Peu d’artistes québécois peuvent se vanter d’avoir un rythme de création aussi effréné que Souldia. Depuis octobre 2015, le rappeur emblématique du quartier Limoilou à Québec a fait paraître cinq albums : deux en groupe (Les poètes maudits avec Facekché et Fils de l’anarchie avec Northsiderz), un en duo (Amsterdam avec Rymz) et deux en solo (la compilation de b-sides Les archives vol. 3 et son quatrième opus officiel Sacrifice).

Plus de 10 000 albums vendus plus tard, l’artiste de 31 ans est à la fois ravi et épuisé de son année 2016. « Je n’ai eu aucune fin de semaine de libre. Je finissais le show d’un album et, le lendemain, je commençais une autre tournée… On peut dire que j’étais dans le jus », admet le rappeur. « Ce que je trouve le plus cool, c’est voir mon public s’agrandir. À mes shows, j’ai  rencontré beaucoup de fans de death metal avec des tatouages dans la face… Je crois qu’ils tripent sur le côté plus agressif de ma musique. »

Pourtant, Sacrifice est moins incisif que le percutant Krime Grave, paru en 2014. Élaborées par des producteurs hip-hop renommés comme Gary Wide, Ruffsound, Ajust, Hotbox et DJ Manifest, les compositions y sont plus planantes, tandis que le débit du rappeur, souvent altéré par un vigoureux Auto-Tune, y est plus mélodieux.Souldia

« L’atmosphère est plus relax, concède le principal intéressé, mais je crois que les textes sont encore aussi tranchants. Tranchants, mais moins axés sur la violence, même si j’ai des traumatismes reliés à ça. Sur mon précédent, j’étais arrivé de façon très intense avec un clip de braquage de banque. Là, j’ai vieilli un peu et je me suis demandé quel héritage artistique j’avais envie de laisser à mes futurs enfants. Je veux pas juste leur léguer des clips sombres avec des AK-47 dedans. »

Au lieu d’uniquement « broyer du noir », Souldia tente de trouver la lumière en abordant ses envies de liberté (Corbeau), sa nouvelle relation conjugale (Skeletor) et son amour pour la scène (Overdose). Évidemment, il en profite aussi pour régler ses comptes (La liste noire) et replonger dans certains épisodes troubles de son passé, allant jusqu’à évoquer les fois où il a fait pleurer sa mère « entre deux clients de coke au téléphone » (la puissante Inoubliable).

« J’ai pris un peu plus de maturité, mais je ne ramollirai jamais. La petite boule de violence va être au fond de moi jusqu’à la fin de ma vie. Tout ce que je peux faire maintenant, c’est m’arranger pour que ce soit une bonne flamme », confie-t-il, sincère. « J’essaie maintenant d’éviter les textes trop dépressifs parce qu’en fin de compte, j’écris pour donner du feeling aux gens. Je veux pas les mettre dans une bulle pour qu’ils aient le goût de se pendre. »

Malgré cette prise de conscience, Kevin St-Laurent sait très bien que son alter ego Souldia évoluera toujours en marge de l’industrie musicale québécoise. Ignorée par la plupart des grands médias, boudée par les radios commerciales et mise à l’écart des plateaux télé, sa musique est confinée à rayonner sur Internet,  notamment sur Spotify et YouTube, là où elle obtient un succès plus qu’enviable. « Au stade où j’en suis, j’me fous un peu du mainstream. Avec les réseaux sociaux, je suis en quelque sorte devenu mon propre média », remarque celui qui a plus de 34 000 abonnés sur sa page Facebook.

« Au stade où j’en suis, j’me fous un peu du mainstream. Avec les réseaux sociaux, je suis en quelque sorte devenu mon propre média. »

En découle une information plus centralisée, moins teintée par le sensationnalisme propre à quelques médias généralistes de sa ville. Sorti de prison au tout début de la décennie, après avoir purgé une peine de 36 mois pour possession d’une arme à feu chargée, le rappeur a subi une couverture médiatique douteuse pendant plusieurs années.

« Quand j’ai été libéré, le premier show que j’ai fait, c’était à L’Impérial, et la moitié de l’assistance était constituée de policiers avec des boucliers et des chiens. Ça attirait beaucoup de journalistes qui cherchaient à me faire de la mauvaise presse. Des fois, c’était ridicule… Le lendemain de mes lancements, par exemple, on parlait de moi dans les journaux pour dire que tout s’était bien passé finalement », se rappelle-t-il, sourire en coin.

« Maintenant, ça va vraiment mieux de ce côté-là. La police vient faire un tour très rapide à mon lancement, pis ça s’arrête là », poursuit-il. « Mais reste qu’en entrevue, on commence toujours ou presque en me parlant de mon passage en prison. Ça me dérange pas d’aborder le sujet, mais récemment, j’ai décidé d’enlever cette information-là de ma biographie officielle. Je préfère mettre de l’avant ma musique. »

Actif depuis plus de 15 ans sur la scène rap de la capitale, Souldia possède effectivement un bagage musical de plus en plus imposant. Bilan de son tortueux passé, ce quatrième album représente d’ailleurs l’important sacrifice qu’il a dû faire en choisissant la voie de la musique après avoir touché le fond.

« Il y a des années où j’aurais fait beaucoup plus d’argent avec le crime qu’avec le rap », confie-t-il. « Ça a été vraiment dur de pas basculer, de pas flancher, mais j’ai persévéré, et c’est maintenant que ça commence à être payant. C’est un processus long et épuisant, mais je peux maintenant dire que c’est possible. »