Il y a une profonde envie de faire les choses autrement chez Yann Beauregard-Lemay et Julien Bidar, binôme derrière la jeune maison d’édition Outloud. A

près avoir travaillé au sein des différentes entreprises menées par Sébastien Nasra (Bidar étant aux éditions Avalanche et Yann aux disques Vega et au festival M pour Montréal), les deux amis décident d’unir leur force afin de créer une boîte d’édition qu’ils veulent souple et innovatrice, deux qualificatifs centraux au sein d’une industrie musicale en constante redéfinition. Bidar explique.

« Nous travaillons avec des plus petits budgets dans une industrie qui génère moins d’argent qu’avant. Mais cela ne doit pas nous empêcher d’aller vers l’avant et d’être dynamiques avec les groupes que nous avons en édition. Nous n’attendons pas par exemple qu’un disque soit sorti sur un territoire pour encourager les groupes au sein d’une tournée. C’est le cas par exemple de Coco Méliès qui tourne en Europe grâce à notre contact avec Kalima Production, et ce pour une deuxième fois sans contrat de disques. La première tournée a été rentable. Pour nous, c’était du développement payant. » (La compagnie de disque Audiogram a annoncé le 26 avril dernier la signature de Coco Méliès, dont le catalogue sera dorénavant édité par Éditorial Avenue, N.L.D.R.)

Bidar et Beauregard-Lemay travaillent en étroite collaboration avec les groupes qu’ils signent. Une réalité indispensable lorsqu’on gère un catalogue qui mise sur des groupes émergents comme Secret Sun, Orange O’Clock, Fred Woods, AléatoireTechnical Kidman et Dr. Mad. « On réalise des partenariats après avoir rencontré les artistes. La base, c’est d’avoir un lien avec eux, des affinités, une vision. Ça nous permet de construire ensemble des stratégies qui leur ressemblent et qui nous ressemblent. » Ici, la gestion d’œuvres musicales rime avec le développement d’une démarche artistique. Si cette façon de faire peut ressembler à un travail de gérance, les deux amis et partenaires en affaires s’en défendent bien. « On n’est pas là pour s’assurer que tout va bien en tournée et qu’ils ont leur bouteille d’eau à côté de leur micro. C’est important, mais ce n’est pas notre département. »

« C’est toujours un coup de chance, mais il faut être proactif », Julien Bidar

Leur début en 2014 est couronné par deux bons placements publicitaires européens qui apportent vent dans les voiles à la jeune maison d’édition. Ils jumellent une pièce de Jean-Sébastien Houle à une publicité pour la Banque d’Autriche. Puis Outloud place une pièce de Locksley, issu du catalogue britannique So Far dont Outloud a la gestion, sur la publicité d’une bière polonaise, Zywiec Warianty. « C’est toujours un coup de chance, mais il faut être proactif, confirme Julien Bidar qui en fait sa niche à lui. Je dois envoyer 2 à 3 pitchs chaque jour pour obtenir un « oui » à ma cinquantième demande. L’objectif est ici de trouver le match parfait entre une chanson et un produit. La notoriété d’un artiste peut jouer dans la balance, mais ce n’est évidemment pas le seul facteur »

Publicité pour la Banque d’Autriche avec la musique de  Jean-Sébastien Houle :

Afin d’obtenir le plus de placements, Outloud qui porte bien son nom, compte faire un maximum de bruit autour d’eux. Et c’est là qu’intervient Yann Beauregard-Lemay, celui que Bidar appelle à la rigolade, « l’homme qui ne peut marcher dans la rue sans se faire reconnaître ». Yann assure la présence sur les médias sociaux des différents artistes qu’Outloud représente, ce qui l’amène à entretenir des liens étroits avec différents blogues musicaux. Il initie parfois des articles dans les médias plus traditionnels. Beauregard-Lemay confirme la crédibilité qui est générée par cette démarche. « Pour nous, ce lien avec les médias et les réseaux sociaux nourrit l’image d’un groupe et facilite par la suite le placement des pièces musicales. Nous ne chargeons jamais un groupe pour ce travail, car nous croyons que nous avons aussi à gagner dans cette promotion. »

