« Ce qui m’a ouvert les portes, c’est vraiment ma guitare », affirme Pierre-Luc Rioux. Parolier, compositeur, interprète et réalisateur depuis une quinzaine d’années, on a pu entendre le son de son instrument sur les succès de  Céline Dion, Lady Gaga, David Guetta, Nick Jonas, et Loud, pour ne nommer qu’eux. Dans l’ombre des stars, le Montréalais qui partage sa vie professionnelle entre la Californie et le Québec consacre aujourd’hui son énergie au projet qui l’a ramené à la scène : Chiiild.

« Un de mes rêves a toujours été de faire un pont entre Los Angeles et Montréal », explique Rioux, attrapé une semaine avant de prendre l’avion pour retrouver son appartement sur la Côte Ouest. « Je trouve que l’industrie de la musique au Québec et celle aux États-Unis sont tellement différentes, surtout dans la manière dont elles se structurent. Par exemple, ici, au Québec, y’a des musiciens qui font de la télé, collaborent avec d’autres musiciens et font en même temps de la scène ; à L.A., c’est beaucoup plus compartimenté ».

Et pendant longtemps, Rioux est demeuré dans une case : celle du guitariste de session. Avec cette nuance : « Je suis principalement un réalisateur, mais spécialisé en guitare. Souvent, lorsque j’arrive quelque part et qu’on me présente, c’est en tant que guitariste, c’est ainsi que j’ai réussi à faire beaucoup de sessions de studio avec des artistes pop aux États-Unis », échappant au passage les noms de Usher, Mary J.Blige et Rihanna. « Aujourd’hui par contre, je cherche davantage à m’établir comme réalisateur » une fonction qui, dans sa conception du métier, ratisse plus large que ce qu’on imagine : « Être réalisateur en 2020, c’est aussi être compositeur, estime-t-il. C’est très rare qu’un artiste arrive en studio avec une chanson complète, même que très souvent, on part de zéro… »

Comment ce Québécois a-t-il pu devenir un des guitaristes les mieux en vue dans les cercles de la pop étatsunienne ? Par hasard, assure-t-il. « J’étais alors directeur musical pour une chanteuse [québécoise il y a une douzaine d’années] et j’étais convaincu qu’elle avait besoin d’enregistrer un album. J’ai ensuite persuadé son label de me laisser le réaliser ». Ce fut son premier mandat derrière une console. Il s’est découvert un intérêt et un talent pour le métier, lui qui avait plutôt fait son chemin en tant qu’accompagnateur. « J’étais toujours sur scène et c’est, encore à ce jour, ma plus grande passion. »

Les contrats de réalisation et composition se sont vite enfilés, notamment en musique à l’image au studio de production musicale Dazmo. « Un jour, j’ai rencontré à Montréal le partenaire de production de David Guetta. Je lui ai dit : Si jamais t’as besoin de guitare, tu peux me faire signe ! Il m’a rappelé et, de fil en aiguille, une des sessions de guitare que j’ai faite a servi pour un hit. » Peu après, Rioux prenait part à un camp d’écriture avec Guetta à Los Angeles : « C’est ce qui m’a fait rencontrer plein de compositeurs et réalisateurs de l’industrie ».

« Personnellement, ça m’est arrivé souvent de faire la file devant un resto pour faire une rencontre qui m’a mené à un projet »

Ainsi, Rioux fréquente étroitement l’industrie musicale en Californie depuis cette année 2015 « durant laquelle j’ai travaillé tous les jours, à faire deux sessions de travail par jour. Ça a été une année difficile, mais le bon côté des choses, c’est que j’ai rencontré quasiment toute l’industrie en une seule année ! C’est une autre différence entre Los Angeles et l’industrie à Montréal : y’a tellement un gros bassin d’artistes et de gens de l’industrie, il faut arriver à comprendre qui fait quoi là-dedans. Au Québec, le milieu est petit, on a vite faire le tour des gens à connaître, puis on choisit ensuite avec qui travailler. À L.A., y’a trop de gens qui gravitent dans le milieu et y’en arrive de nouveaux à chaque année, d’Australie, de la Grande-Bretagne, etc. Ce n’est pas simplement une affaire de rencontrer les bonnes personnes au bon moment, il faut surtout sélectionner les bons partenaires de travail. »

