Comment briser l’image que plus de deux millions de téléspectateurs se sont faite de vous lors de la saison inaugurale du plus grand succès télé des dix dernières années? En faisant tout le contraire de ce à quoi on s’attendrait de votre part.

Prendre son temps pour définir son son. S’allouer une période de gestation féconde. S’entourer d’une équipe qui alliera, de façon habile, succès populaire probant à création artistique captivante.

C’est le cas de Charlotte Cardin, auteure-compositrice et, bien sûr, interprète instinctive au charme indéniable que l’on a pu apprendre à connaître – et à aimer – alors qu’elle se taillait une place comme finaliste de la première saison de La Voix, dans l’équipe de la bombe pop Marie-Mai.

Son timbre aux fluctuations jazz se prêtait à merveille aux reprises d’Amy Winehouse et autres suaves chanteuses qu’elle entreprenait d’interpréter semaine après semaine devant les quatre chefs d’équipe de La Voix.

C’est sur ces forces qu’elle décide de miser, proposant un premier extrait aux doux accents pop-jazz en juillet dernier. Big Boy, pièce dont elle signe paroles et musique, lancée sur l’étiquette Cult Nation de Montréal (Iris, Dear Frederic), a rapidement mis les assises pour un premier album à paraître à l’automne 2016. En plus de passer quelque temps dans le top 100 des téléchargements chez iTunes Canada, Big Boy dépasse le cap des 160 000 écoutes sur Spotify! Pas mal pour une première carte de visite!

Offerte en téléchargement gratuit (en échange d’une inscription à sa liste d’envoi officielle), le second extrait Les échardes a été offert par la jolie chanteuse à ses fans le jour de son 21e anniversaire. Ballade intemporelle, quoique bien de son temps, Les échardes risque de séduire tant les fans québécois que ceux de l’Hexagone qui craqueront pour son joli minois et sa propension à la mélancolie amoureuse.



Le monde de la musique classique fera-t-il une fugue en réaction au duo torontois Uninvited Guests?

Le tandem Billy Iannaci et Andrew Testa procèdent depuis quelque temps – et avec l’accord de la succession – à un véritable « mash-up » de la musique enregistrée par le légendaire pianiste canadien et membre de la SOCAN, Glenn Gould, dans leurs productions électroniques aux saveurs hip-hop et pop.

C’est un effort concerté de leur part afin d’inciter, grâce à une touche de modernité, les jeunes à découvrir cette musique qui a parfois été composée il y a des siècles d’âge et qui a été enregistrée il y a 50 ans ou plus.

« Soyons honnêtes : quand nous nous sommes embarqués dans ce projet, nous ne savions pas distinguer un Bach d’un Mozart » – Billy Iannaci, Uninvited Guests

« Personne, à notre connaissance, n’a encore tenté de moderniser la musique classique de cette façon », explique Andrew Testa qui, aux côtés de Billy Iannaci, œuvre depuis trois ans au sein de Uninvited Guests en utilisant des échantillonnages audio et vidéo tirés de Glenn Gould On Television : The Complete CBC Broadcasts.

« Certains l’ont certes tenté, mais pas de la façon dont nous le faisons », poursuit-il. « C’est Gould lui-même qui nous a mis ça dans la tête lorsqu’il disait que les gens ne pouvaient pas accomplir ce genre de chose dans les années 60 et 70 et qu’il aurait souhaité pouvoir donner à tout le monde un “kit” pour qu’ils puissent mixer, “masteriser” et éditer leur matériel eux-mêmes. »

« Il parlait du rôle que jouent les DJs et adorait déjà la musique électronique en 1964, une époque où les Beatles régnaient sur le Top 5 de Billboard. C’est grâce à lui que nous avons réalisé l’incroyable filiation qui existe entre l’utilisation des notes graves dans la musique classique et celle de la musique actuelle. »

Mais soyons un peu plus précis : ce n’est pas tant Gould que Uninvited Guests revisite, mais bien les œuvres du domaine public de plusieurs compositeurs des 17e et 18e siècles que le pianiste mort en 1982 a popularisé de nouveau au cours de sa carrière : Johann Sebastian Bach, Joseph Haydn, Ludwig Van Beethoven, Johannes Brahms, Wolfgang Amadeus Mozart, et bien d’autres. Ils travaillent toutefois à partir des arrangements de Gould, avec l’aval de sa succession.

C’est le pianiste torontois Ron Davis qui a mis le duo sur la piste de l’idée de remixer les enregistrements de Gould, et Iannaci raconte que les premières explorations du duo relevaient plutôt du domaine des heureux hasards.

