Pierre KwendersAu bout du fil, Pierre Kwenders est on ne peut plus fier. « J’avais vraiment hâte que cet album-là sorte… Enfin ! » lance-t-il, presque soulagé, à propos de Jose Louis and the Paradox of Love.

Paru à la fin avril, ce troisième album solo de Kwenders (chanté en lingala, français, anglais, tshiluba et kikongo) arrive cinq ans après son prédécesseur, MAKANDA at The End of Space, the Beginning of Time, opus primé à l’ADISQ et nommé sur la courte liste du prix Polaris. « J’ai commencé tout de suite après le deuxième à bosser sur le troisième. Au départ, je voulais avoir quelque chose pour 2020, mais on sait tous ce qui s’est passé… Ça m’a donné beaucoup de temps, et je suis très reconnaissant d’avoir eu ce temps. Ça m’a permis de bien fignoler le travail, de revoir quelques paroles, d’avoir en main le produit presque parfait. »

Le temps a également permis au chanteur québécois de réunir une impressionnante brochette d’artistes issu.e.s de partout dans le monde, notamment la productrice, DJ et chanteuse parisienne Sônge, l’artiste franco-sénégalaise anaiis, les producteurs chiliens Esqo et Carlomarco ainsi que le DJ et producteur portugais João Branko Barbosa (du groupe Buraka som Sistema). Au milieu de tout ça, Kwenders règne comme un chef d’orchestre.

« Je suis à l’aise [dans cette position]. Je veux d’abord laisser [aux collaborateurs] la place pour s’exprimer, bien que ça reste le monde de Pierre Kwenders », explique-t-il. « Les artistes, on est généralement des gens qui ont beaucoup d’ego. J’ai d’ailleurs une chanson qui s’appelle comme ça, Ego [duo avec Clément Bazin, 2020]. Mais c’est important de pouvoir se détacher de ça pour faire place à une collaboration saine. »

La chanson L.E.S. (acronyme pour Liberté, Égalité, Sagacité) représente bien cette philosophie de « collaboration saine ». C’est d’abord le producteur américano-zimbabwéen Tendai Baba Maraire (ex-membre du duo rap expérimental Shabaaz Palaces et fidèle collaborateur de Kwenders) qui a amorcé la composition, avant de la retravailler aux côtés du producteur et DJ King Britt chez lui, à Philadelphie.

« Ça allait bien, mais j’avais toujours pas de parole, y’a quelque chose qui manquait », raconte le chanteur montréalais. « Et à un moment donné, en 2019, j’étais à La Nouvelle-Orleans, et Tendai aussi était là. J’ai appelé Win Butler et Régine Chassagne [les deux membres d’Arcade Fire ont élu domicile là-bas], et on a juste commencé à jammer. Y’avait une énergie incroyable. J’ai pris le micro, et on a commencé à enregistrer en même temps. Ma voix que tu entends [dans la chanson], c’est vraiment celle du jam. Je l’ai gardée telle quelle. Le problème, c’est que la chanson durait maintenant 35 minutes… [rires] J’ai regardé ça à tête reposée, et on a réduit ça à une version de neuf minutes. »

Placée en ouverture de l’album, la pièce envoie un message clair : « Ça dit: ‘’Je vous invite, bienvenue dans mon idylle…’’ C’est un voyage, un appel qui s’amorce, avec le son des percus et des guitares qui arrivent [progressivement]. L’énergie monte tranquillement. » On entre peu à peu dans un album aux sonorités riches et diversifiées, tantôt planantes, tantôt dansantes, tapissées d’électro, de pop, de R&B, de rumba congolaise et de coupé-décalé, ce genre ivoirien en pleine conquête mondiale avec son style porté sur les percussions, l’échantillonnage de musique africaine et les basses pénétrantes.

Jose Louis and the Paradox of Love porte en lui les traces des voyages que Kwenders a faits dans les quatre dernières années, notamment à Santiago, Lisbonne, Seattle, New York et Philadelphie – toutes des villes où l’album a été enregistré. « Voyager, ça ouvre l’esprit », dit celui qui a parcouru le monde grâce à ses événements Moonshine, soirées musicales devenues emblématiques du nightlife montréalais. « C’est ça qui permet de connaître d’autres cultures, de voir comment les gens vivent. Chaque fois que je pars quelque part, j’ai envie de découvrir de nouveaux artistes. »

Il serait toutefois réducteur de définir ce troisième Kwenders comme un album de collaborations. Car c’est, de l’avis de son auteur, son « plus personnel ».

« Dans les dernières années, je me suis retrouvé dans des relations amoureuses qui m’ont beaucoup fait réfléchir. Par rapport à ma personne, par rapport à ma sexualité… J’avais envie de raconter mon expérience, l’homme que je suis devenu », confie-t-il. « Pendant longtemps, je me suis limité dans l’expression de ma personne. Mais là, en travaillant sur cet album, j’ai appris à être la meilleure version de moi-même. »

Your Dream, un duo avec l’auteur-compositeur-interprète québécois Ngabo, est une affirmation de Pierre Kwenders en tant qu’artiste. Une affirmation qu’il dédie spécialement à sa mère, dont on entend la voix – sur un enregistrement granuleux de boîte vocale – au début et à la fin de la pièce.

« Cette chanson, c’est une lettre d’amour. Une façon de remercier sa mère, malgré ses doutes sur mes intentions, lorsque j’ai lâché la comptabilité pour aller en musique. J’arrive avec cette chanson pour la rassurer, pour lui dire qu’au fond, c’est grâce à l’éducation qu’elle m’a donnée que je suis l’artiste que je suis aujourd’hui. Nos parents ont des rêves magnifiques pour nous, mais des fois, on a des rêves différents, et il ne faut pas s’empêcher de les vivre. Faut les assumer et les vivre pleinement. »