Cette présence en ligne, Outloud l’encourage de différentes façons. Bidar et Beauregard-Lemay proposèrent à Coco Méliès de lancer en ligne un single qui avait été à l’origine écrit pour un pitch. Même chose pour Aléatoire qui reçoit 150 000 cliques sur Spotify pour une chanson. Ils encouragent Secret Sun à entreprendre une série de remix par divers producteurs (Foxtrott, The Posterz) afin de maximiser les possibilités sonores du groupe. « Quand on veut placer des pièces musicales sur un contenu visuel, il est nécessaire d’être versatile. »

Sans frontière de son ou de territoire, Outloud charme ici par sa démarche polyvalente et globale menée comme une véritable passion par deux hommes unis par la musique.



Durant notre entretien, Dan Boeckner tente de répondre à la question « Dans combien de groupes joues-tu en ce moment? »

C’est une question épineuse, mais qui doit être posée en raison de l’horaire de création, d’enregistrement et de prestations on ne peut plus chargé de cet homme-orchestre — sans mauvais jeu de mots.

« Pour le moment, je suis dans deux groupes », dit Boeckner profitant d’une pause dans le rodage pour se rendre à WFUV 90,7 FM, à New York. « Puis il y a Divine Fits qui hiberne, alors on pourrait dire trois. »

Pause. « Je crois. »

Donc, outre l’hibernation de Divine Fits, où il collabore aux côtés de Britt Daniel, de Spoon, les deux choses qui divisent son attention sont la réunion de Wolf Parade qui sera l’occasion de nombreux spectacles durant l’été et l’automne 2016, ainsi qu’Operators, la raison pour laquelle il se trouve actuellement dans un studio de radio de Brooklyn.

« Quand je vivais de boulots merdiques, mon seul rêve était d’avoir suffisamment de temps pour faire de la musique a plein temps. C’est ce que je fais, maintenant. »

« Mon temps sera divisé assez équitablement avec un léger avantage à Wolf Parade jusqu’en novembre », explique l’artiste au sujet de l’équilibre entre Operators et Wolf Parade.

Operators, qui fait dans le dance rock dynamique aux relents new wave, est né de la désintégration de son groupe Handsome Furs lorsque son mariage a Alexei Perry a pris fin. Le groupe a également comme membres la claviériste macédonienne Devojka, le batteur Sam Brown (New Bomb Turks) et du bassiste Dustin Hawthorne (Hot Hot Heat). Le premier album du groupe, Blue Wave, est paru le 1er avril 2016 et selon Boeckner, tous ces anciens groupes sont reflétés dans ce disque.

« Operators est vraiment l’aboutissement de nombreux outils que j’ai appris et développés au sein de Handsome Furs et Wolf Parade », confie l’artiste. « De bien de façons, c’est en quelque sorte la suite logique de Handsome Furs. Avec le recul, je trouve dommage de ne pas pouvoir appeler ce groupe Handsome Furs, mais c’est la vie. »

Blue Wave a été inspiré en grande partie par le temps qu’a passé Boeckner du côté pauvre de Silicon Valley à lire les dystopiques nouvelles de Phillip K. Dick. Le résultat est ce côté rétro futuriste à la Blade Runner qui informe la majorité des chansons sur Blue Wave. On entend des échos de New Order sur « Cold Light », du dance punk à la The Clash sur « Evil », et même une citation de « Self Control » par Laura Branigan sur la pièce « Space Needle », le tout bien enrobé de synthés qu’on pourrait qualifier de new new wave.

« J’habitais dans une banlieue qui ne profitait pas du tout de la croissance et de la richesse quasi indécente qui est concentrée à Silicon Valley », raconte Boeckner. « C’est un sentiment très dissociatif que j’ai tenté de traduire. »

Mais, en fin de compte, tout ce qui compte, c’est la musique. C’est ce qui explique que Boeckner est dans au moins deux groupes et demi, en ce moment.