« Soyons honnêtes : quand nous nous sommes embarqués dans ce projet, nous ne savions pas distinguer un Bach d’un Mozart », avoue d’emblée le musicien. « Mais plus nous progressions, désireux de raffiner nos résultats le plus possible, nous avons découvert quels compositeurs classiques se prêtent mieux à l’échantillonnage. »

« Ainsi, pour des pièces plus dansantes, Bach est une bonne source tandis que Mozart et Grieg se prêtent bien à des pièces plus sombres ou hip-hop. Nous avons commencé par essai et erreur, mais au fil des ans, nous avons acquis une quantité impressionnante de connaissances sur ce que chacun de ces compositeurs peut apporter. »

C’est lorsque le contrebassiste classique Alex Kotyk s’est impliqué dans le projet que Iannaci et Testa ont commencé à réellement s’initier aux subtilités de la musique classique. « Il a disséqué nos échantillonnages d’un point de vue musical », raconte Testa. « Il nous disait “OK, voici en fait la ligne de basse que vous avez échantillonnée” et nous la jouait au clavier. Une fois que nous avons commencé à déconstruire la musique de cette manière, les possibilités sont devenues infinies. »

Uninvited Guests s’est surtout fait connaître grâce à ses vidéoclips hypnotiques et autoproduits diffusés sur YouTube. « Ce qu’on veut, c’est de montrer aux gens à quel point c’est fou de pouvoir prendre une pièce qui a plus de 200 ans et la rendre pertinente aujourd’hui avec quelques manipulations par-ci, par-là », confie Iannaci.

La prochaine étape pour le duo : la musique baroque. Il lancera gratuitement Uninvited vs. Glenn Gould Volume 1, le 17 novembre via son site web – www.uninvitedguests.ca –, ainsi que son tout premier simple commercial, « Fight’Em Off », mettant en vedette le rappeur torontois Chief le 5 janvier 2016.

Uninvited Guests espère pouvoir collaborer avec un orchestre symphonique dans un avenir rapproché ainsi que monter sur scène – avec Iannaci aux claviers et Testa à la batterie – en compagnie d’un petit orchestre qui serait « à notre disposition ».

Ils espèrent également tous deux que leur travail avec l’œuvre de Gould sera d’une certaine aide pour la communauté de la musique classique. « Peut-être est-ce là le véhicule qu’il fallait pour susciter l’intérêt de la génération montante envers la musique classique », affirme Iannaci en conclusion. « Nous sommes convaincus que c’est un des meilleurs moyens de ramener les gens dans les salles de concert. »



Il s’en trouve pour dire que créer une chanson à succès est simplement une question de formule ou de méthode. D’autres vous diront plutôt qu’il ne sert à rien de forcer la note — la chanson viendra à vous, ou pas, comme si les chansons existaient dans l’éther et qu’il suffisait au créateur de s’ouvrir à elles?; du créateur en tant que réceptacle, médium ou capteur de rêves…

Tobias Jesso Jr. tente, lui aussi, de capter un rêve. Son rêve : écrire des chansons qu’on entendrait à la radio. Ses premiers essais se sont toutefois transformés en réveil plutôt brutal.

Ce Vancouvérois de 30 ans a commencé sa carrière musicale en tant que bassiste au sein du groupe The Sessions puis pour la chanteuse pop Melissa Cavatti, un emploi qui l’a vu s’installer à Los Angeles en 2008. Et en fin de compte… pas grand-chose. Lorsque ce projet a pris fin, Jesso s’est retrouvé dans un appartement du chic quartier angelin de Silver Lake où il a passé quelques années à écrire des chansons qu’il espérait voir interprétées par d’autres. Et il avait une méthode : il modelait son écriture sur ce qui était populaire à ce moment.

« Adele est la première qui m’ait jamais demandé de collaborer sur une chanson avec elle. »

« J’écoutais la radio et je me mettais au défi d’écrire une chanson qui n’aurait absolument rien à envier à ce que j’entendais », raconte Jesso. « J’écoutais surtout les chansons d’Adele et de quiconque jouait à la radio à ce moment. » Sa méthode n’a pas eu les résultats escomptés. « Je ne sais pas si mon idée était bonne, car elle n’a pas fonctionné. Je me mettais au défi d’écrire n’importe quelle chanson plutôt que d’écrire la bonne chanson. »

En 2012, après quatre années de tentatives infructueuses pour lancer sa carrière musicale, celle-ci était pour le moins en panne. Puis, en l’espace d’une semaine, il a eu trois gros « hits »?; pas le genre dont il rêvait, mais plutôt des coups durs. Le premier a pris la forme d’une rupture douloureuse. Le second coup dur a été encore plus concret : alors qu’il se baladait en vélo, il s’est fait happer par un chauffard qui a fui les lieux de l’accident. Le lendemain, il apprenait que sa maman avait reçu un diagnostic de cancer.