Le plus important, enchaîne Rioux, est de se trouver sur place, dans le bouillon créatif californien. « Je rencontre beaucoup de Canadiens qui vont à Los Angeles pendant deux semaines, un mois, pour tâter le terrain… Mais en vérité, y’a beaucoup d’opportunités de travail et de contacts qui se font de la manière la plus anodine possible – par exemple, en file au restaurant ! C’est tellement un endroit étrange, Los Angeles, parce que la majorité des gens y sont juste pour faire avancer leur carrière, si bien que y’a ce feeling que tu finiras vite par rencontrer quelqu’un et créer un contact. Personnellement, ça m’est arrivé souvent de faire la file devant un resto pour faire une rencontre qui m’a mené à un projet, et ce n’est pas le genre de chose que tu peux planifier. »

Pierre-Luc Rioux entend passer moins de temps au resto ou au studio en 2020 et beaucoup plus sur la scène avec Chiiild, un projet « soul psychédélique synthétique » (dixit le label) qui l’emballe : « Ce qui me passionne là-dedans, c’est d’avoir réussi à fusionner la réalisation et la scène ». Un premier mini-album paraîtra sous peu, six mois après avoir fait des vagues grâce au single Count Me Out « qui s’est fait connaître sur des listes de lectures, puis à la télé grâce à des synchronisations sur des émissions diffusées par Fox et HBO. On est content parce qu’on a une bonne équipe derrière nous, une équipe de management, un tourneur, un bon label » Avant Garden Music, une division d’Island Records. À suivre.



Les membres de Caveboy aiment presque tout faire ensemble. Cette entrevue est un bon exemple : c’est l’éclectique groupe pop montréalais qui a demandé que tous les membres y participent. N’ayant pas de porte-parole désigné, Caveboy préfère donner à chacun de ses membres l’espace nécessaire pour raconter son histoire. Nous joignons Isabelle Banos au téléphone, elle nous demande de patienter un instant et, quelques minutes plus tard, Michelle Bensimon et Lana Cooney font partie de la conversation. Timides, initialement, parce que les entrevues, c’est épuisant et parfois intimidant, elles se dégênent rapidement et le dialogue est soudain très animé. Difficile de faire mieux au chapitre d’avoir l’impression d’être une observatrice privilégiée de leur amitié, une dynamique où leur partenariat personnel, créatif et commercial est tissé incroyablement serré.

Mais Caveboy n’a pas toujours été Caveboy. Le groupe, fondé en 2015, s’est d’abord appelé Diamond Bones. Rapidement, le nom a donné signe qu’il ne collerait, ou ne pouvait pas coller. « C’était une période de transition, on a vraiment travaillé notre son et on se sentait solides quant à notre identité », explique Bensimon. « On pense toujours aux choses qui nous unissent, ces choses authentiques qui nous sont uniques. Quand on a pensé à Caveboy, ce fut notre “Eurêka !”. »

Depuis, Caveboy a réussi à se propulser toujours plus loin grâce à ses spectacles électrisants et à un EP paru en 2015. Elles ont ensuite remporté le Allan Slaight JUNO Master Class en 2017. Vinrent ensuite plusieurs simples biens fignolés qui ont connu beaucoup de succès en 2019 : « Landslide » et « I Wonder » ont été de toutes les listes des plateformes de diffusion en continu, « Silk for Gold » a été présenté en avant-première exclusive sur Billboard et « Hide Your Love » a atteint la première position du Top 20 de CBC Music. Et le trio continue son chemin en continuant de définir encore plus précisément son identité et comme la canaliser dans sa musique. Leur premier album, un projet entièrement indépendant, paraîtra ce mois-ci.

