En 2017, l’auteur-compositeur-interprète de Vancouver Dan Mangan, primé à la SOCAN et aux JUNO, et Laura Simpson, promotrice musicale de Halifax, ont lancé un projet conjoint. Il s’agit d’une entreprise baptisée Side Door, un marché innovant de spectacles dans des lieux inhabituels. Vint la pandémie de COVID-19, et le duo fut forcé de s’adapter à cette nouvelle réalité.

« Avant la pandémie, on avait présenté environ 350 spectacles dans des salles hors normes – des salons, des complexes de curling », raconte Mangan. « On avait un partenariat avec South By Southwest. On avait une grosse campagne qui allait être déployée aux États-Unis, puis tout a été annulé. Comme tout le monde, on a été obligés de figurer comment transposer nos activités en ligne. »

À l’aide de Zoom, Side Door a organisé quelques concerts en ligne payants qui pouvaient être vus partout dans le monde par des membres SOCAN comme Danny Michel, Big Rude Jake, Whitehorse et d’autres. Tout au long du processus, Mangan a déclaré que Side Door tenait à honorer sa responsabilité en matière de licences SOCAN afin que les créateurs et les éditeurs de musique reçoivent leur juste part pour leur travail.

« On ne voulait pas que nos hôtes reçoivent un coup de fil de la SOCAN qui leur disait “Écoutez, vous devez de l’argent aux créateurs de cette musique puisque ces interprètes soumettent des programmes musicaux de leur prestation dans votre salon” », explique-t-il. « On s’est donc dit que si on avait une entente directe avec une organisation de droit d’exécution, ça deviendrait un service qu’on est en mesure d’offrir. »

« On avait déjà une relation d’affaires avec la SOCAN pour les concerts en personne », poursuit-il. « Si l’artiste était au Canada, tout le monde recevait son pourcentage habituel [basé sur le taux de redevance pour une prestation]. C’est à ce moment qu’on a commencé à recevoir des appels d’autres organisations de droit d’exécution internationales qui nous disaient “bon, alors vous exploitez une plateforme de diffusion en continu”. Et tout d’un coup, c’était vraiment confus. On paie qui? Et combien? Tout le monde a un taux de redevance différent… Les taux varient en fonction du pays et du lieu. »

« Essayer de figurer comment diviser la tarte des concerts en ligne est un autre univers complètement », continue Mangan. « Cela a été un tourbillon de technologie, d’élaboration d’arrangements sophistiqués, de création de codes [HTML] pour qu’ils puissent gérer la technologie et établir des rapports. Je suis ravi qu’on y soit arrivés et qu’on soit totalement conformes. »

Dans l’objectif de s’assurer que les concerts de Side Door sont « très connectés, intimes et viscéraux », Mangan et sa compagnie offrent plusieurs options aux artistes : « Spectacles en personne, seul ou dans un espace trouvé sur Side Door, concert en ligne interactif, ou prestation sur Zoom qui vous permet de diffuser votre spectacle à l’aide de notre technologie de “livestream”. Il y a plusieurs options pour présenter votre spectacle. On veut que ce soit un service clé en main pour les artistes afin qu’ils puissent présenter le type de spectacle qu’ils souhaitent. »

« On veut que ce soit un service clé en main pour les artistes »

Dan Mangan croit qu’il comble une niche de marché qui est mal servie et qui pourrait devenir très lucrative pour les artistes, à long terme. « Ce qu’on a appris au fil du temps, c’est que la vaste majorité des groupes en tournée n’ont pas encore d’agent », explique Mangan. « Ainsi, seul un petit pourcentage – la crème de la crème – parvient à se frayer un chemin jusqu’aux promoteurs, aux agents, aux labels et aux gérants. Ils fournissent un service inestimable en gardant les salles pleines et en atténuant les risques pour celles-ci. Comme ça elles peuvent demeurer ouvertes, ce qui est génial. »

« On n’a pas l’intention de couper l’herbe sous le pied de ces salles traditionnelles. En même temps, la majorité des groupes en tournée ont de la difficulté à donner des spectacles et à trouver leurs auditoires et à la longue ils s’épuisent. Ils abandonnent. Mon point, c’est que si ces artistes avaient accès à de petits, mais non négligeables spectacles, ils pourraient avoir une carrière viable. Ils pourraient gagner 100 000 $ par année même s’ils ne deviennent pas célèbres. C’est ça qu’on essaie d’accomplir. »

