Ralph Murphy écrit des chansons depuis l’époque où, comme il aime le dire, « Dieu portait des culottes courtes ». Et ses succès s’étalent sur plusieurs décennies.

Ce légendaire membre de la SOCAN établi à Nashville et intronisé au Canadian Country Music Hall of Fame en 2012 a notamment écrit « Good Enough to Be Your Wife », chantée par Jeannie C. Riley (2e position dans les palmarès) en 1971, coécrit — en compagnie de Bobby Wood — les numéros 1 aux palmarès pour Crystal Gayle (1978) « Half the Way » ainsi que « He Got You » pour Ronnie Milsap (1980) et, plus récemment, le numéro 2 sur les palmarès britanniques « 21 st Century Christmas » pour Sir Cliff Richard en 2006.

Ses chansons ont été reprises par Randy Travis, le regretté Don Williams, Ray Price, Shania Twain, Kathy Mattea, Little Texas et, de l’autre côté de l’Atlantique, Brotherhood of Man et Vanity Fare.

Disons qu’à 73 ans, on peut dire de Murphy qu’il en sait un bout sur la création de chansons, et si sa carrière qui dure depuis un demi-siècle lui a appris une chose, c’est que plus ça change, plus c’est pareil.

Les cinq conseils cruciaux de Ralph Murphy pour les auteurs-compositeurs
• Écrivez toujours le deuxième couplet en premier.
• Passez à autre chose.
• Si vous n’avez pas de personnalité, louez-en une ; une belle personnalité peut vous mener loin.
• Pas de détails inexpliqués. Pas de dos d’âne. Pas de mots de trois syllabes dans un espace à deux syllabes.
• Utilisez le pronom « tu » dans les 30 premières secondes de votre prochain Numéro 1.

« Les seules choses qui changent sont le vocabulaire et la technologie », explique Murphy, dont le livre Murphy’s Laws of Songwriting : How to Write a Hit Song a été salué par bon nombre d’artisans reconnus du monde de la musique. « La structure demeure la même. Prenez le nouveau “hit” de Taylor Swift [“Look What You Made Me Do”] : c’est l’exemple parfait de quatrième forme — la rime change dans le prérefrain et utilise le pronom “you”. Le “bridge” – ce que j’appelle le “mur des deux minutes” est exactement là où il doit se trouver. »

Murphy — dont la maison d’édition Picalic Group of Companies qu’il dirige conjointement avec Roger Cook a également créé un autre No 1 pour Crystal Gayle, une fois de plus coécrit avec Bobby Wood, « Talking in Your Sleep » — était l’hôte du SOCAN House Song Camp dans le cadre de la plus récente édition du festival-conférence BreakOut West qui avait lieu, cette année, à Edmonton la semaine dernière.

La SOCAN a sélectionné une douzaine d’auteurs-compositeurs qui ont participé à cet atelier interactif. Murphy avait son plan de match : « J’analyse tous les numéros de l’année et leur structure », explique-t-il. « Puis j’écoute les chansons de tous les participants, je leur fais réécrire le jour même puis rejouer le lendemain matin. Puis, je leur donne un devoir basé sur la structure et un titre — ils doivent tous travailler avec le même titre. »

Ainsi, Murphy se retrouve à écouter une douzaine de chansons avec le même titre et l’analyse révèlera à quel point les participants ont suivi, ou non, ses instructions. « Pas deux chansons ne sont semblables, c’est vraiment fascinant », poursuit Murphy.

Murphy est né à Saffron Walden, Angleterre, et est arrivé au Canada – à Wallaceburg, Ontario – à l’âge de six ans, puis, comme à peu près tout le monde sur la planète, il a été « renversé » par les Beatles lors qu’il avait 16 ans. En 1965, à l’âge de 19 ans, il décide de s’établir là où se trouve l’action.