« Lorsque j’ai terminé l’école secondaire, tout ce que je voulais c’était de jouer dans un groupe », se souvient Boeckner. « En fait, je ne voulais pas simplement jouer dans un groupe, je voulais écrire des chansons et les jouer en spectacle. »

« J’ai encore de la difficulté à croire que lorsque je me rends dans une salle de spectacle, je m’en vais au “travail”. Quand je vivais de boulots merdiques, mon seul rêve était d’avoir suffisamment de temps pour faire de la musique à plein temps. C’est ce que je fais maintenant et depuis 10 ans. Alors, si je n’en profite pas et que je perds cela de vue, on pourra dire que je suis un trou de cul. »

 



Andy Shauf était au secondaire lorsqu’il a découvert la création musicale. « C’était très libérateur », se souvient-il. « Je me suis dit “pourquoi jouer les chansons des autres quand je peux jouer les miennes ?” » Peu de temps après, alors qu’il n’arrivait pas à de trouver un emploi d’été juste avant son année finale, Shauf — qui vient d’une famille très musicale de la Saskatchewan rurale — a décidé qu’il resterait plutôt à la maison pour enregistrer un album qu’il vendrait à ses camarades pour se faire un peu d’argent de poche.

Aujourd’hui, s’il se réjouit que l’album n’existe plus — « c’était vraiment gênant » —, le désir de créer et de partager sa musique est plus fort que jamais. Lorsqu’il a obtenu son diplôme du secondaire, il a occupé quelques boulots sans importance, mais l’unique but était de payer pour ses tournées. « J’étais constamment sur la route », se souvient-il. « J’ai toujours été en tournée. Je montais dans ma voiture et je partais en tournée pendant des mois. »

Aujourd’hui âgé de 29 ans, Shauf a commencé à se bâtir une réputation grâce à son sens de l’écriture excentrique et imaginatif et à sa voix qu’on a comparée à celle d’Elliot Smith ou Paul Simon. En 2015, il a été mis sous contrat par Arts and Crafts au Canada et Anti — aux États-Unis et son nouvel album, The Party, paraîtra en mai 2016.

« Je me concentre sur le quotidien, une chanson à la fois. »

Bien qu’il hésite à qualifier son nouvel opus d’album concept, Shauf explique qu’il préfère « écrire des histoires » plutôt que de « chanter au je ». Il explique que chacune des chansons de l’album s’articule autour d’un « party » et des moments anodins et des personnages maladroits qui les habitent — de la fille qui danse seule et sans retenue au milieu de la pièce et mec qui sort fumer une cigarette, mais qui ne trouve plus son briquet. « Pour moi, ils sont tous maladroits, car je les observe depuis ma propre maladresse », explique Shauf, avouant du même souffle être timide.

Shauf admet également volontiers qu’il est très contrôlant lorsqu’il est question de créer de la musique. C’est ce qui explique qu’il ait complètement abandonné la première version de The Party, qu’il avait commencé à enregistrer en compagnie d’un groupe en Allemagne. « Ces séances ne se sont par très bien déroulées », dit-il en toute simplicité afin d’expliquer sa décision de tout recommencer — seul — au Studio One de Régina, la ville où il habite présentement.

Tout comme sur son album The Bearer of Bad News, paru en 2012 et enregistré dans le sous-sol de la maison familiale sur une période de 4 ans — ainsi que sur son EP Darker Days lancé en 2009 — Shauf joue lui-même tous les instruments, avec l’aide de Colin Nealis pour les cordes. « C’est tout simplement plus facile pour moi de travailler seul et d’arriver moi-même à la conclusion qui me convient », dit-il au sujet de son processus créatif solitaire. Mais le désir de solitude de Shauf ne se transpose toutefois pas sur scène. Il joue avec groupe qui est actuellement en tournée au Royaume-Uni afin d’assurer la première partie des Lumineers et il apprécie vraiment quand l’auditoire est touché par sa musique.

Bien qu’il soit fier de son plus récent opus, Shauf sait qu’il ne laissera rien le distraire de ce qui compte le plus pour lui : l’écriture et l’enregistrement. « Pour l’instant, mon but est de m’améliorer d’un album à l’autre ou d’une chanson à l’autre. Tenter d’atteindre un niveau de notoriété vous rendrait fou, de toute façon. Je me concentre sur le quotidien, une chanson à la fois. Tout ce que je désire c’est de continuer à écrire et à trouver de l’inspiration. »