Il y a plusieurs années de cela, Paul Piché prenait une résolution, celle d’écrire des chansons uniquement lorsque l’inspiration lui viendrait et non quand sa carrière l’ordonnerait. Ne cherchez donc pas plus loin pourquoi dix ans séparent le récent album Sur ce côté de la terre de son prédécesseur. Une décennie de silence discographique, c’est long. Nombre d’imprésarios y verraient un suicide artistique.

 

Le père de Mon Joe, lui, ne se fait pas de bile. Il faut dire qu’il n’a pas entièrement disparu de l’espace public, ayant lancé un disque de remix (Paluche 3.14) en 2004, un essai (Déjà vu) en 2007, sans omettre de faire des apparitions scéniques. « Le temps a simplement passé, indique-t-il. Pour moi, la vie continuait, mais peut-être que le public a vu le temps passer un peu plus. (…) C’est sûr qu’à un moment donné, on a moins de choses à prouver. Et puis il y a beaucoup de bonnes chansons qui se font… »

 

Le romancier de la chanson

 

Paul Piché était cependant loin d’avoir tout dit et la nécessité de traduire ses idées en chansons s’est de nouveau imposée. Il a donc repris la plume et ses allures de… romancier. Car oui, l’auteur-compositeur-interprète se fait un peu écrivain pour pondre ses poèmes : outre la rime riche et la mélodie appropriée, il est en quête de personnages et de décors. Jean Riant, en lequel des politiciens pourraient aisément se reconnaître, a ainsi vu le jour dans la pièce qui porte son nom, devenant l’antithèse des citoyens qu’on a connus dans les couplets de « Réjean Pesant », en 1977. Même lorsqu’il ne les baptise pas, Piché aime mettre des individus en scène. On peut l’observer dans « Je pense à toi ». Imaginé à bord d’une barque, tantôt dans l’ère moderne, tantôt au XIXe siècle, le protagoniste derrière le « je » lui a permis de traiter de l’obsession amoureuse et de l’enjeu de partager ce sentiment. « Quand j’écris, je peux perdre beaucoup de temps à décrire le décor, l’ambiance ou l’époque, explique-t-il. C’est ce qui m’aide à trouver l’émotion qui se dégagera de la chanson. »

 

Au fil des ans, Piché a pris l’habitude de doubler ses œuvres d’un engagement politique, social ou environnemental. Les compositions de Sur ce côté de la terre témoignent de ces préoccupations. Celui qui est diplômé en anthropologie s’est appliqué à dénicher les métaphores assurant à ses textes d’être lus de maintes façons. Du coup, il a instauré ce lien qui lui est cher entre l’individu et la collectivité. Même « Cette nuit nous appartient », aussi intime soit-elle, peut devenir un hymne associé à libération d’un pays : « Ce n’était pas sans peine/Mais on s’est retrouvés/Et la nuit soudain cajole jusqu’à l’horizon/Ton sourire splendide et souverain ».

 

Le vétéran se fait débutant

 

Après plus de 30 ans de carrière, Piché le vétéran a voulu rejoindre Piché le débutant. L’artiste de 56 ans a senti le besoin de se mettre en danger; d’aller étrenner ses petites dernières publiquement, armé de sa seule six cordes. Il s’est exécuté discrètement, visitant des pubs de la province. Son idée? Identifier les titres qui fonctionnaient le mieux et leur donner une âme avant d’entrer en studio. « Je vivais ce que j’avais vécu avant d’être connu, relate-t-il. Parce qu’une fois que tu es connu, les gens ont découvert ton répertoire, alors ce n’est pas la même chose que d’arriver avec de nouvelles pièces. »

 

Pour parer les chansons d’habillages folk modernes – quoique intemporels – de vieux complices ont été appelés en renfort. Piché a confié les rênes de la réalisation au guitariste Rick Haworth, avec lequel il collabore depuis une vingtaine d’années, et a retrouvé d’autres frères de son tel le bassiste Mario Légaré. Dans l’équipe, quelques nouveaux visages se sont également immiscés. En particulier un prénom qu’on avait entendu, jadis, dans la pièce « Le Temps d’aimer » (1988) et qui a assuré les percussions, en plus de co-signer trois compositions : Léo, le fils de Paul. « Léo fait de la musique; c’est comme ça qu’il gagne sa vie. Et tout naturellement, on s’est mis à composer des chansons ensemble sans rien forcer ou intellectualiser. (…) Ç’a été très agréable. C’est vraiment bien de pouvoir garder un beau contact avec ses enfants quand ils vieillissent. »

 

La longue période de gestation ayant entouré Sur ce côté de la terre a nourri les attentes du public. Visiblement, Paul Piché a tout mis en œuvre pour être à la hauteur. Maintenant qu’il y est parvenu sur disque, il est fin prêt à partir en tournée avec ses musiciens afin de renouer officiellement avec ses fans. « On a vraiment hâte d’aller sur la route. Ce travail d’écriture, on le fait pour une raison : se retrouver face au public, les yeux dans les yeux. »