Le doyen des détenteurs de doctorat en composition électroacoustique de l’Université de Montréal profite d’une année sabbatique pour se consacrer à la composition. Au lendemain de la sortie de Palimpsestes, son sixième disque solo chez empreintes DIGITALes, Robert Normandeau termine une résidence de composition de deux mois au ZKM (Centre d’art et de technologie des médias) en Allemagne, organisme international de premier plan en art médiatique et haut lieu de diffusion des musiques émergentes. Cette résidence est le résultat du prix Giga-Hertz 2010, décerné par le ZKM pour Jeu de langues, qui figure aussi sur Palimpsestes.

« Il y a ici un studio de production avec des installations absolument fabuleuses!, lance Robert Normandeau. On y trouve un grand dôme de haut-parleurs installé en permanence pour la présentation de concerts. L’université de Montréal possède aussi un dôme du genre qui s’inspire de celui du ZKM. » Faut-il rappeler que Robert Normandeau a co-fondé Réseaux en 1991, avec Jean-François Denis et Gilles Gobeil : cette société de concerts dédiée à la diffusion des arts médiatiques, a présenté les séries de concerts Rien à voir, devenues Akousma. Récipiendaire de plusieurs prix Opus, il remportait en 1995 le prix Jan V. Matejcek (Nouvelle musique classique) de la SOCAN. En 2005, il faisait paraître Puzzles, des musiques de théâtre adaptées au concert, fruit des nombreuses collaborations (depuis 1993) avec notamment les metteurs en scène Brigitte Haentjens et Denis Marleau.

Palimpsestes
La pièce homonyme du disque a été justement commandée par le ZKM en 2005. « À l’origine, Palimpsestes est le 4e volet du cycle Onomatopées (Éclats de voix, 1991, Spleen, 1993, et Le renard et la rose, 1995 – respectivement consacrées à l’enfance, l’adolescence, l’âge adulte et le troisième âge). Les quatre pièces partagent la même structure, bien que les matériaux sonores sont différents. Pour Palimpsestes, j’ai ajouté une couche supplémentaire comme c’est le cas dans un palimpseste où l’on efface les textes précédents (ici, sonores) pour y coucher un autre texte. Il est vrai que l’électroacoustique, c’est un peu ça aussi, dans le sens de la superposition. Dans ma démarche, je travaille plutôt avec des sons d’origine acoustique, plus vivants, et peu de sons de synthèse. Mon travail de composition consiste à faire oublier le caractère anecdotique de ces matériaux enregistrés (le fameux son-sens) et de les musicaliser.

« Dans Jeu de langues, les sons ont été produits par des instrumentistes à vents, dont j’ai voulu conserver le rythme naturel et le souffle. Ce sont les matériaux qui révèlent leur nature, et en les combinant, on n’a pas à les transformer beaucoup. Les outils technologiques de transformation sont maintenant très sophistiqués, et on a parfois l’impression que les pièces produites en électroacoustique se ressemblent un peu toutes… J’essaie de me singulariser justement en conservant les couleurs. » On peut lire dans le livret que la pièce résolument « haletante » est en fait sa contribution à l’érotisme qui a peu été abordé en musique.

Quand on se compare…
On a beaucoup vanté l’Allemagne qui favorise et encourage la culture en général et la musique en particulier. « Il y a très peu d’électroacoustique en Allemagne. On a encore la fausse image d’un courant à l’époque de l’omniprésence de Stockhausen. L’électro est encore marginal, mais ça a généré ensuite l’émergence de compositeurs en électroacoustique de ma génération. » Et le Québec? « C’est impeccable. Les plus grandes capitales du monde ne rivalisent même pas avec Montréal par exemple : trois universités et un Conservatoire enseignent l’électroacoustique, et deux sociétés de concerts professionnelles y sont dédiées… L’activité économique permet à beaucoup de compositeurs de faire des sous, et pour certains d’en vivre. Le théâtre à Montréal commande beaucoup de musiques originales, et là-dessus, y a pas mal de gens en électroacoustique, incluant toute l’industrie des jeux vidéos, la post-production au cinéma et à la télévision. »

Électro : signe des temps
« Pour le néophyte absolu, l’approche est beaucoup moins aride depuis les années 90, explique-t-il. Les sonorités électroacoustiques sont extrêmement répandues auprès d’un public plus large, et l’oreille humaine y est mieux formée, si ce n’est que grâce à la musique techno et au phénomène des DJ, entre autres. Aujourd’hui, on peut espérer que l’auditeur au concert ira un peu plus loin que le premier niveau de perception. » Robert ajoute que depuis 2009, l’université de Montréal offre une mineure en musiques numériques (à venir un bac complet en 2013). « Ça permet à ceux qui n’ont pas de formation musicale, mais qui bidouillent des sonorités avec leur portable, d’accéder à un programme de formation universitaire. Et c’est une excellente locomotive pour ceux qui voudraient pousser plus loin, vers la création pure. »

Nouvelle création
De sa résidence, est issue d’abord la pièce encore inédite La part des anges, commandée et récemment créée au ZKM. « Mais mon grand projet cette année est une commande de l’ensemble de six percussionnistes SIXTRUM, une adaptation pour le concert de Le renard et la rose pour percussions voix et électroacoustique. Ça fait bientôt trois ans qu’on y travaille, et je serai au Banff Centre of the Arts pour des séances de travail. » Robert Normandeau se rendra ensuite en studio à Morelia, au sud du Mexique, pour une résidence de quatre mois. « Il se passe des choses très intéressantes en électroacoustique dans des pays très forts, comme le Brésil, l’Argentine, le Chili et le Mexique. Avec de nouvelles démocraties, un regain économique, revient l’intérêt pour l’art et un réinvestissement dans la culture. C’est très stimulant parce que le Québec a une affinité particulière avec le Mexique, et je souhaite qu’on développe plus encore les liens entre nos deux pays. »