« Les seules choses qui changent sont le vocabulaire et la technologie. La structure demeure la même. »

« Je me suis acheté un aller simple sur un navire en direction de Liverpool », se souvient-il. « Un jour, les Kinks se sont aventurés dans un club où je jouais avec Jack Klaysen. Après le spectacle, ils sont venus nous voir et nous ont dit : “vous êtes vraiment bons, les gars ; qu’est-ce que vous faites à Liverpool ?” J’ai répondu : “c’est ici que ça se passe où tout se passe.” Ils m’ont répondu : “Non ! Ils viennent ici nous mettre sous contrat, mais après on part à Londres ; c’est là que sont tous les studios, les gérants, les producteurs et les maisons de disque.” Et j’ai dit : “Eh ! bien, on est foutus ! On n’a presque plus un rond.” »

Le « roadie » des Kinks leur a offert deux places dans leur fourgonnette qui partait en direction de Londres le lendemain matin à l’heure inhumaine de 5 h du matin. « Nous avons accepté leur offre », de poursuivre Murphy, « et trois mois plus tard nous avions un contrat de disque et c’est Tony Hatch qui produisait notre enregistrement. Il m’a tant appris au sujet de la création musicale. »

Le duo a été mis sous contrat par Pye Records et Murphy a signé une entente d’édition avec Mills Music. Ils se sont fait connaître d’abord comme les Guardsmen, puis comme les Slade Brothers et ont assuré les premières parties des tournées britanniques des Byrds, Walker Brothers, Hollies et de Wayne Fontana & The Mindbenders.

En 1969, Murphy s’est installé à New York et a fini par produire l’album classique d’April Wine On Record (1972) où l’on retrouvait leurs deux « hits » nationaux, « You Could’ve Been a Lady » et « Bad Side of the Moon. » Il a également produit l’album suivant du groupe, Electric Jewels, ainsi que des enregistrements pour les groupes canadiens Mashmakhan, Shooter et Brutus, pour ne nommer que ceux-là.

Puis, contre toute attente, c’est l’appel de Nashville qu’il a entendu. « J’ai accidentellement eu un “hit” country — mes racines Wallaceburgiennes — et un immense succès avec “Good Enough to Be Your Wife” de Jeannie C. Riley qui a grimpé jusqu’en deuxième position », se souvient-il. « Cette chanson a remporté un prix ASCAP en 1972, et j’ai visité Nashville pour la première fois. Je suis immédiatement tombé en amour avec la ville. Je venais d’avoir des enfants et ils se faisaient embêter au parc. Tout et tous semblaient me dire “Va à Nashville”. »

À son arrivée, Murphy a découvert une vérité universelle au sujet de la création musicale. « Les structures que l’on m’a apprises en Angleterre et qui fonctionnent dans la pop et le rock fonctionnent aussi dans le country », explique-t-il. Murphy en a identifié sept dans Murphy’s Laws et affirme que seulement trois sont utilisées efficacement. Il sait également si une chanson a ce qu’il faut pour être un « hit » après tout au plus 60 secondes d’écoute. Il affirme que le seul genre de compositions auxquelles sa formule ne s’applique pas est la musique électronique, car elle est « généralement entre 120 et 130 “beats” par minute et faite pour faire danser les gens. »

Selon Murphy, le meilleur moment pour écrire est le matin, lorsque nos idées sont claires. « En soirée, surtout si vous ajoutez l’alcool ou la drogue à l’équation, on perd notre concentration. Les choses deviennent plus personnelles », dit-il.

« J’écris des chansons impersonnelles parce qu’ainsi, elles peuvent être chantées n’importe comment par n’importe qui. Ce sont des hymnes. Chaque jour, je tente d’écrire la chanson ultime, la chanson qui invitera les gens, qui les inclura, qui les fera sentir aimés et qui leur donnera envie de la chanter. »

 



Paupière deboutPour être honnête, on n’attend pas d’un musicien qu’il soit au meilleur de sa forme au lendemain de son lancement. Pourtant, lorsqu’on joint Éliane Préfontaine, l’une des trois membres du groupe électro pop montréalais Paupière, complété par Julia Daigle et Pierre-Luc Bégin, elle semble prête à attaquer avec entrain l’obligatoire journée de promotion pour À jamais privé de réponses, un premier album qui mérite bien d’être célébré.

