Prenez un moment pour écouter attentivement les pièces « Fever » et « Crumbling Down » sur le dernier album de Nuela Charles : on vous pardonne d’avance si vous avez l’impression qu’elle y chante au sujet d’un ex.

« You broke me down, just to watch me fall/The hands that held me now tear me apart » (librement : Tu m’as brisée, juste pour me voir tomber/Les mains qui me tenaient me déchirent désormais), chante-t-elle sur « Crumbling Down », l’une des sept chansons figurant sur son album intitulé The Grand Hustle paru en novembre 2016.

En réalité, Nuela Charles y exprime plutôt la frustration qu’elle ressent vis-à-vis l’industrie de la musique.

« Je parle des hautes et des bas que j’ai vécus en tant qu’artiste indépendante », nous dit-elle depuis sa résidence d’Edmonton. « Je tenais quand même à en parler d’une manière à laquelle tout le monde peut s’identifier. J’appelle ça une histoire de triomphe ; on assiste à l’ascension et à la chute de l’héroïne, puis elle triomphe, à la fin. Je me suis imaginé ce que ça donnerait si j’écrivais des chansons autour de ce thème. »

« J’ai consacré toute ma vie à ma musique et à sa diffusion », dit-elle. « C’était mon seul objectif, alors je devais simplement répondre à une question : comment est-ce que j’en fais quelque chose que je mes auditeurs comprendront ? »

La réponse : en créant des analogies avec une relation qui se termine (mal). Et, bien entendu, en chantant ces chansons avec une voix qui a fait dire à un journaliste de la CBC qu’elle était « la future reine de la musique soul canadienne ». Parmi ses nombreuses distinctions, Nuela Charles a reçu une bourse de 8000 $ lors de l’édition inaugurale du Edmonton Music Prize, en 2013, un prix qui récompense le meilleur album par un résident de la ville, a été l’une des 12 finalistes du Performance Project d’Alberta, ses chansons ont élu domicile sur les ondes de CBC Radio 2 et en rotation régulière sur les ondes de l’influente station radiophonique KCRW, de Los Angeles, en plus d’être utilisés de de nombreuses émissions télé sur VH1, The Family Channel, W Network, CityTV, MTV et Showtime.

Mais elle n’est aucunement une chanteuse soul qui hurle ou grogne. Elle possède plutôt une voix unique et une manière de chanter avec conviction qui n’est pas sans rappeler Amy Winehouse.

« Tout commence par une bonne chanson et la capacité de livrer son histoire d’une manière unique. C’est ce que j’essaie de faire, et j’ai l’impression que ça fonctionne », dit-elle humblement. « Je crois que lorsque vous avez une bonne chanson, mais que vous n’êtes pas en mesure de lui rendre justice, elle ne marchera pas. Ce n’est pas une question de technique de chant. Pour moi, ça se résume à “est-ce que tu crois ce que cette personne chante ?”. »

« Prenez la chanson  « I Will Always Love You ».Quand Whitney Houston la chantait, je la croyais. Elle était au service de la chanson, elle a pris la chanson de quelqu’un d’autre [Dolly Parton] et l’a livrée avec brio. C’est ce que j’essaie d’accomplir tous les jours. »

Nuela Charles, qui a coécrit toutes les pièces sur The Grand Hustle, raconte avoir appris cette notion d’être au service de la chanson en même temps qu’elle est tombée amoureuse du processus de collaboration avec d’autres créateurs lors des camps d’écriture auxquels elle a participé au fil des ans. On pense entre autres à l’édition 2016 du Breakout West SOCAN Song House, ainsi que d’autres, organisés par la Songwriters Association of Canada (SAC) et Alberta Music.

« J’ai tendance à écrire le premier couplet, le refrain et l’interlude, mais je n’ai aucune idée du deuxième couplet. »

« Il s’agit tout simplement d’écrire la meilleure chanson qu’on peut et qui a la meilleure voix pour l’interpréter », dit-elle. « La principale leçon que j’ai apprise c’est de ne pas avoir peur d’essayer des trucs qu’on n’oserait pas faire en tant qu’artiste. Je ne peux pas participer à un tel camp en pensant que je vais écrire pour moi-même. C’est une question de trouver où cette chanson trouvera son terreau fertile, que ce soit à travers un autre artiste ou dans une émission de télé. Il ne faut pas s’imposer de limites. Il faut s’ouvrir à l’expérience et aux suggestions des autres, parce que si vous ne faites pas ça, la séance devient inconfortable. »

Nuela Charles préfère écrire avec des collaborateurs.

« J’ai tendance à écrire le premier couplet, le refrain et l’interlude, mais je n’ai aucune idée du deuxième couplet. Puis je délaisse la chanson et n’y reviens pas », lance-t-elle en riant. « Lorsqu’on collabore avec quelqu’un, on peut lancer des idées mutuellement et ça aide à garder le contrôle sur l’histoire et à la rendre cohérente. C’est simplement plus agréable que d’écrire seule à la maison. »

Elle décrit d’ailleurs le processus de création de The Grand Hustle comme ayant été « super facile ». « Mon producteur et moi sommes allés à Toronto pendant deux semaines et avons invité différents auteurs à venir travailler avec nous », raconte-t-elle. « J’avais une histoire à raconter, alors je leur expliquais les thèmes que je voulais explorer et je leur disais de se sentir tout à fait libres d’arriver avec quelques idées, ou pas du tout. »

Pour elle, le fait d’avoir un producteur qui « crée la musique » en même temps qu’elle écrit en compagnie de quelqu’un autre « contribue vraiment à la fluidité de la chanson et de sa direction lyrique », explique l’artiste. « Parfois on compose à la guitare, d’autres fois au piano. “Fever”, par exemple, a été durant notre dernière journée de création. Mon producteur s’amusait avec un “beat” sur l’ordinateur et son aspect répétitif m’a inspiré des images de quelqu’un qui court, et les paroles me sont venues de là. »

Si une chose devient évidente lors d’une conversation avec Nuela Charles, c’est qu’elle voue un amour sans bornes aux chansons. À un point tel, en fait, qu’il lui est impossible de travailler avec une formule pour créer des « hits ». « Ça n’est pas pour moi », dit-elle. « J’aimerais avoir un numéro un, aucun doute là-dessus, mais il devra être créé à ma façon. »