À 20 ans, Soran sait très bien ce qu’il veut. Paru le mois dernier sous Audiogram, son premier EP homonyme laisse jaillir le talent d’un multi-instrumentiste en plein contrôle de sa proposition musicale.

SoranQuelque part entre dance, reggae, funk et soul, cet opus rappelle tantôt Mraz ou Jackson, tantôt Timberlake ou The Weeknd. D’instinct, on se dit que son auteur doit être un jeune mélomane abreuvé à la pop dès le berceau et probablement friand des tendances radiophoniques du moment. Or, il n’en est rien : Soran Dussaigne n’écoute « aucune musique dans la vie »… mis à part la sienne.

Devant la perplexité de celui qui écrit ses lignes, il nuance son étonnante déclaration. « En fait, j’ai arrêté d’écouter de la musique depuis que j’ai commencé à en faire. Je n’ai juste pas le désir ni l’envie de me forcer à en écouter. Il y a des exceptions, quand je suis en auto ou dans des partys avec des amis par exemple. Parfois, certaines chansons que j’entends indirectement comme ça peuvent influencer ma composition. L’avantage, c’est que je m’inspire du souvenir que j’ai de la chanson, ce qui donne une création beaucoup plus originale et stimulante. »

Son héritage musical a également de fortes répercussions sur son style actuel. Fan de The Police à l’enfance, l’artiste longueuillois aux origines japonaises et françaises a profité d’un espace familial propice à la création et à l’apprentissage. « Il y avait beaucoup d’instruments partout dans la maison. Mon frère et mon père ne jouaient pas vraiment avec moi, donc j’ai dû développer cette passion-là par ma propre volonté », relate celui qui a grandi sur la Rive-Sud de Montréal. « Mon premier coup de cœur a été la batterie à l’âge de 4 ans et, encore maintenant, c’est vraiment l’instrument que je préfère. Le rythme, c’est la base de n’importe quelle chanson, c’est lui qui donne le groove. »

Curieux de nature, le jeune autodidacte apprend ensuite la guitare au milieu de l’adolescence, captivé par des prestations live d’artistes soul comme Allen Stone qu’il regarde sur YouTube. Se découvrant une voix, il présente ses premières chansons à son réseau Facebook et multiplie rapidement les centaines de vues sur ses nombreuses vidéos. « La réaction des gens était super bonne. Il y avait vraiment juste mes amis proches qui me disaient que c’était de la marde ! », lance-t-il, sourire en coin.

Le point tournant

Loin de se laisser décourager, Soran part affronter le vrai public dans les stations de métro de la métropole. Pendant un an, il redouble d’audace pour interpeller les passants qui défilent. « Pour moi, c’était la meilleure façon de pratiquer. Au bout de deux heures, je découvrais des notes que je ne pensais pas être capable d’atteindre. C’est sûr que je me scrappais beaucoup la voix, mais en même temps, c’est comme ça que j’ai compris ce que je voulais faire », observe-t-il. « Aussi, ça m’a amené à être plus humble, car la plupart des gens se foutaient de moi. Mon but, c’était que les gens s’arrêtent, qu’ils me remarquent. »

Et c’est exactement ce qui arrive en 2015 lorsqu’une employée de La Voix passe devant Soran dans le métro et l’enjoint à s’inscrire à la prochaine saison de la populaire émission de TVA. Lorsqu’il se présente à l’audition, l’artiste a 16 ans. « Sincèrement, je n’avais aucune confiance en moi. Je voyais les personnes assises à côté de moi, dont une qui avait fait une tournée mondiale avec AC/DC et une autre qui avait joué à Brodway pendant 12 ans, et j’étais très stressé », se souvient celui qui a finalement relevé l’exploit de faire tourner les sièges des quatre coachs avec son interprétation saisissante de Hotel California. « En fin de compte, j’ai compris que, contrairement à d’autres versions de La Voix dans d’autres pays, les coachs d’ici ne recherchaient pas les voix les plus puissantes, mais bien celles qui sont différentes. Je me rappelle avoir dit à Ariane Moffatt que je regrettais d’avoir faussé durant mon audition. Tout de suite, elle m’a dit qu’on s’en foutait et que l’important, c’était la singularité. »