Side Door a eu de l’aide : grâce à un certain nombre d’anges financiers, dont Slaight Music, l’entreprise emploie désormais 20 personnes. « On est loin d’être rentables pour l’instant, et sans ces investisseurs, on n’aurait jamais pu bâtir la plateforme sophistiquée qu’on possède », dit-il. « On a cinq développeurs chez Side Door et ce genre d’expertise coûte cher ; ce qu’on essaie de faire, c’est créer une sorte de marché où toutes les parties prenantes trouvent ce qu’elles cherchent. »

« C’est un marché à trois volets : les artistes, les hôtes, et le public. C’est un objectif ambitieux et difficile à atteindre, mais si nous y parvenons, ce sera un coup de circuit pour les trois volets du marché. »

Et cela inclura de nouveau les artistes, puisque Mangan envisage d’ajouter un outil de déclaration de programme musical « pour que nous soyons en mesure de déclarer un spectacle au nom des artistes et de soumettre la liste des chansons qu’ils ont jouées, etc. Le but est de simplifier la vie des artistes et de leur permettre de gagner leur vie. On veut être sûrs que ces redevances sont perçues et que les créateurs de cette musique sont payés pour leur travail. »

Holly Fagan-Lacoste, responsable des affaires numériques à la SOCAN, croit que le modèle d’affaires Side Door est très innovant, surtout lorsqu’il s’agit d’ajouter une diffusion en continu des revenus pour les membres.

« C’est quand même génial qu’un de nos membres, Dan, exploite un service de concerts en ligne de portée mondiale basé au Canada », se réjouit Fagan-Lacoste. « Side Door en fait de toute évidence plus et la compagnie s’assure que les créateurs et les éditeurs soient payés. Le SOCAN ne souhaite rien de plus qu’un paysage numérique vigoureux qui favorise autant les créateurs que les services numériques et les amateurs de musique. En protégeant la valeur de la musique dans ce paysage et en nous assurant que les exigences en matière de licences sont justes et accessibles, nous réussirons à offrir le niveau de service qu’on souhaite à nos membres. »

Mangan ne cache pas sa satisfaction d’être arrivé à conclure une entente entre Side Door et la SOCAN. « Même au tout début de ma carrière, mes plus petites interactions avec un représentant de la SOCAN ont toujours été très positives », dit-il. « C’était toujours très clair qu’ils étaient là pour m’aider à me faire payer et à faire avancer ma carrière. C’est vraiment une organisation merveilleuse. »



Tradition oblige, on vous présente cinq artistes rap québécois.e.s qui se révéleront assurément à un plus grand public cette année.

 Skiifall

Les années passent, mais la question demeure : qui sera le premier rappeur anglophone d’ici à avoir un succès tangible à l’international ? Les pronostics ratés ont été nombreux, mais on a peut-être la réponse la plus prometteuse à ce jour : Skiifall.

Né à Saint-Vincent dans les Caraïbes au début des années 2000, le jeune rappeur a le talent et l’étoffe pour percer le marché américain, mais jusqu’à maintenant, c’est surtout à Londres qu’il fait du bruit. Cette plaque tournante de la musique électronique est dorénavant reconnue pour son immense bassin de rap, notamment grâce à l’émergence et à la popularité du grime et du UK drill. Et Skiifall s’inscrit à merveille dans cette tendance britannique « J’ai vécu 8 ans à Saint-Vincent et j’ai jamais perdu mon accent (NDLR l’état indépendant est une ancienne colonie britannique). Sans même le savoir, le flow que j’ai pris a des influences [de ce qui se fait à Londres] », explique celui qui a notamment fait la rencontre du producteur Sampha lors d’un récent séjour dans la capitale.

