Avec tous les bouleversements qui ont affecté le milieu de la musique ces dernières années, il se trouve quelques Cassandre pour annoncer la mort prochaine de l’industrie. Mais sur la ligne de front, on rencontre surtout des visionnaires qui se réinventent et s’adaptent à la nouvelle donne. « Le problème ne tient pas à la demande ; avec la multiplication des supports, on n’a jamais autant eu besoin de musique, explique Denis Wolff, cofondateur et directeur artistique de Harris & Wolff. Le problème, c’est la valeur de la musique : les micropaiements que génère le streaming ne suffisent pas à garder un artiste à flot. Même si les nouvelles règles du jeu sont connues, il y a encore beaucoup de flou. On se promène dans la brume au milieu des icebergs, mais au moins, on sait naviguer. »

Denis Wolff est en effet un capitaine au long cours. L’homme derrière l’agence Maisonnette et le studio MasterKut est une figure incontournable de la musique d’ici depuis des années. Avec sa partenaire, la responsable du marketing et du développement des affaires Mary Catherine Harris, qui possède aussi un long bagage en édition (Plateau Music, Third Side Music, Genison), il a fondé Harris & Wolff il y a trois ans. Derrière ce nom sobre, qui évoque plus un cabinet d’avocats qu’une entreprise culturelle (une impression qui ravit les deux associés) se cache une petite boîte d’édition qui a de grands projets.

Rencontrés dans leurs bureaux, au sous-sol de l’édifice du boulevard St-Joseph qui abrite aussi les locaux de L-A be, le label de Louis Armand Bombardier, Mary et Denis semblent prêts à conquérir le monde, une musique à la fois. Comme on le disait, l’effondrement des ventes de disques n’empêche pas que les besoins en musique demeurent. Publicités, série télé, films, sites web… les créateurs de contenus visuels cherchent sans cesse de nouveaux sons pour habiller leurs productions. Et lorsqu’ils cherchent une ambiance sonore en particulier, c’est vers des boîtes comme Harris & Wolff qu’ils se tournent.

En tout, Harris & Wolff représentent une cinquantaine d’artistes et une trentaine qui se consacrent exclusivement à la création de musiques pour image. Mais sa bibliothèque grandit chaque jour et son catalogue ne cesse de se diversifier. « Ce qu’on offre, c’est du «curated content» , précise Mary Catherine Harris. Beaucoup de compagnies se lancent dans le licensing et se contentent de signer un maximum d’artistes interchangeables. Nous, on les choisit, puis on crée des playlists selon des ambiances spécifiques, ce qui aide beaucoup les clients. »

« On travaille avec de vrais artistes qui ont de vraies personnalités, pas des compositeurs anonymes dont les chansons sont l’équivalent de ces photos libres de droits qu’on peut acheter sur Internet. », Denis Wolff, Harris & Wolff

Ces playlists font partie de l’interface conviviale du site web de la compagnie, que les deux associés décrivent comme un « one stop shop ».  « C’est le coeur de la compagnie, on a passé les deux premières années à construire l’interface », rappelle Mary Catherine. C’est Denis Wolff qui a travaillé activement au développement de cette plateforme propriétaire, si conviviale que certains voudraient même la lui acheter.

Comment ça fonctionne ? Disons que vous êtes un producteur de cinéma en quête de musique pour un film. Cherchez-vous une musique en mode mineur ou majeur ? Quelque chose d’enjoué, au tempo rapide ? Un reggae allemand peut-être ? Les options de recherche permettent une précision extrême. Vous remplissez ensuite un formulaire de demande : quelle utilisation ? Publicité, film, série ? Combien de secondes ? En arrière-plan ou en plein son ? En quelques clics, le client obtient un devis, ainsi qu’un fichier audio prêt à être utilisé. Harris & Wolff détiennent le contrôle des bandes maîtresses, ce qui évite d’avoir à trouver les ayants droit, sauvant ainsi temps et argent.

« En combinant cette interface à notre réseau de contacts, ici et à l’international on vise vraiment à desservir un marché global, explique Mary Catherine Harris.  « Ce qui nous distingue le plus, c’est qu’on est près des artistes, poursuit Denis Wolff. On n’offre pas de la musique générique, des trucs en canne sans âme. On travaille avec de vrais artistes qui ont de vraies personnalités, pas des compositeurs anonymes dont les chansons sont l’équivalent de ces photos libres de droits qu’on peut acheter sur Internet. »

Denis Wolff

Photo : Frédérique Ménard Aubin

On le disait, ces deux-là n’en sont pas à leurs premières armes dans le milieu, qui les connaît bien. En septembre 2016, Denis Wolff et Ho-Tune Musique ont été nommés Éditeur de l’Année au Gala de la SOCAN, geste qui touche particulièrement celui qui a toujours défendu la musique d’ici. « C’est un immense honneur, c’est évident ! Le grand public ne comprend pas vraiment la nature de notre travail, mais les gens de la SOCAN, eux, savent très bien l’importance de ce qu’on fait et les efforts que ça demande. On est des partenaires. »