Son univers semblait s’écrouler. C’est donc âgé de 27 ans qu’il a dit au revoir à Hollywood et qu’il est rentré chez ses parents pour panser ses plaies, laissant derrière lui le rêve d’une carrière musicale.

Ses instruments étaient restés derrière dans un espace d’entreposage à L.A., où il ne pouvait pas retourner, car il avait accidentellement dépassé la durée de séjour permise par son visa. Son seul exutoire musical était donc un piano appartenant à sa sœur, un instrument dont il n’avait jamais joué auparavant. Donc, lorsqu’il n’était pas au travail pour la compagnie de déménagement d’un ami, son imposante charpente de 6 pieds 7 pouces (2 mètres) se retrouvait devant ce piano et l’explorait.

« Je joue habituellement de la guitare ou de la basse, explique-t-il, alors lorsque je me suis retrouvé chez moi et que j’y ai trouvé ce piano, j’ai repris la balle au bond. » Au fur et à mesure de son apprentissage autodidacte, des progressions d’accords et des mélodies ont commencé à se manifester. Les choses commençaient à prendre forme. La douleur et la déception ont trouvé dans ce piano une voix pour s’exprimer. L’artiste a suivi ses émotions. « Si je me souviens bien, j’avais déjà écrit une chanson après environ une semaine de bidouillage », confie Tobias. Cette première chanson se nommait « Just a Dream ».

C’est à peu près à ce moment que Jesso a appris qu’un de ses groupes préférés, Girls, venait de se séparer. Il a retracé l’adresse courriel de Chet « JR » White, le bassiste du groupe, et lui a envoyé une note de sympathies en y joignant le démo de sa chanson. White lui a répondu presque immédiatement et ils ont longuement discuté au téléphone. Fort des nombreux encouragements de White, Jesso a continué d’écrire des chansons au piano. Un mois plus tard, il avait composé une jolie collection de démos, de ballades au piano d’une sincérité désarmante.

White a adoré les chansons. Non seulement les a-t-il aimées, mais il lui a offert de produire son album et a guidé Jesso vers la signature d’une entente avec le label True Panther de Matador. Pour les séances d’enregistrement Jesso a bien entendu eu l’aide de White, mais également de quelques autres grands noms, dont Patrick Carney des Black Keys, John Collins des New Pornographers et le « grammyfié » producteur Ariel Rechtshaid (Vampire Weekend, HAIM, Usher). C’est Danielle Haim du groupe homonyme qui a joué la batterie sur la plaintive « Without You ».

Son premier album solo, intitulé Goon, a été lancé en mars 2015. Sa musique a été saluée par d’influentes publications telles que Pitchfork et Spin. Il a été invité à donner des prestations au Tonight Show avec Jimmy Fallon, à l’émission de Conan (O’Brien) et à Jimmy Kimmel Live. Puis, en avril, il a signé une entente d’édition avec Universal Music Publishing Group. Puis, en juillet, Goon a été placé sur la liste courte des finalistes au Prix Polaris. Et il a entrepris sa première tournée en tant qu’artiste vedette.

Les chansons sur Goon ont été comparées aux œuvres de grands auteurs-compositeurs des années 70 tels que Randy Newman, Harry Nilsson, Todd Rundgren ou Emitt Rhodes, et bien que « Without You » résonne de la même sincérité à cœur ouvert qui animait le succès planétaire du même nom chanté par Nilsson — écrite et composée par Pete Ham et Tom Evans de Badfinger —, tous ces noms n’étaient même pas sur le radar de Tobias Jesso. « J’ai entendu bon nombre de comparaisons pour lesquelles je me suis dit “je ne connaissais même pas cet artiste quand j’ai écrit mes chansons” », explique le musicien.

Ce que Jesso partage avec ces auteurs-compositeurs, c’est la capacité d’aller droit au cœur de la musique et des paroles afin de communiquer ses émotions de la manière la plus directe qui soit afin de toucher l’auditeur.

« Lorsque j’écris mes chansons et que je trouve ce refrain qui tue, comme sur “Without You”, je me dis vraiment “Wow?! ce refrain me touche vraiment”. C’est quelque chose que je ressens. Lorsque vous laissez ça paraître dans votre écriture, c’est comme mettre de l’amour dans une recette?; les gens le goûtent lorsqu’ils en mangent et le ressentent lorsqu’ils l’entendent. »

Et, apparemment, les chansons de Jesso ont été entendues et ressenties de l’autre côté de l’Atlantique. En janvier 2015, avant même que Goon ne soit lancé, la superstar britannique Adele a écrit un tweet à l’intention de ses 20 millions d’abonnés. C’était un lien YouTube vers le vidéoclip de sa chanson « How Could You Babe » accompagné de ces simples mots : « This is fantastic, click away. » (C’est fantastique, cliquez) Le clip a été visionné 130?000 fois en à peine deux semaines. Dire que Tobias était aux anges serait un euphémisme de première classe. Mais imaginez son extase lorsque l’équipe d’Adele a communiqué avec lui pour savoir s’il aimerait collaborer avec la chanteuse.