Mais bien avant d’atterrir là-bas, c’est dans un studio communautaire de l’ouest de l’île de Montréal (la maison des jeunes Jeunesse 2000 aux abords de l’autoroute Décarie) que Skiifall a fait ses premiers pas, au tout début de l’adolescence. « C’est là que je me suis vraiment développé. J’y allais chaque jour de 14h à 20h. J’ai appris à développer ma voix, à jouer avec les effets. J’ai pris toutes les opportunités qui s’offraient à moi pour enregistrer. »

Cette assiduité a porté fruit. Les premières chansons du rappeur, parues sur les plateformes en 2020, nous dévoilent un artiste en pleine possession de ses moyens, évitant les lieux communs du trap et les flows saccadés conventionnels. Rapidement, le Montréalais a été interpellé par des artistes renommés comme le rappeur britannique Knucks et le trio jazz torontois BadBadNotGood – avec qui il a collaboré sur Ting Tun Up Part II et Break of Dawn respectivement. Il a aussi attiré l’attention de Virgil Abloh, regretté fondateur de la marque Off-White et directeur artistique chez Louis Vuitton. Le designer a choisi une chanson de Skiifall pour accompagner la campagne publicitaire de sa collection en collaboration avec la NBA.

Son affection pour la musique jamaïcaine des années 1970 et 1980 (tout particulièrement celle de Lee Scratch Perry et Billy Boyo) lui confère une originalité assez marquée par rapport aux autres jeunes rappeurs qui s’abreuvent uniquement aux tendances du moment. Son rythme de parutions, aussi, détonne de celui ses homologues : il n’a que sept chansons de publiées sur les plateformes. « Je veux que les gens comprennent que ce que je fais, c’est de l’art. Je ne veux pas sortir autant de musique que certains rappeurs aux États-Unis. Dans 10 ou 15 ans, personne ne va se rappeler de tout ce qu’ils ont sorti. »

Skiifall prévoit sortir un single en janvier, mais pour le reste, impossible d’en savoir plus. « Je n’ai pas de plan précis pour les prochains mois. Et de toute façon, tout peut toujours changer. »

Lova

Contrairement à beaucoup de ses confrères de la scène rap, souvent pressés de sortir leurs premiers enregistrements sur les plateformes, Lova a attendu le bon moment avant de se lancer.

Après avoir joué dans des groupes punk, hardcore et death métal, l’artiste originaire de Québec a commencé à rapper il y a plus de 10 ans. Mais c’est seulement en 2020 qu’il a dévoilé ses premières chansons : « J’ai commencé avec des petits raps en anglais, juste après avoir découvert Wu-Tang. J’étais pas pressé de sortir quelque chose. Ce qui me drivait, c’était de faire ça en gang, dans les partys. J’avais des bons verses qui faisaient réagir, mais j’ai toujours été lucide par rapport à la qualité de mon produit. Pis at some point, je me suis senti prêt. La nouvelle décennie approchait, et j’ai décidé de sortir une chanson par mois [pour souligner ça]. »

Vague, sa toute première pièce, est parue le 1er janvier 2020. Puis, Cohen et Distance ont suivi en février et mars. Il n’en fallait pas plus pour attirer l’attention de Carlos Munoz, cofondateur de Joy Ride Records, étiquette derrière les succès de Loud, Rymz et Connaisseur Ticaso notamment. « C’est lui qui m’a approché. Mon réalisateur Pierre-Olivier Couturier avait déjà travaillé avec un artiste de Joy Ride (William Hennessey), donc le contact s’est fait [très naturellement]. »

Évoluant dans un sillon hip-hop planant aux accents R&B mélodieux, qui peut autant faire penser à Post Malone qu’à Lomepal, le rappeur de 27 ans s’est illustré dans la dernière année et demie avec trois mini-albums parus sous l’importante étiquette rap montréalaise : Cool LOL, Gluant mais hot et le tout récent EP3. La richesse des sons et des textures, fruit d’un travail de proximité avec Couturier, Tommy Banksta et David Saysum (trois amis de longue date), donne un côté très original à sa proposition.

Un premier album verra le jour cette année « en théorie ».

Le Ice

Le Ice le dit d’emblée : il ne veut pas être une star. « Même le jour où je vais arriver au peak de ma carrière, je vais pas changer », promet celui qui s’intéresse plutôt « à l’art et aux bidous qui vont avec ».

