Avec son troisième album Poupée russe, Sarahmée va au bout de ses idées avec des textes au message «plus lucide».

En 13 chansons, la rappeuse québécoise parvient à dresser un portrait très riche de ce qui anime son cœur, sa tête et ses tripes. L’écriture est directe, sans détour, et Sarahmée mord dans ses mots avec autant de hargne, de sensibilité et d’arrogance que nécessite chaque chanson.

Cette interprétation incarnée, sentie et vivante va de pair avec le processus de création très organique de l’autrice-interprète. « J’ai laissé de côté le téléphone et j’ai ressorti le papier et le crayon », lance-t-elle fièrement au bout du fil. « Ça faisait longtemps que j’avais pas pris les bonnes vieilles habitudes. Et d’écrire pour vrai, de faire des ratures, ça m’a permis de regarder mon texte de loin, avec plus de recul. Ça m’a permis de visualiser ma musique, d’être plus structurée, d’être plus claire dans mes idées. Je suis tellement TDA sur mon téléphone, tandis que là, avec la feuille devant moi, les idées marinent plus. »

Active depuis plus d’une décennie dans le paysage rap québécois, Sarahmée met son poing sur la table avec ce troisième album. « Avec le temps, j’ai dû me raffermir », rappe-t-elle sur Quand la route est longue, signe qu’elle n’a plus de temps à perdre à prendre des détours, dans sa vie comme dans sa carrière. « Je me suis dit que si je ne prends pas ma place avec cet album-là, personne ne va me la donner. Je suis le capitaine de mon propre train », lance-t-elle.

Cette « place », c’est notamment ce statut qui lui revient dans une scène rap québécoise historiquement dominée par les hommes. Dans Elle est partie, chanson qui dénonce les nombreuses couches de sexisme qui nous entourent, elle lance quelques flèches à ces figures du rap local qui ont « trop d’égo pour dire qu’une femme est leur collègue ».

Ce genre de phrases reflète très bien l’aplomb de Poupée russe. « Maintenant que j’ai l’attention des gens, c’est le temps de shooter ce que j’ai à dire », affirme Sarahmée. « À Irréversible [deuxième album paru en 2019], personne ne m’attendait, tandis que là, je sentais que j’avais un public prêt à m’écouter. »

Avec le micro comme porte-voix, la rappeuse aborde plusieurs enjeux brûlants d’actualité comme le racisme systémique et les violences policières. « Jeune femme et noire, j’ai peur de la police », lance-t-elle sur la pièce-titre, avant d’y aller d’un percutant « sois t’es un allié, sois t’es leur complice », déclaration qui invite fortement à prendre position dans la foulée du mouvement Black Lives Matter.

« Mais je suis consciente que ce n’est pas tout le monde qui est à l’aise avec l’idée de prendre position », nuance Sarahmée. « Moi, j’ai la parole facile, je réfléchis constamment [à toutes ces questions], mais je fais aussi attention à ce que je dis. Je ne veux pas être porte-parole pour tous les groupes sociaux. Je suis Sarahmée, et on ne m’a pas élue pour parler. Avec le temps, j’ai dû apprendre à me taire. »

De là l’idée d’affirmer davantage ses positions dans sa musique plutôt que dans les médias, comme elle l’a fait l’an dernier. « À un moment donné, je me suis dit : ‘’Je ne suis pas une chroniqueuse [qu’on invite seulement] pour parler de racisme !’’ Je sentais que, des fois, je n’avais pas d’affaire là. »

Au lieu d’accepter toutes les invitations, Sarahmée a pris du temps pour elle. Et c’est ce recul qui lui a permis d’écrire des chansons aussi éclairées, dont certaines touchent à des zones tout particulièrement intimes de sa vie.

C’est le cas de Partir plus tôt, pièce qui aborde de front son problème de consommation. « C’est une chanson autobiographique, qui parle de ce qui m’est arrivé après Irréversible. Ça a été une très belle année, mais aussi une année très difficile. Vers la fin, c’était quand même assez grave… » confie-t-elle. « J’ai dû prendre une décision : celle de prendre ma vie en main. Je suis allée en thérapie, j’ai fait un cheminement qui m’a sauvée. Et ça m’a appris plein de choses. Des choses simples comme le fait qu’on n’est pas toujours obligé de se torcher dans un party. Heureusement que j’ai fait ces démarches, car mon problème débordait dans plein d’affaires, notamment sur ma musique, mon rythme de travail, mon équipe… Il fallait que ça cesse. »

Avec ses cordes vibrantes et dramatiques, Partir plus tôt forme un contraste assez saisissant avec le reste de la direction musicale de l’album. Aux côtés de ses fidèles alliés Tom Lapointe et Diego Montenero, les deux producteurs qui composent le noyau dur de son équipe, Sarahmée a échafaudé un album aux allants trap et afropop fougueux, qui a pris forme en novembre dernier dans un chalet de création.

« Cette fois, ça me tentait pas du tout de faire 50 000 chansons pour finalement en choisir une quinzaine. J’haïs ça ! » dit-elle, évoquant le processus plus lourd qui a mené à Irréversible. « Les gars ont mis la grosse énergie sur les prods, donc j’avais un gros challenge. Fallait que mes textes accotent ! »

Une mission qu’elle a réussie haut la main, avec les idées plus claires et l’esprit plus libre que jamais.