’m Blue de Eiffel 65. Avant c’était What A Wonderfull World. Pour écrire des bonnes chansons, il faut faire ça simple, croit-il. Le minimalisme est à la mode. Les Beatles ont compris ça avec Let It Be.

La websérie de Rosalie Vaillancourt Avant d’être morte est un peu à l’origine de la chanson La chaise musicale, de Jérôme 50, d’où sa présence sur scène et dans le clip. « Dans le premier épisode, elle joue à la chaise musicale avec une petite fille. La veille, mes amis et moi on jouait à la chaise musicale dans un party et quelqu’un a tiré une chaise. J’ai pris en note “comportement antisportif”. Les astres étaient alignés pour que j’écrive ça le lendemain, exactement pour Rosalie. Je me rappelle avoir loué un atlas géographique pour m’approvisionner en noms de villes. »

Les dénonciations de Jérôme ne sont pas toutes énoncées, sa vérité n’est pas complètement révélée. « J’ai dit tout ce que je pensais, mais Céline avait tort en disant On ne change pas. Ma perception des choses pourrait changer. Mais sinon, j’ai envie de parler de communication. On est dans une époque où la communication n’a jamais été aussi importante. On communique toi et moi, mais en ce qui concerne l’amour, on est tellement bourrés de problèmes. Il y a des non-dits, des interactions qui manquent de sens. »

Jérôme travaille sur un livre et il a déjà huit chansons en banque pour le prochain disque, mais son plus grand projet des prochaines semaines sera de « retranscrire les dialogues du film Mommy pour pouvoir le réciter sur demande. »



Soyons honnêtes : si ce n’était pas des sons de scie coupant des os, de corneilles qui craillent ou de porte qui grincent, les films d’horreur seraient beaucoup moins horrifiants.

Mais grâce à de brillants compositeurs à l’image équipés de tout un arsenal d’outils, de techniques et d’astuces, ces paysages sonores terrifiants nous font trembler de peur dans nos fauteuils au cinéma.

Le Torontois Mark Korven, compositeur pour des films d’horreur depuis la fin des années 90, a développé un outil pour susciter ce genre de réactions qui n’utilise pas tous ces gadgets technologiques typiques des studios d’enregistrement. En collaboration avec le luthier torontois Tony Duggan-Smith, il a créé The Apprehension Engine, une invention canadienne qui a bouleversé notre conscience collective il y a deux ans lorsque Korven a publié sur YouTube une vidéo faisant étalage des possibilités offertes par son instrument.

La vidéo a été visionnée plus de sept millions de fois et Korven explique que Duggan-Smith « a reçu un nombre important de demandes pour construire un exemplaire de l’appareil, dont certaines par de grands noms que nous ne sommes pas en mesure de divulguer ». Il affirme cependant que cet instrument unique, qualifié par le célèbre musicien Brian Eno du « plus terrifiant instrument de musique de tous les temps », coûte 10 000 $ US et que dix exemplaires ont trouvé preneur à ce jour.

« Je voulais créer un instrument qui me permette de créer des paysages sonores horrifiants », explique Korven. « Je voulais m’éloigner des échantillons et des effets sonores, et je voulais que ce soit un instrument acoustique. Mais une fois que j’ai mis la main dessus, je n’ai pas pu résister à la tentation d’y brancher des modules d’effet pour avoir encore plus de possibilités », dit-il en rigolant.

Le musicien explique qu’après avoir conceptualisé son Apprehension Engine, il l’a schématisé et a demandé à Duggan-Smith de le construire en deux semaines. « Je lui ai dit que je voulais un “reverb” à ressorts, une vielle à roue et un “e-bow” [un archet électronique pour la guitare], car j’adore utiliser cet outil. Il a adoré l’idée. Il m’a dit, “enfin une pause de construire guitare après guitare !” »

Korven affirme ne jamais avoir peur des sons sinistres que produit son instrument. « Je compose beaucoup de musique de films d’horreur, et c’est devenu relaxant, presque cathartique. C’est une peu comme ressentir une tension interne et pouvoir l’exprimer à travers la musique afin de l’extérioriser. »

« Je veux pouvoir produire des sons monstrueux. »

Et Korven a une réponse toute prête pour répondre aux puristes qui remettent en question le fait que l’Apprehension Engine est un instrument de musique ou pas, voire que les sons qu’il produit sont vraiment de la « musique ». « Ma définition de la musique est un son qui a un impact émotif », laisse-t-il tomber. « Et à l’opposé, de la “muzak” générique et sans personnalité, pour moi, ça n’est pas de la musique. »

Korven convient d’emblée que l’Apprehension Engine n’est pas un instrument au sens traditionnel du terme, puisque « c’est difficile de jouer quoi que ce soit de mélodique ou d’harmonique au sens traditionnel du terme, mais ces restrictions sont créativement libératrices. C’est un peu comme une boîte de bruitage ; ça n’est pas un tout cohérent, mais les possibilités sont sans fin. »

Korven explique que lorsqu’il reçoit une commande pour la trame sonore d’un film d’horreur, il « expérimente. Quand je m’assois devant l’Apprehension Engine, je ne pense pas en termes de notes et d’harmonies. Je me demande plutôt comment je peux tenir le e-bow différemment ou comment je peux toucher un des éléments de manière à créer un son que je n’ai jamais créé auparavant. »

Il décrit ainsi sa signature sonore : « c’est ma folie sonore très unique qui est funky et crottée. » Il affirme qu’en tant que compositeur à l’image, « on peut passer une carrière entière à faire exactement ce que les réalisateurs nous demandent, mais j’ai toute la liberté du monde de créer ce que j’ai envie de créer. Et ce que je veux par-dessus tout, c’est d’être libre, je veux pouvoir créer des sons monstrueux. »