Night in the Park, Kiss in the Dark, disponible le 31 janvier 2020, est un album synth-pop effervescent. Le son est imposant, grâce au membre honoraire et réalisateur Derek Hoffman, connu pour son travail pour The Arkells, The Trews et Ralph, tous des artistes aux tendances sonores plus grandes que nature. De l’aveu du groupe, Hoffman a apporté la touche magique qui manquait.

“Ce lien de sororité qui nous unit est incroyablement important.”—Isabelle Banos de Caveboy

« Jusqu’à maintenant, nous faisions tout nous-mêmes », explique Cooney. « Au moins 90 pour cent de ce que nous faisions était autoproduit. Quand on a commencé à écrire les chansons pour ce projet, on savait que le temps était venu de faire appel à quelqu’un d’autre. » Avec 30 chansons prêtes pour cet album, Hoffman, sur une période de six mois, a aidé les membres du groupe à sélectionner celles que l’on peut entendre sur le produit final. Intuitivement, il trouvait le fil d’Ariane des chansons et donnait une cohérence à ces chansons parfois écrites il y a trois ou quatre ans.

Night in the Park, Kiss in the Dark est un de ces albums pop qui ont une aura de jeunesse éternelle. Selon le groupe, cela s’explique par leur nostalgie personnelle de souvenirs ou d’espoirs d’une jeune histoire d’amour, d’une peine d’amour et de frivoles pitreries. Et malgré tout, l’album est bien ancré dans le moment présent. La partie synthé de ces chansons pop est pétillante et évoque l’arrivée d’une nuit où tout semble possible et infini. C’est même vrai dans le cas de chansons qui ont également un côté angoissé (« Guess I’ve Changed »), lascif (« Obsession ») ou pensif (« Up in Flames »).

Caveboy nous explique qu’elles ont vraiment grandi ensemble tout au long de ce projet alors même que leurs contemporains abandonnaient ou disparaissaient de la carte dans la difficile industrie de la musique. Travailler en création pour finalement tenir une représentation physique de tout ce travail a toujours été la finalité de la production d’un album, malgré ce que certains membres de l’industrie conseillaient à Caveboy de faire.

« Tout le monde nous disait de faire un album et non pas un “disque“, parce que la tendance est aux simples », explique Cooney en faisant référence à leurs simples à succès parus en 2019. « Je suis super contente de notre album, et je considère que c’est un rite de passage quand on fait de la musique. Je n’aurais pas voulu qu’il en soit autrement. »

Avec tendresse, Banos ne tient pas pour acquise la chance de pouvoir grandir aux côtés de Bensimon et Cooney au sein de leur groupe. « Nous sommes toutes super chanceuses de pouvoir compter les unes sur les autres et de nous permettre, mutuellement, d’être vulnérables musicalement, ce qui est terrifiant », dit-elle. « Tu sais, écrire des chansons, créer des sons étranges et faire des erreurs, avoir l’air d’une folle. »

Elle poursuit : « ce lien de sororité qui nous unit est incroyablement important depuis des années : ça nous permet de vivre des moments d’apprentissage dans un espace sécuritaire, amusant et motivant, un espace productif. »



Brown FamilySi un bon père est un père admiratif, Robin Kerr a sans doute été pour ses fils un très bon père. « Je me souviens que j’avais enregistré une cassette sur une enregistreuse Fisher-Price. Pour enregistrer, c’était vraiment la grosse affaire dans le temps », raconte en riant le cadet de ces fils, Greg Beaudin, attablé chez le café et disquaire montréalais 180g afin de discuter de brown baby gone, second album de la Brown Family, trio que complète son paternel ainsi que son frangin aîné, Jam (K6A, Jam&Pdox).