« C’est la première qui m’ait jamais demandé de collaborer sur une chanson avec elle », lance Jesso, visiblement encore un peu incrédule. « C’est un de mes plus grands rêves depuis que j’ai commencé à écrire des chansons et que j’ai entendu sa musique », confie-t-il. « Depuis tout ce temps, je me disais “J’aimerais vraiment faire ça, écrire une chanson pour une personne comme elle”, ce genre de rêve un peu naïf. »

Naïf ou pas, son rêve est devenu réalité et ils se sont donné rendez-vous à Los Angeles pour créer ensemble. Ils ont travaillé sur plusieurs idées au fil de quelques jours. L’un des fruits de cette collaboration a été « When We Were Young », une chanson qui figurera sur le nouvel album d’Adele, intitulé 25 et qui sera lancé fin novembre. La rumeur veut même que ce soit le prochain extrait de l’album, dans la foulée de « Hello », qui a fracassé des records. La chanteuse a même avoué que « When We Were Young » est sa chanson préférée sur ce nouvel album. Une autre chanson qu’ils ont créée ensemble paraîtra sur une édition limitée de 25 qui ne sera en vente que dans les magasins de la chaîne Target.

Et comme si cette collaboration avec Adele n’était pas assez, une autre sensation de la pop s’est jointe à eux lors d’une de leurs séances de création : Sia, l’artiste australienne finaliste aux Grammys qui, en plus de ses propres succès, a écrit plusieurs hits pour des chanteuses de la trempe de Beyoncé, Rihanna, Britney Spears et Katy Perry. Le trio a donné naissance à la pièce « Alive » qui devait initialement figurer à l’album d’Adele, mais lorsque son équipe a décidé de ne pas l’utiliser, Sia l’a alors enregistrée elle-même. La chanson a été lancée en septembre en tant que premier extrait de son nouvel album, This is Acting.

« Imaginez-moi dans cette pièce avec ces deux voix?; c’est toute une première expérience de collaboration créative », raconte Jesso avec des étoiles dans la voix. « C’était incroyable. »

Ainsi, Tobias Jesso a trouvé comment occuper cet espace quasi mythique ou ce qui est branché se marie à ce qui se retrouve dans le Top 100. Album acclamé par la critique. Chouchou de Pitchfork. Ami avec Haim. Collabore avec Adele. (La veille de la publication de cet article, Adele a interviewé Tobias Jesso dans le quotidien britannique The Guardian.)

Mais ce qui compte le plus, c’est qu’il a réalisé son rêve de devenir un auteur-compositeur. Comment tout cela est-il arrivé?? Lorsqu’il a voulu composer des hits dans cet appartement de Los Angeles, sa méthode était d’écrire des chansons comme celles entendues à la radio. Cette méthode ne l’a mené nulle part.

« Il a fallu que je retourne chez moi, à Vancouver, et que je me mette à composer des chansons plus personnelles et avec les moyens du bord pour que je réussisse à créer des chansons qui résonnent réellement », explique-t-il. « Je crois vraiment qu’il y a quelque chose d’important là-dedans. Je ne sais pas si ce sont des vibrations et la manière dont une chose résonne, si c’est une question d’honnêteté, ou peu importe ce que c’est, mais il y a certainement quelque chose d’invisible que les gens ressentent, et je pense que c’est une question d’authenticité. »

Lorsqu’il a trouvé sa vraie voix, ses chansons ont trouvé leur auditoire. Et c’est le fait que ses chansons aient été acceptées par cet auditoire qui lui a permis d’être invité à collaborer avec certains des meilleurs artistes et auteurs-compositeurs de l’industrie. Résultat jusqu’à maintenant : une chanson sur un des albums les plus attendus de l’année et un simple dans le Top 40. Pas trop mal pour un mec convaincu que son rêve s’était envolé.

« Lorsque j’enregistrais les démos [pour Goon] à Vancouver, j’avais à peu près un pour cent d’espoir de pouvoir faire partie de l’industrie de la musique », se souvient Jesso. « J’étais convaincu à 99 % que je ne ferais pas carrière dans l’industrie de la musique. Peut-être que ce 1 % est l’étincelle qui a permis à mon rêve de ne pas s’éteindre — qui sait?? Disons que pour l’instant, tout semble indiquer que je pourrai faire carrière dans cette industrie. »