Mémorable, l’aventure de Soran à La Voix se termine en quart de finale. Pour le principal intéressé, c’est un plan optimal qui se dessine. « Avant même de faire le concours, mon but, c’était de le perdre et de signer avec Audiogram… Et, comme par magie, le lendemain après avoir été éliminé, Audiogram m’appelait », raconte le chanteur, qui avait d’emblée été conseillé par Matt Holubowski, ancien finaliste du concours télévisé également sous contrat avec la réputée étiquette montréalaise. « Pour moi, le plus important, c’était la liberté artistique, et je savais que ce label-là était reconnu pour ça. Finalement, on a attendu mon 18e anniversaire, soit environ six mois, avant d’officialiser ma signature. »

Depuis, Soran met les bouchées doubles. Dans les deux dernières années, il s’est remis activement à la batterie, en plus d’apprendre à jouer de la basse et du piano, et de parfaire ses aptitudes de réalisateur, d’arrangeur et de mixeur avec le logiciel Logic. Bref, l’homme à tout faire a été constamment proactif, créant et enregistrant la grande majorité de son EP dans le sous-sol de sa maison familiale à Greenfield Park. « J’aime l’idée d’enregistrer quand ça me tente, de ne pas avoir à attendre après personne. Parfois, je me réveille à trois heures du matin et, jusqu’à midi, je crée une nouvelle chanson de A à Z. Ma mère est particulièrement patiente. Elle ne chiale jamais, même quand je joue de la batterie en pleine nuit. »

L’Impulse Creative

Aussi autonome est-il, l’auteur-compositeur-interprète a eu besoin de renfort en cours de route. Reconnu pour son travail sur les albums de Coco Méliès, Rednext Level et Holubowski, le réalisateur montréalais Connor Seidel est venu lui prêter main-forte pour finaliser le mini-album au studio Tempo à Montréal. « Il y avait certaines chansons avec lesquelles je ne savais plus du tout quoi faire. J’ai tout de suite pensé à Connor, car j’avais vraiment aimé son travail avec Matt. Dès les premières sessions, notre fusion était parfaite. On a refait la batterie et les pistes vocales, sans dénaturer le côté intime et spontané de mes premiers enregistrements. Je me sentais vraiment comme chez moi. »

Cette approche artistique à la fois dépouillée et instinctive transparait également dans les textes du chanteur. Écrites sur un coup de tête, les chansons de Soran arrivent comme des bombes d’émotions. On pense notamment à Emma, qu’il a créée en une soirée après que son ex-copine lui ait demandé de lui écrire une chanson d’amour. Née dans un contexte plus douloureux, Not In Love W Me a été échafaudée après qu’une fille lui ait dit « qu’elle n’était pas en amour avec des personnes, mais avec des moments ».

« Quand elle m’a dit ça, j’ai genre écrit 10 tounes en une semaine sur elle, confie-t-il. En fait, si tu écoutes bien les paroles de toutes les chansons, ça parle surtout de moi qui aime quelqu’un, mais qui ne se fait pas aimer en retour… ou plutôt qui pense qu’il ne se fait pas aimer en retour. C’est pas mal ça qui se passe dans ma tête à la seconde où je suis avec quelqu’un. Je me fais des idées négatives vraiment rapidement et, après coup, je me console avec ce qui arrive de bon. D’ailleurs, ça a été la même chose avec mon EP : je me suis dit qu’il ne marcherait pas, qu’il ne serait pas bon, et finalement, je suis content, car il m’arrive plein de surprises. »

Parmi ces récentes « surprises », on note les 120 000 vues du clip d’Emma en un peu moins d’un mois, sa nomination à titre de « New Artist of the Week » sur Apple Music et ses deux millions d’écoutes sur les réseaux de musique en continue. « Pour vrai, je comprends rien. C’est vraiment plus que tout ce que j’aurais pu imaginer, dit-il, très enthousiaste. « Ça va plutôt bien avec le streaming partout dans le monde, mais maintenant, je veux plus que ça. Je veux partir voir ces gens-là physiquement et faire de plus en plus de shows en dehors du Canada. »

Dans ce brouhaha d’excitation et de bonnes nouvelles, même ses bons vieux amis du secondaire ont rendu les armes. « Il y a deux semaines, j’ai reçu quelques textos de félicitations, notamment un du gars qui était le plus critique et le plus méchant envers ma musique à l’époque. À ma grande surprise, il m’a dit que mon EP était bon, puis il s’est excusé en me disant qu’il aurait dû me soutenir davantage. »

Visiblement, Soran s’en est bien sorti sans lui.