Dans un milieu (et une ère) où la célébrité devient parfois une obsession, cette authenticité a quelque chose de rafraîchissant. C’est d’ailleurs pour la conserver la plus intacte possible que le rappeur lavallois de 27 ans a attendu aussi longtemps avant de prendre le rap au sérieux. « J’ai commencé à rapper très tôt, vers 12 ans. Je parlais de choses que j’avais même pas vécues, en rappant ce qui sonnait cool. Au niveau des paroles, c’était très ‘’gagagougou’’, mais côté flow, j’étais déjà très tight », explique-t-il. « Pis à un moment donné, j’ai choisi d’arrêter. Je voulais pus rien savoir. Je trouvais que le spotlight (qu’amenait la musique), c’était beaucoup pour moi. J’aimais ça être tranquille, je me voyais plus comme un gérant [d’artistes]. »

Le Ice est finalement sorti de l’ombre, quelque part en 2019. Inspiré par l’ambition et le succès de ses compères de Canicule Records, collectif / label dont sont notamment issus Tizzo et Shreez, l’artiste s’est imposé avec des chansons à l’énergie brute comme Moto, 412 et la bien nommée J’pas une star. Beaucoup le voyaient alors comme la prochaine révélation du label, mais une mésentente entre lui et la direction de Canicule concernant la sortie de son premier album a finalement retardé son entrée en scène.

Au début de 2021, Le Ice a donc pris le taureau par les cornes, en initiant son propre label, Sal Ent (diminutif de Solide à l’os Entreprise, en référence à cette expression qui fait partie intégrante de son lexique). C’est sous cette étiquette qu’est finalement paru son album JTA L’EAU POUR UN BOUTTE en juillet dernier. « J’irais pas jusqu’à dire que je repars à neuf avec Sal Ent – car ça serait ingrat de dire ça pour Canicule, qui a quand même fait de la bonne job – mais je vois ça comme si je construisais quelque chose de nouveau. Je décolle avec ma nouvelle identité. »

À elle seule, la chanson J’partie de loin [sic] incarne cette nouvelle identité : on y rencontre un rappeur plus conscient et vulnérable, capable d’avoir un point de vue éclairé sur son parcours mouvementé. « Cette chanson veut tout dire pour moi. C’est mon parcours », dit-il. « À cause la réception de cette track-là, je veux être plus personnel dans mes prochaines chansons. Pour que les gens apprennent un peu plus à me connaître. »

Le deuxième projet du Ice, intitulé Le mouton noir, s’en vient « quelque part entre février et avril prochain ».

SLM

SLM baigne dans la musique depuis l’enfance. Élevée au son du meilleur R&B des 50 dernières années, des Temptations à Mary J. Blige, la rappeuse d’origine guyanaise a aussi bénéficié d’un bagage reggae et gospel. « Ma mère faisait partie de la chorale de l’église, donc d’aussi loin que je me souvienne, la musique prenait une grande place chez moi. »

Le hip-hop, lui, a pris d’assaut sa vie à partir de l’adolescence. Les révélations rap américaines du début des années 2010 (Childish Gambino, Tyler, the Creator, Chance the Rapper et, surtout, Nicki Minaj) l’ont grandement marquée, mais elle a mis du temps avant de se faire assez confiance pour rapper. « L’une de mes grandes forces, c’est que je suis capable d’apprendre rapidement les paroles d’une chanson. J’ai beaucoup appris en répétant les chansons des autres. Peu à peu, j’ai fait des freestyles pour moi-même ou pour des amies proches, au téléphone, dans l’auto. Ensuite, je prenais le meilleur des rimes [que j’avais inventées] et j’allais les écrire chez moi. »

Ce n’est qu’il y a deux ans que la rappeuse du quartier Notre-Dame-de-Grâce, à Montréal, a choisi de faire             quelque chose de concret avec toutes ses rimes. Dans un créneau trap moderne porté par un flow agile et une attitude irrévérencieuse, sa première mixtape SLM: The Complete Flex Season, parue en 2020, est en partie le résultat de ces années d’écriture.

« Avant ça, j’étais trop jeune pour même penser faire une carrière dans la musique. Mes parents voulaient que j’aille à l’école, que je suive mon ambition d’être vétérinaire. C’est en vieillissant que je me suis donné l’énergie nécessaire pour que la musique soit une option viable dans ma vie. Ma mère n’était pas certaine de mon choix, mais dans ma tête, à partir de ce moment-là, il n’y avait aucune raison que je ne me donne pas la chance de foncer. »

Forte d’un deuxième projet paru il y a quelques mois, le mini-album Real Talk Radio, l’artiste de 23 ans désire parler plus directement de ses tribulations, de ses doutes et de ses aspirations sur son prochain projet, prévu pour cette année. On y découvrira une signature musicale renouvelée, davantage portée vers le R&B lo-fi que le trap.

