Le premier EP de l’autrice-compositrice queer Mélodie Spear, Fabulations (Artifice) déchire le voile sur son passé avec un cinq titres écrits entre l’âge de 15 et 21 ans que la guitariste de 23 ans originaire de Beauport a évacués comme une catharsis. Spear, parfois ange, souvent démon, prend plaisir à dévoiler ses multiples facettes.

Melodie Spear « Parce que c’est une période charnière de la vie, tout se forme ou se déforme, je ne pourrais pas les écrire aujourd’hui.. La femme que je suis devenue retrouve la fille que j’ai été. Fabulations, c’est une rencontre avec soi-même ».

Réalisé par Ben Shampouing (aka Benoit Villeneuve) qu’on a vu récemment avec Tire le Coyote, Mélodie a pu s’assumer pleinement en tant que musicienne avec son nouveau compagnon de travail.

« Il y a plus de deux ans, je suis arrivée à l’Ampli de Québec (studios, formations professionnelles, etc), j’étais une bibitte avec des pantalons carottés pis un gros jacket de jeans et j’ai dit à un responsable, Guillaume Sirois, (d’un air frondeur) : là, je veux faire du rock, sont où les gens rock à Québec ? C’est lui qui nous a mis en contact… »

« J’étais encore au CÉGEP quand on a commencé à faire la préproduction des chansons il y a deux ans. J’arrivais dans le sous-sol chez Shampoing avec ma petite guitare, je n’avais jamais joué avec un groupe auparavant. Il y avait un Félix sur son bureau, raconte-t-elle d’un air impressionné, à côté d’un crâne d’alligator et ma réaction a été : lui, il sait vraiment ce qu’il fait ! (rires) ».

Avec la complicité de quatre musiciens.nes (Olivier Beaulieu, batterie et aussi son gérant), Elizabeth Lavallée, basse, Jean-Michel Letendre, synthés et Vincent Gagnon, claviers, des musiciens actifs avec Lou-Adrianne Cassidy, Beat Sexu, Hubert Lenoir et cie), on prend une bonne rasade de dérapages contrôlés. Tout le monde a participé à la création.

Spear s’est par la suite constitué un « band de filles » de Québec pour la scène, Les amazones : « je veux donner à ces femmes qui ont plein de potentiel des occasions de jouer devant public pour qu’elles puissent se rendre au niveau des gars ».

Les amazones ont fait bonne impression lors des préliminaires des Francouvertes cette année avec une chanson qui ne figure pas sur Fabulations, Sorcière, qui pourrait faire tourner plus qu’une paire de hanches, sur des riffs de guitare saccadés, sous forme d’hymne obsessif crié le poing levé. Une version amazonienne qui s’imprime sur les parois de notre crâne comme un papier peint. Convaincant.

Or, Fabulations débute sur la piste Dans les limbes ; cohésion de groupe impeccable, production sonore allumée, on est tout de suite situé au niveau du climat… incertain. Spear en a fait une version dépouillée lors du spectacle « Dans l’shed à Léon », en toute intimité. La variation atmosphérique entre les deux est tranchante : « une chanson, c’est un sentiment que tu revisites et tu le fais toujours pour des raisons différentes ».

Ana, explique Spear au sujet de la deuxième chanson: « est née d’un besoin de se mettre la tête dans le sable, d’atténuer ce qui nous entoure, de s’engourdir. J’étais une adolescente très révoltée. Ana, n’est pas facile à vivre, mais on succombe à son charme ».

Les enfants de la tempête nous interpelle sur le divorce de ses parents, tous deux musiciens. « Un phénomène qui a marqué ma génération, les divorces ». La bouchée passe tout de même agréablement à la sauce Ben Shampouing, il y en a pour le buffet et la caboche.

« J’ai voulu revisiter une fable de La Fontaine (sur Plus qu’une fable), Le lièvre et la tortue, et l’interpréter dans le contexte actuel. J’aime le fait qu’il y a une morale à la fin, un peu comme mes chansons. Le lièvre et la tortue, je suis les deux, vraiment lente et rapide » !

Et à propos de Cœur malade, cinquième titre de Fabulations : « mon Justin Bieber à moi durant ces années c’était Beaudelaire, voilà un univers qui me parle : prendre ce qui est laid chez l’humain et le rendre beau ». Amour toxique et blessures : « ton coeur malade autour d’une grenade », répète-t-elle sur le clip paru en 2019.

Mélodie Spear possède une voix très judicieusement servie par une musique aux nombreux gargouillements sonores. Une musique ni sombre ni orageuse, toujours à la poursuite de ses obsessions sur l’humain avec un authentique tempérament pop.

« Les textes, mes états d’âme, mon brin de névrose, c’est à mon image, il y a quelque chose qui bouillonne à l’intérieur. C’est le résultat d’une hypersensibilité qui crée un trop-plein d’émotions. Alors j’écris des chansons ».

L’affirmation définitive d’une personnalité forte qui s’installe dans le paysage.