Pour de nombreux producers canadiens, pouvoir se vanter que vos créations ont été utilisées sur l’album certifié platine d’une des plus grandes vedettes internationales du hip-hop et de la pop est un rêve essentiellement inatteignable. Mais ce rêve est devenu réalité pour la producer, DJ, et créatrice de Bimbo Radio, Blank.

« Mon équipe de gérance, NWYE [Not What You Expected], a organisé une séance d’écoute à New York et m’a demandé si ça m’intéresserait d’y jouer mes “beats”. J’ai accepté et j’ai retiré toutes mes économies de la banque afin de pouvoir m’y rendre », explique l’artiste depuis sa demeure torontoise. « J’avais une idée des gens qui seraient présents, mais j’étais quand même dans le noir. Lors de la séance d’écoute, j’ai joué quelques-uns de mes enregistrements et les gens ont perdu la tête. Je pense que je n’ai finalement joué que 5 de mes “beats” ce soir-là, car les gens n’arrêtaient pas de me demander de rejouer les mêmes encore et encore. C’est à partir de là que ma musique s’est rendue jusqu’aux oreilles de Nicki Minaj. Le plus drôle, c’est que j’avais créé ce “beat” en 2016 et je l’avais envoyé à Tanisha [la gérante de Blank et fondatrice de NWYE], en indiquant qu’il était destiné à Nicki Minaj. »

En fin de compte, deux des productions de Blank se retrouveront sur l’album Queen de Minaj paru en 2018, soit « COCO Chanel » (feat. Foxy Brown) et « Inspirations Outro ». Lorsqu’elle repense au moment où elle a su que ses « beats » avaient finalement été choisis pour l’album de la méga vedette, c’est aussi surréaliste et excitant que le jour même.

« Je ne me suis pas laissé emporter, parce que je savais que tout pouvait encore arriver », confie-t-elle. « Je regardais mon fil Instagram et j’ai vu un message de Nicki Minaj. C’était une vidéo d’un haut-parleur, j’ai mis le son, et “boop !” Juste comme ça. Ma production avec la mention “on teste de nouveaux haut-parleurs”. Deux jours plus tard, l’album était lancé. C’était officiel. »

Née de parents barbadiens, Blank a grandi en écoutant tous les genres de musique provenant de partout à travers le monde, ce qui a contribué à informer son amour de la musique et sa fascination profonde pour tout ce qui entre dans sa création. C’est toutefois un album de Dr. Dre qui marquera le moment le plus déterminant de sa jeune carrière artistique.

NWYE Song Camp, YOGI, Blank, Tanisha, Seth Dyer, Archer, Tony T

Au Camp d’écriture  NWYE. De gauche à droite : YOGI, Blank, Tanisha, Seth Dyer, Archer, Tony T.

« J’accorde beaucoup d’attention à la musique lorsque j’écoute une chanson », explique-t-elle. « Il s’agit de l’album 2001 de Dr. Dre, j’avais 12 ans, et je me suis demandé comment s’appelait la personne qui crée la musique derrière le rappeur. Quelqu’un m’a dit qu’on les appelait des DJ, et je me suis tout de suite dit “je veux être DJ”. »

Elle réalisera plus tard que c’est en fait un producer qui crée les « beats » et les rythmes sur lesquels s’exécutent les interprètes, et c’est là que sa passion a réellement pris forme. C’est en secondaire 4 qu’un ami lui fera cadeau du logiciel Fruity Loops avec lequel elle commencera à expérimenter. Très créative, elle se sentait parfaitement dans son élément, mais une carrière de producer n’était pas encore son objectif. « Je ne pensais pas en faire une “carrière” », dit Blank. « Je ne faisais que m’amuser. »

En 2008, elle sera diplômée par le Remix Project, un organisme sans but lucratif de Toronto qui offre aux jeunes défavorisés des outils de création et des connaissances sur l’industrie. Au fil des années qui suivront, elle collaborera avec des auteurs-compositeurs et des interprètes locaux et internationaux et elle poursuivra son expérimentation audacieuse avec le baile funk, le hip-hop, le reggae, le dancehall et l’Afrobeat. Son travail sera fort remarqué et respecté, et en plus de sa présence sur le Queen de Minaj, elle se retrouvera également sur d’autres albums majeurs, dont notamment « Wall to Wall » de Raekwon mettant en vedette French Montana et Busta Rhymes.