SeinsSucrer

Impossible de présenter Jessy Benjamin sans d’abord pointer l’éléphant dans la pièce, c’est-à-dire ce nom d’artiste pour le moins farfelu qu’est SeinsSucrer. « C’était carrément pour troller sur Instagram, faire rire le monde. Et avec le temps, les gens ont commencé à m’appeler de même pour vrai. »

Contre toute attente, le rappeur et beatmaker originaire du quartier Saint-Michel à Montréal a fini par bien porter son pseudonyme. « Ça définit bien le personnage », juge-t-il. « Ça évoque mon côté imprévisible, mais aussi mon côté plus débauché, dans l’optique où on imagine que le sucre sur les seins, c’est de la poudre. En même temps, le sucre, c’est aussi les bonbons, ce qui fait triper les plus jeunes. On a tous besoin de sucre. Et moi mon sucre, c’est mon juice, mon énergie. Bref, c’est ce qui m’amène à rapper. »

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le «juice» de SeinsSucrer est très concentré. En à peine trois ans d’activité sur la scène rap, l’artiste de 26 ans a fait paraître plus d’une dizaine de projets, que ce soit en solo, en duo avec le rappeur Don Bruce ou avec le producteur Dr. Stein. Uniquement en 2021, on parle de quatre albums et d’un EP.

Ces cinq plus récentes parutions témoignent assez bien de son évolution en tant qu’artiste. D’abord connu pour son mumble rap à l’Auto-Tune exacerbé, SeinsSucrer a récemment dévoilé un flow plus incisif, en phase avec son amour du rap boom bap de la côte Est américaine.

« Je suis vraiment plus en contrôle de ma voix, de mon rythme et de mes cadences », observe-t-il. « RZA disait que ça prenait 10 ans pour un master lyricist. Là, ça fait 11 ans que je rappe, et je suis au meilleur de ma qualité d’écriture et je comprends mieux que jamais les structures [de rimes et de chansons]. Je suis parti d’un vibe trap aigu à un style plus axé sur les lyrics. C’est rendu thérapeutique de rapper comme ça. Ça fait travailler ma créativité. »

Par l’entremise de ses textes, qui prennent essentiellement la forme de chroniques urbaines où règnent les situations cocasses marquées par la consommation abusive de drogues, SeinsSucrer se révèle à la fois comme un rappeur absurde et intelligent. Sa grande productivité l’a amené à trouver et développer son style à une vitesse supersonique.

Cette cadence se poursuivra en 2022 avec plusieurs autres projets, dont un entièrement produit par Jam (de la Brown Family) et un autre par Mike Shabb.



Philippe BraultLe comité pancanadien de membres de notre industrie cinématographique avait choisi Les Oiseaux ivres, long-métrage du réalisateur Ivan Grbovic, comme représentant dans la course à l’Oscar du Meilleur film étranger. Le jour même de notre entrevue avec Philippe Brault, qui en a composé la trame sonore, on apprenait malheureusement que l’œuvre n’était plus dans la course aux nominations. Néanmoins, cette sélection a ravi le compositeur : « Ma musique a voyagé avec le film, réagissait-il. C’est très dur de savoir ce que ça représente et quel impact ça peut avoir [sur ma carrière], mais de se dire qu’y’a plein de gens intéressants qui vont voir ce film, c’est quand même beaucoup. »

Reconnu comme l’un des meilleurs réalisateurs de disques au Québec (Émile Bilodeau, Koriass, Patrice Michaud, Laurence Nebonne), Brault, complice de longue date de Pierre Lapointe, a eu du flair dès sa première musique originale de film, celle de La Disparition des lucioles (2018) de Sébastien Pilote, qui a valu à son compositeur l’Iris de la Meilleure musique originale en 2019.

