Il y a maintenant plus de huit mois que les autorités de la santé publique nous imposent le confinement en réponse bien justifiée à la propagation du virus de la COVID-19. Ces huit mois ont été très difficiles pour les créateurs de musique, mais quelques-uns ont eu recours à leur créativité pour surmonter les défis que comporte la présentation sécuritaire de spectacles en personne, tout particulièrement l’été dernier, entre les deux vagues d’infection.

Le duo R&B torontois DVSN est parmi ceux qui ont connu le plus de succès avec la présentation de sept concerts au tout nouveau CityView Drive-In, au centre-ville de Toronto, sur les rives du lac Ontario. Daniel Daley et Anthony Paul « Nineteen85 » Jefferies ont rempli le stationnement de cet espace à cinq reprises en août et deux fois en octobre, permettant ainsi à un total de 1500 véhicules remplis de spectateurs un petit répit de leur confinement. Les billets pour ces événements s’envolaient avant d’avoir pu crier « oiseau ! » tellement les gens avaient hâte d’entendre les chansons du plus récent album de DVSN, A Muse In Her Feelings.

« On a toujours eu une excellente réputation pour nos spectacles », expliquait Daley en entrevue avec le Toronto Star. « Les spectacles sont très importants pour moi en tant que chanteur, ils me donnent des ailes. On voulait trouver une façon de contribuer à notre société. Comment peut-on donner au suivant ? En fin de compte, notre musique est notre cadeau à la société. Si c’est comme ça qu’on peut contribuer au bonheur des gens, même pendant un bref instant, trouvons une façon de le faire. »

Leurs spectacles respectaient les règles de distanciation sociale : tous les véhicules étaient stationnés à une distance sécuritaire les uns des autres, les gens devaient demeurer dans leurs véhicules à moins d’aller se procurer des consommations ou d’aller à la salle de bain de la boîte de nuit Rebel, l’autre côté de la rue.

« C’est une expérience très différente ; ça n’est pas comme si les gens étaient côte à côte et que l’énergie et la synergie que cela engendre existaient », poursuit Daley. « Les gens sont plus espacés, certains sont dans leur voiture, d’autres pas, certains sont assis sur le toit de leur véhicule. Il y en a qui applaudissent, d’autres qui klaxonnent ; il y a toutes sortes de réactions différentes. C’est une satisfaction très différente. »

Mais DVSN n’était pas les premiers artistes à donner des concerts dans un ciné-parc. Très tôt dans cette pandémie, July Talk ont été les premiers à annoncer deux spectacles dans un ciné-parc de Sharon, ON, en août dernier. Mais le premier qui a réellement donné un tel spectacle a été Brett Kissel qui a présenté huit performances au cours d’un seul week-end dans le stationnement d’un casino d’Edmonton en juin et qui ont été captés pour une émission spéciale sur les ondes de CTV intitulée Brett Kissel at the Drive-In. Après avoir obtenu l’autorisation de Alberta Health Services pour la présentation de ces concerts, Kissel a mobilisé ses musiciens et quelques partenaires corporatifs afin de monter une scène improvisée. Il y a ajouté une composante caritative en amassant des fonds pour les banques alimentaires et en réservant deux de ces prestations aux employés du système de santé qui travaillaient sans relâche pour traiter les victimes du virus.

« Je voulais m’assurer qu’on fasse quelque chose de bien pour ces travailleurs de première ligne, ces héros des soins de santé », déclarait Kissel au Toronto Star. Kissel donnait donc quatre spectacles par jour entre midi et minuit et ses musiciens respectaient les règles de distanciation sociale et jouaient derrière des panneaux de Plexiglas.