La musique du monde est le canevas de Blank et elle fait partie des quelques producers qui la font sortir de son marché de niche pour la faire entrer dans le canon de la musique occidentale. Bien qu’il s’en trouve pour dire que cette prolifération des rythmes du monde dans la musique des Drake et autres Weeknd et dans les grandes productions hollywoodiennes comme Black Panther n’est qu’une tendance passagère, Blank n’est pas du même avis, car selon elle, le Web est un espace où des sonorités auparavant jugées « exotiques » ou « étrangères » ont désormais la reconnaissance qui leur revient.

Tanisha nous parle du NWYE Song Camp

  • « Le NWYE Sound Camp 2019 était motivé par un désir de se réunir, de créer et de collaborer. Je m’étais inscrite à des camps de création partout à travers le monde, mais sans succès, alors mon équipe et moi on a décidé de créer notre propre camp. »
  • « Le plus cool de l’édition 2019 a été de pouvoir collaborer en studio avec certains des meilleurs auteurs-compositeurs et producers au monde, qu’ils soient connus ou non. C’était très spécial pour moi, parce que tout est en ligne de nos jours, mais rien ne se compare à la “vibe” de la création en temps réel et en personne. Nous avons enregistré 28 nouvelles pièces durant ce week-end ! »
  • « J’espère que NWYE et le NWYE Sound Camp amèneront du changement et de l’éducation. Nous voulons que les créateurs canadiens sachent qu’il est possible de gagner sa vie dans l’industrie de la musique. Les camps de création favorisent les relations créatives solides et l’importance de cultiver des relations d’affaires afin de créer un pont entre les interprètes, les auteurs, les producers et les maisons de disque. Nous voulons être le changement que nous souhaitons en bâtissant les espaces que nous voulons pour créer. »

« Internet rapetisse la planète », dit-elle. « Il est de plus en plus facile pour les gens de découvrir des artistes et des genres musicaux différents provenant d’un peu partout. Il suffit de tomber sur une chanson qu’on aime pour ensuite se lancer dans la découverte de toutes les suggestions qui nous sont offertes par la suite. »

Son désir de fournir à la musique du monde une nouvelle plateforme moderne a poussé Blank a créé Bimbo Radio en 2017. Bimbo — que le Collins traduit par « ravissante idiote » — n’est pas le premier mot que vous imaginez que Blank choisirait pour baptiser l’un de ses projets, mais elle l’a adopté en raison de son aspect visuel : « il a l’air cool, une fois écrit », dit-elle simplement. Pour Blank, Bimbo est un espace où elle peut mettre en vedette, en toute liberté, des styles musicaux comme le reggae, le dancehall, la soca et l’afrobeat, pour ne nommer que ceux-là, et le projet a acquis un auditoire international dès son lancement.

« Tout a commencé avec un mix, “Episode 1” que j’ai téléversé sur SoundCloud et que j’ai publicisé sur IG », explique Blank. « Des gens du Brésil ont communiqué avec moi, car ils aimaient vraiment mon mix et celui-ci était de plus en plus populaire là-bas et s’est propagé comme une traînée de poudre. »

L’auditoire de Bimbo avait soif de découvertes. « J’espère que Bimbo deviendra un terreau fertile pour la culture des divers styles musicaux de la planète et facilitera l’accès des gens à cette musique », lance-t-elle.

Tanisha Clarke, auteure-compositrice-interprète et fondatrice de NWYE et de son projet corollaire NWYE Sound Camp, aide Blank à faire connaître sa musique et son média partout dans le monde. Ce sont leur amitié et leur respect mutuel qui ont permis au « beats » de Blank de se retrouver chez Minaj, et Blank en est profondément reconnaissante.

« NWYE compte beaucoup pour moi », dit-elle. « C’est une étiquette qui est détenue et exploitée par une femme de couleur et qui a porté une autre femme de couleur — une producer, qui plus est — vers un statut platine. C’est l’affirmation, pour toutes les autres femmes de couleur, que oui ! c’est possible ! »