Auparavant, « j’avais fait un peu de musique à l’image, pour la télé notamment, mais je fais surtout des albums – et de la musique pour le théâtre, raconte Philippe Brault. Dans ma carrière, j’ai toujours suivi le cours des choses, sans me demander ce que j’allais faire plus tard. Mais, j’ai fait la musique pour La Disparition des lucioles et ça s’était très bien passé, c’était vraiment le fun à faire. Je me souviens avoir dit à ma blonde : de la musique de film, j’aimerais en faire plus. »

Il en a composé quatre ces deux dernières années, celle des Oiseaux ivres, bien sûr, et, dans un tout autre registre, celle du succès Maria Chapdelaine, réalisé aussi par Sébastien Pilote. Les deux musiques ne sauraient être plus différentes : là où celle de Maria Chapdelaine se distingue par ses orchestrations de cordes franches, ses thèmes clairement définis, ses références à la musique d’antan – la podorythmie, le son rêche de l’instrument du violoneux -, celle de Les Oiseaux ivres est nettement plus diffuse et mystérieuse, collant à l’atmosphère de ce film parfois qualifié d’onirique et d’impressionniste par les critiques.

« Oui, il y a cet aspect au film, avec ses longues séquences poétiques qui donnent l’impression de se décrocher de la réalité, commente Brault. Il y a aussi dans ce film des personnages qui n’ont pas de racines bien établies, même ceux qui croient en avoir, alors je voulais d’une musique qui n’est jamais complètement ancrée. Ce sentiment flotte dans la musique – contrairement à Maria Chapdelaine, attachée au territoire, avec ses lignes claires. Dans Les Oiseaux, on cherche nos repères, la musique devait refléter ça. »

Les orchestrations de violons sont aussi la couleur principale de la musique de Les Oiseaux ivres, mais leur effet est tout autre, reconnaît Philippe Brault, « et il y a une grosse place accordée aux instruments à vent. Les cordes font beaucoup pour rehausser les ambiances, alors que les vents ajoutent de la texture. Un autre truc que j’ai apprécié de travailler sur Les Oiseaux ivres que je ne pouvais pas accomplir dans un film plus classique comme Maria Chapdelaine, c’est de pouvoir utiliser les synthétiseurs. Ils sont cachés derrière les cordes mais contribuent aussi aux atmosphères, par exemple à travers les pulsations. Même que les violons aussi ont été traités en studio, ce qui m’a permis de mettre de l’avant des idées plus modernes ».

Le compositeur dit s’être inspiré du travail de la directrice artistique André-Line Beauparlant et de la photographie de Sara Mishara pour imaginer ces ambiances musicales : « Tout le film est tourné sur pellicule, et seulement durant les heures classiques du cinéma – au lever du soleil et à la fin du jour, dans le but d’avoir la meilleure lumière », explique Brault qui, durant la pandémie, a travaillé en étroite collaboration avec le réalisateur Ivan Grbovic, qui habitait à quatre coins de rue de chez lui, ce qui facilitait les échanges. « Les images sont donc très épiques, avec des plans larges, magnifiques, avec cette lumière inondant de grands paysages, la direction photo est très particulière. Et il y a des cadrages de caméras qui donnent de la place à la musique; ça semble un peu abstrait, dit comme ça, mais je regardais ces images comme les tableaux des maîtres impressionnistes. C’est très inspirant d’accompagner ça ! »

Au moins deux autres nouvelles musiques de films signées Brault sont déjà prêtes, attendant que les œuvres prennent l’affiche ; le musicien confirme travailler sur de nouveaux projets cinématographiques, soulignant au passage qu’une des qualités requises pour se lancer dans la musique à l’image est la patience.

« Ce que j’ai compris avec le temps, c’est que dans le monde du cinéma, les résultats de ton travail, tu les mesures deux ou trois ans plus tard, explique-t-il. Le processus qui se met en place pour faire un film est compliqué : un réalisateur accroche sur ton travail, conçoit si ce qu’un compositeur fait fonctionnerait avec le type de film qu’il développe, et à partir de là, ça peut prendre encore deux ou trois ans avant qu’il ne t’approche. C’est de longue haleine, le cinéma, je trouve – contrairement à réaliser un album. Si l’album marche bien, en général, l’année suivante, je reçois plein de demandes de collaboration. Le processus est beaucoup plus court, alors que les cinéastes peuvent penser à toi, mais ils doivent prendre le temps qu’il faut pour développer le projet. C’est un monde complètement différent. »