« Si je me fie à mes réseaux sociaux, c’est un souvenir qui sera impérissable pour beaucoup de gens », dit-il. « Ils klaxonnaient tellement que j’en ai eu les larmes aux yeux à quelques reprises. On a créé un sens communautaire, du réconfort et de la joie comme je n’avais jamais ressenti dans toute ma carrière. »

Cela dit, les ciné-parcs ne sont pas la seule solution pour présenter des spectacles en temps de pandémie. Les micro-concerts, durant lesquels les musiciens peuvent se produire en toute sécurité devant des auditoires d’une personne ou de deux, trois ou quatre membres d’une même famille à la fois, sont également très populaires. Le Festif ! de Baie-Saint-Paul, au Québec, a présenté une série de « concerts devant ta porte » où les musiciens jouaient une chanson devant la maison d’un citoyen avant de passer à la suivante pour en chanter une autre. Matt Masters de Calgary présentait des concerts de trottoir à ses fans durant lesquels il chantait sur le toit de sa minifourgonnette devant la résidence des gens. En Colombie-Britannique, Jeff Stevenson chantait ses chansons aux à des groupes d’embarcations depuis les rives du havre d’Esquimalt. Au Québec, Stéphanie Bédard a eu une idée semblable en présentant sa « Tournée des lacs ». À Montréal, Dear Criminals a présenté une série de 72 « concerts » d’une seule chanson à deux personnes différentes chaque fois sur une période de trois jours au Lion d’Or.

“Aller voir un spectacle de musique est une des façons de garder la forme et le moral”—Chantal Kreviazuk

L’auteur-compositeur-interprète Michael Bernard Fitzgerald a passé la majeure partie de l’été dernier à interpréter les chansons de son plus récent album, Love Valley, d’abord par l’entremise de microconcerts dans la cour de sa résidence de Calgary, puis en tournée avec sa propre scène mobile baptisée The Greenbriar qu’il promenait de ferme en ferme dans la campagne juste à l’extérieur des grands centres, annonçant toujours ses spectacles le jour même, ce qui a permis de créer un sens de spontanéité et d’exclusivité.

« C’est un chapiteau », explique Fitzgerald. « On le transporte dans un camion un peu partout au Canada et on donne environ cinq spectacles par semaine. » L’auditoire est restreint : cinq tables à distance réglementaire réservées aux gens qui achètent leurs billets à l’avance. Nul besoin de dire que ça comporte son lot de défis, si prévisibles soient-ils. « Comme se rendre compte que le chapiteau prend trois heures à monter », admet-il. « Ou se rendre compte dès le premier soir qu’il va falloir chauffer le chapiteau… sans parler de la première fois qu’il a neigé. »

Malgré tout, Fitzgerald croit qu’il répond à un besoin, tant pour lui-même que pour son auditoire. « Je me sens bien quand on joue », dit-il. « Les spectacles durent deux heures durant lesquelles je passe un bon moment avec ces gens, on rigole, on jase et je joue des chansons. C’est ma contribution. »

Le Io Project est un projet semblable au Greenbriar de Fitzgerald. Il s’agit d’un nouveau concept de scène mobile « anti COVID » qui permet de présenter des concerts de manière sécuritaire à un auditoire pouvant atteindre 250 personnes réunies en « bulles » de 2 à 4 personnes, chaque « bulle » étant séparée des autres par du Plexiglas.

Malgré cela, d’autres musiciens s’en tiennent aux bonnes vieilles habitudes : Chantal Kreviazuk a récemment complété une tournée de 35 dates dans des salles de spectacles « à sièges rembourrés » afin de promouvoir son nouvel album, Get To You. De toute évidence, ces spectacles sont présentés devant des auditoires restreints qui varient de 50 à 150 personnes en fonction des restrictions locales et provinciales en vigueur.

« J’ai tout fait moi-même et je me déplaçais seule de spectacle en spectacle », raconte-t-elle. « Cette tournée est pour ma propre santé mentale et pour servir mon pays. Nous avons besoin de ce sens de la normalité et d’un peu de divertissement pour oublier cette pandémie. C’est une belle chose que je peux offrir aux gens, puisque je suis assise seule au piano et je ne me déplace pas beaucoup sur scène. J’arrive, je monte sur scène avec mon propre micro, je chante, puis je repars. »

Kreviazuk prévoit revenir au Canada (elle habite Los Angeles) l’an prochain pour « ce qui ressemblera plus à une résidence » et elle explique que de surcroît, sa tournée permet aux salles de spectacles de garder un lien avec leurs spectateurs fidèles. « Ce pays m’a soutenu. Ces salles m’ont vu grandir », dit-elle. « On a tous souffert de cette situation et aller voir un spectacle de musique est une des façons de garder la forme et le moral. »

« C’est un métier très gratifiant et important. »