« On a toujours le cœur à la fête, mais disons que je suis un tout petit peu plus sage qu’avant », reconnaît-elle d’emblée. « On a appris à la dure lors de notre première tournée en France que ce n’était peut-être pas une bonne idée d’être constamment sur le party quand tu dois jouer tous les soirs. Le jour où on est débarqués, pour les TransMusicales de Rennes, en Bretagne, on devait rencontrer pour la première fois les gens de notre future maison de disques et la combinaison de l’alcool et du décalage n’a pas donné de très bons résultats. Disons seulement que la soirée s’est terminée par une chicane mémorable. »

Heureusement pour le groupe, les gens d’Entreprise, l’un des labels français les plus intéressants de l’heure, n’ont pas tourné les talons et leur ont ouvert les portes de l’Europe, où leur électropop aux forts accents eighties semble trouver des oreilles très réceptives. La maison parisienne, qui compte aussi dans ses rangs des groupes comme Moodoïd, Grand Blanc, Fishbach ou Bagarre, partage le même genre de direction artistique que leur label montréalais, Lisbon Lux. « C’est formidable d’être aussi bien encadrés par des gens qui croient en nous, d’autant que lorsqu’on a commencé le groupe, on ne pensait certainement pas à en faire une carrière » se souvient Éliane.

Ce premier album marque une nette évolution depuis la parution de Jeunes Instants, leur premier EP, et pousse vers de nouveaux sommets leur version très personnelle d’une chanson électropop un brin rétro. Complètement décomplexée, leur musique puise autant dans la synth pop britannique des années 80 que dans la variété française, approchant tous les genres sans la moindre ironie. « On évite de donner un genre spécifique à notre musique, mais à partir du moment où une de nos chansons s’est retrouvée en rotation forte à Énergie (Rex, aussi en lice pour le Prix de la chanson SOCAN, NDLR), on s’est mis à assumer de plus en plus l’idée qu’on fait de la pop. On est toujours un groupe underground et on a des chansons dont les textes sont sombres et minimalistes, mais tous les trois, on cherche à créer des hooks mémorables. »

Lorsqu’elle parle de la musique de Paupière, Julia emprunte souvent à d’autres formes artistiques, comparant leur premier album complet à un long métrage et décrivant des chansons individuelles comme des nouvelles, qui ont chacune leur protagoniste. Les arts visuels (le milieu dont est issu Julia) font aussi partie de l’équation, tout comme le théâtre, d’ailleurs. « Comme on créée essentiellement sur ordi et pas lors de jams, comme un band rock, le défi a d’abord été de trouver comment transposer nos chansons sur scène de façon intéressante, explique Éliane. On pense de plus en plus à notre approche scénique : on travaille avec un metteur en scène et on essaie d’incarner chacune de nos chansons de manière à plonger le public dans notre univers. »

C’est dans un univers nocturne, éclairé par la lumière blafarde des néons, que nous convie Paupière, qui nous invite à une expérience sensuelle où l’on voit avec les oreilles ou l’on écoute avec les yeux, c’est selon. « Au travers de mes paupières je perçois l’univers d’une autre manière », entend-on dès la première chanson, D’une autre manière. Le groupe a-t-il vraiment changé sa perception du monde et de la musique ? « Il y a un peu de vrai là-dedans ; disons qu’on a peut-être acquis une certaine maturité, confirme Éliane. On a vécu nos « Jeunes Instants » avec le premier EP et on a l’impression d’être allés un peu plus loin sur l’album, même si on a l’humilité de dire qu’on demeure « À jamais privé de réponses. »



Aujourd’hui, Pierre Kwenders a passé autant d’années dans son Kinshasa, Congo, natal que dans son Montréal d’adoption. « C’est difficile de me détacher de ma ville natale qui m’a vu grandir, encore plus difficile d’ignorer que c’est elle qui a fait de moi un homme », soutient le musicien. Il promet ainsi, notamment avec son deuxième album, MAKANDA at the End of Space, the Beginning of Time, paru au début du mois, de ne jamais être très loin de Kinshasa, ni de Montréal : « Je rends hommage à l’une et je participe à la culture de l’autre. »