« Faque c’est ça: j’avais enregistré une cassette avec toutes les tounes que j’avais écrites et j’en avais donné des copies pour Noël à mon père et à ma mère. Et mon père l’écoutait TOUS LES JOURS. Ça devait être horrible, mais pour mon père, c’était le meilleur rap au monde, juste parce que c’était moi. J’avais 9 ans et j’étais un génie. J’étais le Mozart du rap. »

Une vingtaine d’années plus tard, cette admiration du père pour ses fils, et des fils pour leur père, contribue sans doute beaucoup à la force d’évocation, à la profondeur, de leur musique, quelque part entre rap, soul et reggae. C’est que, bien que sans nécessairement célébrer la famille, leurs morceaux portent tous en leur creux l’idéal d’un réel dialogue père-fils, une précieuse et rare opportunité qui élude malheureusement à tant de pères et de fils.

« Ce projet, ça fait de nous une famille plus riche, observe Greg. Pendant une période de notre enfance, on a peu vu notre père et ça nous a beaucoup rapprochés. Ça nous a permis d’avoir de bonnes discussions en profondeur, sur plein de sujets dont on n’aurait jamais parlé avant. »

La création de ce deuxième disque aura ainsi été l’occasion de véritables débats sur la signification d’un texte, par exemple. Issu du monde du reggae, le patriarche Robin préconise généralement une écriture enracinée dans une noble simplicité, comme dans Tomorrow Night: « The sky is grey, it can be blue right now / Life is sweet, it can be sweeter somehow / The sun is shining, yes, it shines so bright / Yes I say the moon is shining, shine so bright ».

« Mon frère et moi, on aime beaucoup écrire dans l’abstraction », rappelle quant à lui Greg, mieux connu sous le pseudo Snail Kid au sein de Dead Obies. « Notre père, lui, il nomme les choses. S’il fait une chanson d’amour, il va dire huit fois à la fille qu’il l’aime. C’est très terre à terre. On s’est un peu obstiné avec lui là-dessus au départ, mais il nous a expliqué que c’était important pour lui que ce qu’on dit soit compris par les gens chez lui en Jamaïque. »

Que pense cet homme de foi des propos parfois profanes (mettons) que tiennent ses fils? Greg rigole à nouveau. « Je pense qu’il l’a dit deux ou trois fois que ça l’agaçait. Quand il y a quelque chose qui ne passe vraiment pas, on est ben ouverts à corriger le tir. C’est ce qu’il y a de bien avec ce projet: il faut qu’on se trouve tous un terrain, que tout soit cohérent. Sans travestir ce que je voudrais dire, je me rends compte parfois qu’il y a des affaires qui n’ont pas leur place avec ce projet-là. La culture plus party, plus ego trip, ça a sa place avec Dead Obies, et moins quand je suis à côté de mon père. » On ne se comporte pas de la même manière avec la famille, qu’avec ses chums.

Trucs d’écriture

Pour Greg et Jam de la Brown Family, l’important, c’est de lancer le plus d’idées possible, le plus rapidement possible. « On commence avec quelque chose de très simple, un sample mis en loop et on crache tout de suite les premières idées qui nous viennent en tête. Ce n’est pas toujours des mots, c’est souvent juste des onomatopées, juste un flow avec deux, trois idées dedans. Quand tu n’as pas de texte préalablement écrit, tu te surprends à faire des choses auxquelles t’aurais jamais pensé. Si j’écris ligne par ligne mon texte, je finis par toujours voir où mon punch line va arriver. Il faut que je joue des tours à mon cerveau. »

La Brown Family se sera par ailleurs rendue pour la première fois en Jamaïque en fin de processus de création. Un retour en terres natales pour Robin Kerr, et une première visite chez leurs aïeuls pour Greg et Jam (le réalisateur Jean-François Sauvé a d’ailleurs tiré de ce court périple un mini-documentaire et quelques clips).

« C’est difficile de nommer ce qu’il y a de Jamaïcain en moi », confie Greg, qui est né au Québec et dont la mère est une Québécoise francophone. « On avait beaucoup parlé du time frame jamaïcain avant de partir et j’ai constaté à quel point il y a là-bas un rythme beaucoup plus lent. Les gens ne se pressent pas, ils prennent le temps pour apprécier les moments. Personne ne fait de faux sourire, de small talk poche. Tout ce qui détonne chez notre père au Québec prend son sens là-bas. »