Mehdi Cayenne a lancé en novembre dernier un troisième album intitulé Aube. Aube pour la promesse d’un recommencement, mais d’abord « pour la forme arrondie des lèvres quand on le prononce, dit le chanteur ottavien. C’est un mot doux, féminin, contrairement au titre de mon album précédent : Na Na Boo Boo! Je voulais aller vers cette sensibilité-là. Quelque chose de cyclique traverse l’album : l’aube n’est pas le dénouement, plutôt la prémisse d’une histoire. »

On s’éloigne du joyeux foutoir presque punk d’une chanson comme Oh Canada avec laquelle Mehdi s’est fait remarquer dans de nombreux concours en 2014. Rappelons qu’il est reparti du Festival en chanson de Petite-Vallée avec quatre prix, du Gala des Trille d’or avec trois… Les encouragements et marques de reconnaissances s’accumulent pour l’auteur-compositeur-interprète de 28 ans.

« Les accords, majeurs, les propos francs, directs et décomplexés… Je suis interpelé par cette nudité émotionnelle. »

À quoi tient ce changement de ton sur Aube? « Je visais le même type d’intensité et de variations dynamiques, mais un niveau de décibels beaucoup plus bas. »

Mehdi n’a pas perdu en chemin son côté inclassable et atypique : « J’ai conservé des éléments d’éclectisme, de surprise et d’anticonformisme musical. Pour cet album, je me suis inspiré de la candeur d’œuvres plus classiques : Rodin, Van Gogh… et la Compagnie créole! »

À trop parler, on dit moins

Mehdi CayenneDans la plupart des entrevues qu’il accorde, Mehdi cite la Compagnie créole. « Les accords, majeurs, les propos francs, directs et décomplexés… Je suis interpelé par cette nudité émotionnelle. Elle se manifeste aussi dans le propos. Il y a quelque chose de risqué là-dedans, aucune parure cool. »

Issu du milieu slam qui, dans l’Outaouais, a ses fiers représentants dont Marjolaine Beauchamp, Mehdi Hamdad de son vrai nom joue habilement avec les mots et signe des textes solides. Sur Pigeon-voyageur, il chante :

Nos mots sont des sons qui vont loin
Mais qui n’expliquent rien
Ainsi les poèmes meurent d’envie
de se lover dans nos mains

« Les mots désignent un concept ou une idée, mais à force de conceptualiser les choses, on perd de vue que la réalité est d’abord ressentie avant d’être nommée. »

Quelque chose de très sensuel traverse l’album, comme un baiser envoyé à quelqu’un qui s’éloigne. Album de rupture? Pas vraiment. Histoires de désir, aventure tortueuse, tango impossible : certainement. Même dans une chanson comme Crève-coeur, dont le chant par moments déchiré évoque la sensibilité d’un Leloup, c’est plus la douleur que la hargne qui monte à la surface. Un animal hurleur panse ses plaies.

« Oui, je suis plus dans la douleur que dans la colère. Je m’intéresse à toutes les saisons d’une relation, à avant, pendant, après. Il y a aussi chez moi la volonté d’entremêler le sacré et le profane. Le côté charnel oui, mais aussi l’espèce de candeur maladroite d’un cours de catéchèse. »

L’histoire de Rivière

Megdi CayenneLes grands sentiments, l’idéal amoureux et puis la cafetière qu’on dépose sur le rond. Les petits gestes du quotidien qui côtoient les grands élans mystiques, tout cela fait partie de l’ADN de Mehdi Cayenne. « Je suis arrivé au Québec tout bébé à cause de la guerre civile. Ma mère est française. J’ai vécu à Montréal, à Moncton, à Ottawa, un peu à New York, mais je suis né en Algérie. Mon grand-père et 14 générations avant lui sont des imams soufis. Le soufisme est la branche mystique de l’islam. Ça se retrouve aussi chez Prévert, cette idée d’entremêler deux pôles en apparence éloignés, d’unir poésie et réalisme, joie et tristesse.

Le Cayenne de son nom réfère à la Prison de Cayenne, décor de la vie d’Henri Charrière, qu’a découvert Mehdi en lisant Papillon. Il est question ici de s’échapper des prisons qu’on construit parfois dans sa tête. Un nom qui sied bien à un artiste qui fait les choses à sa manière sans jamais fermer de portes, au fil d’un parcours jusqu’ici indépendant.

Quand on lui demande où il se voit dans dix ans, Mehdi espère avoir trouvé une façon de se réinventer. Ce qui le fait jubiler, « c’est d’anticiper une évolution artistique, car au final, c’est assez monastique l’exécution artistique. Tu fais des tounes, un album, des shows, puis tu rentres chez vous et tu recommences. L’idée, c’est de trouver une manière de se ne pas se répéter. »

C’est ce qu’il fait sur Aube, un album qui est comme un court roman par poèmes, l’histoire d’un narrateur et de Rivière, qui incarne en quelque sorte l’esprit d’un amour vagabond. « Il n’y a jamais eu de narration aussi linéaire sur mes albums précédents. Aube est une ode dans l’absence, car Rivière est à la fois omniprésente, mais jamais vraiment là. Tu me demandes qui est Rivière? C’est quelque chose qui te met à l’envers, mais qui en dedans sauve ta vie. »

Voir la chanson Je te veux de Mehdi Cayenne, enregistrée lors du lancement de l’album Aube, au Mercury Lounge d’Ottawa, le 4 novembre 2015 :

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