Nicole Lizée

Photo: Steve Raegele

Nous habitons des arrondissements montréalais voisins, mais c’est au téléphone que je joins la compositrice montréalaise Nicole Lizée. Plutôt que de créer une distance, l’objet au travers duquel nous communiquons me sert à entamer la conversation : n’a-t-elle jamais pensé à créer une œuvre pour téléphone ? Après tout, elle a utilisé des jeux vidéos vintages, des jouets musicaux, des instruments qui tiennent du gadget, comme le stylophone, et une foule d’autres objets étranges au fil des ans. « Non, mais tu viens de m’en donner l’idée, il va falloir que j’ajoute ça à ma liste de projets », répond-elle en riant. La réponse pourrait être une boutade, mais on ne serait pas surpris que la compositrice s’y mette un jour.

N’allez pas croire qu’il s’agit d’un simple gimmick ; ces éléments étrangers au monde de la grande musique sont une partie intégrante de la démarche de la compositrice. « Les objets que j’utilise ont tous une valeur sentimentale, explique-t-elle. Très jeune, j’ai commencé à tenir une liste de mes objets de rêve, que je voudrais intégrer à mes œuvres : des trucs avec lesquels j’ai grandi, comme le jeu E.T., un truc injouable pour le Atari 2600, considéré comme le plus grand échec de l’histoire des jeux vidéos. Ou encore l’Omnichord, un instrument bizarre que je me suis enfin procuré adulte, mais qui m’avait fasciné quand j’étais jeune, en entendant « Love is a Stranger » des Eurythmics. Ce sont des objets imparfaits et c’est ce qui fait leur beauté à mes yeux. »

Nicole Lizée est fascinée par les technologies désuètes et leur fonctionnement parfois aléatoire. Élevée dans un petit village en Saskatchewan, elle a grandi dans une caverne d’Ali Baba que son père remplissait d’appareils électroniques qu’il réparait et collectionnait. Des éléments qui se sont ajoutés à son parcours musical Nicole Lizée éclectique, qui l’a menée de Chopin au heavy métal, en passant par les bandes originales de films et la musique pop des années 80. Un bagage qu’elle a traîné avec elle sur les bancs de l’université McGill où son approche peu orthodoxe n’a pas toujours fait l’unanimité. « Lorsque j’ai présenté mon projet de maîtrise, qui était un concerto pour tables tournantes , des membres de la faculté ont applaudi l’originalité de la démarche, mais d’autres m’ont dit que ce n’était pas un vrai instrument, qu’on ne pouvait pas l’inclure dans une partition. Ce qui est ridicule parce que j’avais justement créé tout un système de notation spécifique pour cet instrument ! »

 

Depuis sa sortie de l’école, la démarche audacieuse de la compositrice a été mainte fois validée : les commandes sont venues de partout, de l’Orchestre Métropolitain au Kronos Quartet et elle a reçu de nombreux prix prestigieux. Lors de son dernier gala, la SOCAN lui remettait d’ailleurs le Prix Jan V. Matejcek, pour la nouvelle musique classique, un choix unanime du jury.

« Ça m’a touchée, car ce qui me fait le plus plaisir, c’est d’avoir la reconnaissance de mes pairs et de l’industrie, explique-t-elle. Le genre de musique que je fais a assez peu de chance de se retrouver à la radio, alors ce genre de récompense aide beaucoup à promouvoir mon travail. J’ai tout de suite vu un intérêt accru lorsque j’ai remporté le Prix Jules Léger du Conseil des arts du Canada en 2013. »

Depuis 2012, le nombre de projets s’est multiplié de façon exponentielle, incluant de nombreuses œuvres inspirées des films de Hitchcock, Kubrick, Lynch ou Tarantino, qui sont manipulés et remixés dans des échanges avec des solistes ou des orchestres. Et lorsqu’elle n’est pas en train de composer pour elle-même, ou de créer ses propres images, Nicole Lizée reçoit des demandes de collaborations de toutes parts.

« Je suis tellement heureuse de voir que les gens viennent à moi parce qu’ils reconnaissent et apprécient la spécificité de mon travail. Récemment, j’ai reçu une demande de Pat Steward, qui a longtemps été le batteur de Bryan Adams. Il avait vu un de mes concerts à Vancouver, qu’il avait apprécié. Après avoir pris contact avec moi, il m’a commandé une pièce en me disant simplement « Fais ton truc ». Ça, c’est le genre de collaboration qui m’excite. »

Parmi les nombreux autres projets qui l’occuperont au cours des prochains mois, mentionnons l’enregistrement sur disque de « Death of Kosmische », l’œuvre que lui avait commandé le célèbre Kronos Quartet et qui a grandement contribué à sa reconnaissance internationale. Elle prépare aussi une collaboration avec le groupe Collectif9 et au mois d’avril, dans le cadre du Printemps Nordique, elle présentera une création pour l’Orchestre Symphonique de Montréal inspirée de légendes amérindiennes, en compagnie du rappeur innu Samian.

« Du moment qu’il s’agit d’un projet audacieux et créatif, le genre m’importe peu. Si je peux garder ma vision et si tout le monde travaille avec cœur et intégrité, je suis heureuse. »