Quatre langues et des styles multiples arrivent à un consensus dans la musique et les mots de José Louis Modabi, alias Pierre Kwenders. On ne donne pas de recette, pas d’ingrédient et aucun moule. L’artiste est le digne représentant d’une musique qui se veut sans étiquette, sinon celle porteuse d’un message général : « L’amour, le partage et la joie de vivre. Parce qu’il faut savoir aimer pour partager et dans le partage, on transmet la joie. Cette joie-là même nous permet d’affronter la vie », soutient-il.

C’est avec Tendai Maraire, un des membres du duo hip-hop Shabazz Palaces, que MAKANDA a été réalisé à Seattle. Pour Kwenders, c’est là que se trouve toute l’unicité du projet, le réalisateur lui ayant permis d’embrasser davantage la chute des conventions. « Il est le grand génie derrière la composition musicale du projet. Je crois qu’en studio nous voulions tous que cet album soit meilleur que nos propres attentes, se rappelle-t-il. Les différentes couches musicales sont une forme de voyage vers différents mondes, mais autour d’un seul astre. » Les voyages s’entendent dans la multiplicité des couches musicales qui se superposent de façon symbiotique sans jamais détonner. Et si on avait connu PK grâce à son appartenance au hip-hop, on demeure interpelé par ce qu’il qualifie maintenant de hip-hop modérée. « En ce qui me concerne, je m’attarde à faire du pseudo-rap dans les chansons comme Rendezvous et Woods of Solitude. »

Les rythmes électros, eux, ne sont pas sans rappeler les expériences Moonshine, soirées dansantes montréalaises qui surviennent chaque samedi suivant la pleine lune et dont PK est l’un des fondateurs. « L’identité de Moonshine repose beaucoup sur la fraternité, la communauté, la persévérance et le partage du bonheur. C’est un peu ce que je veux transmettre avec MAKANDA. »

Même si le musicien supprime les catégories et est rebuté par le terme « musique du monde », plusieurs tenteront de lui donner un micro précis. Or, pour lui, la particularité de la musique c’est qu’à la base, elle est la même dans toutes cultures : elle réconforte. « Elle nous accompagne dans la joie et la douleur, dit-il. Le contexte peut être différent lorsqu’on s’attarde à la géographie ou à son ethnomusicologie, mais ce que nous ressentons reste pareil dans tout contexte. Lorsque nous comprendrons cela, je crois que toutes les barrières tomberont d’elles-mêmes. »

MAKANDA est ce qui permettra à Pierre Kwenders d’en dire davantage à son sujet. Il a d’ailleurs désormais plongé de tout son être dans sa passion musicale, délaissant aujourd’hui la carrière de comptable qu’il avait auparavant choisi de mener en parallèle. Dans les rythmes, la langue et les thèmes, MAKANDA nous parle du Congo, bien sûr, mais de l’identité aussi. Et, bien que le Québec soit confronté à de plus en plus de questions concernant l’immigration et l’arrivée de cultures nouvelles ici, Pierre Kwenders croit que la musique sera toujours l’expression la plus personnelle de l’identité. « Il y en a qui diront que la peur de l’étranger est un sentiment humain, mais moi, je crois plutôt au dicton qui dit que lorsqu’on est seul, on court plus vite, mais qu’ensemble on va plus loin. Essayons plutôt de s’unir et de faire du Québec une grande nation fière de sa diversité que de prétendre au contraire. »

MAKANDA semble délivrer l’humain derrière l’artiste. Pierre Kwenders nous révèle un album volontairement sans catégorie dont la complexité contient pourtant un message simple, celui du partage de la joie : « Je me sens un peu comme ce jeune garçon ou cette jeune fille qui atteint l’âge adulte, quitte la maison des parents et décide d’affronter la vie de plein fouet. Je pense qu’avec MAKANDA, je suis prêt. »