Samedi soir et dimanche matin.

C’est ainsi que Matt Mays décrit la différence entre ses albums Once Upon a Hell of a Time et son plus récent, Twice Upon a Hell of a Time, le premier étant un album énergique et électrique, tandis que le second est son jumeau acoustique et velouté.

« Je trouvais que ces chansons devraient être un peu plus déchirantes », explique Mays au sujet de ce qui l’a motivé à enregistrer Twice. « Les chansons sonnent un peu plus joyeuses qu’elles le doivent sur Once, tandis que sur Twice, elles sont plus authentiques et rendent justice aux paroles. Et je me suis amusé. »

Lorsque Once est paru, il y a un an, Mays décrivait ce disque de 13 chansons — coécrit et réalisé par Loel Campbell de Wintersleep — comme « un album de party rock pour les cœurs brisés ».

Mays et le réalisateur Eric Ratz (Danko Jones, Monster Magnet) se sont donc efforcés de réinterpréter Once dans une atmosphère totalement différente. Ainsi, sur Twice, la pièce « Perfectly Wasted » devient une valse centrée sur le piano. « Faint of Heart » passe de rock pesant à ballade plaintive au « pedal steel », et « Ola Volo » troque les guitares électriques pour le ukulélé.

« C’est fou ce qu’un changement de tempo, de clé ou d’atmosphère peut faire à une chanson. »

« Les chansons sont d’étranges choses, en ce sens », explique le créateur de sept albums — et quelques-uns de plus avec son ancien groupe The Guthries — né à Hamilton et vivant maintenant à Toronto. « Elles peuvent changer du tout au tout si on les arrange différemment. »

« Les transformer en versions acoustiques fut agréable parce que toutes les chansons et leurs paroles existaient déjà ; tout ce que nous avions à faire était de nous assurer que chaque interprétation soit inattendue et différente de la version sur l’album original. Ce que je n’ai pas réussi à sortir sur Once, j’ai réussi à le secouer sur Twice. C’est sans doute pour ça que j’avais hâte de le faire. Une chose est sûre, c’est que j’ai sorti ça de mon système avec ces deux albums. »

Le plus étrange dans tout ça, c’est que la plupart de ces chansons ont été composées en version acoustique, puis arrangées pour devenir des pièces rock sur Once avant d’être reconverties sur Twice.

« J’avais écrit la moitié d’entre elles en acoustique et certaines n’étaient pas tout à fait complètes, et je les ai terminées pendant l’enregistrement de Once », explique-t-il. « “Station Out of Range” a été composée au ukulélé puis nous l’avons électrifiée. Après, ç’a été vraiment amusant de la “désélectrifier”. »

Pour Mays, créer deux versions d’une même chanson peut mener à deux extrémités émotionnelles. « Sur “Ola Volo”, le mec dans le premier couplet est en détresse et il a vraiment besoin de trouver quelqu’un pour l’aider. Dans la version acoustique au ukulélé nettement plus joyeuse, c’est le même mec, mais il n’est plus aussi en détresse. C’est comme s’il était sur une plage hawaïenne en train de chanter. C’est une des transformations les plus radicales. L’autre exemple est “Never Say Never”, une pièce qui est plus enjouée et quasiment trop bruyante et rapide sur Once. Sur Twice, elle est plus fidèle à l’état d’esprit dans lequel je me trouvais quand je l’ai écrite ; pas mal plus triste, réaliste et crue. »

Comme nous l’explique Mays, lorsque vient le temps de créer, ses instruments de choix sont la guitare acoustique, le piano et le ukulélé. « Je travaille mes chansons jusqu’à ce qu’elles correspondent à ce que j’entends dans ma tête, et je m’assure ensuite qu’elles se tiennent », explique l’artiste.

Mays a la clé du studio d’Aaron Goldstein, membre de Lee Harvey Osmond et génie de la « pedal steel », et il s’y rend très tôt le matin, « avant que mes filtres s’activent, pendant que mon cerveau est encore trop embrumé et avant que je me mette à m’inquiéter au sujet de tout ce que la journée me réserve », afin de travailler sur ses chansons.

Le Top Trois de ses propres chansons
« Mes chansons préférées sont celles que je n’ai pas l’impression d’avoir écrites, mais pour lesquelles je n’étais qu’un conduit. “A Spoonful of Sugar”, “Chase the Light” et “Terminal Romance”, toutes des chansons qui sont sorties de moi si rapidement que je n’ai même pas l’impression qu’elles sont de moi. “Station Out of Range” est l’une de celles-là aussi. »

Mays aime expérimenter. « C’est fou ce qu’un changement de tempo, de clé ou d’atmosphère peut faire à une chanson », dit-il. « Ce n’est peut-être pas à 180 degrés, mais ça permet à mon cerveau d’explorer de nouvelles avenues. C’est un portrait différent. »

Et lorsque l’inspiration le visite quand il n’est pas en studio, Mays enregistre ses idées sur son téléphone et s’efforce de les compléter. « Quand ce se présente, c’est important de tout laisser tomber et d’essayer de compléter cette chanson », croit-il. « Ne lâchez pas votre guitare tant que vous n’avez pas terminé au moins une version entière de cette chanson. Il m’arrive de m’emballer à propose de quelque chose d’autre, puis j’oublie cette chanson ou je la laisse tomber. Mais si vous vous forcez à la finir, vous savez que vous ne l’avez pas mise dans votre téléphone en vain. »

Mays affirme que l’expérience Once/Twice Upon a Time a changé son approche de la création musicale. « Plus je vieillis, plus je réalise que c’est mieux de passer plus de temps à bien canaliser une chanson que d’en écrire beaucoup », confie-t-il. « On dirait que plus je m’assois pour écrire, moins j’écris des chansons que je veux garder. Celles qui me font le plus vibrer me viennent sans réel effort ou planification, j’essaie donc de les laisser venir à moi plus souvent. »



« Did I stop to breathe? »

Ces premiers mots de Waltzing Disappointments, la première des neuf chansons du quatrième disque de Pascale Picard, The Beauty We’ve Found, sont pour le moins évocateurs.  « Une chanson qui parle de dépression, ça donne le ton, hein ? », clame-t-elle avec un brin d’ironie. « Le message est clair, poursuit-elle en parlant de son album: c’est là qu’on s’en va ! Ce n’est pas la dépression post-partum, mais j’ai déjà souffert d’épisodes dépressifs plus jeune. »

Pascale PicardEmballée par l’aventure en solitaire qu’elle mène depuis deux ans, Pascale Picard s’est façonné un fuselage tout neuf fait d’un alliage léger, dix-huit mois après avoir donné naissance à sa fille et quatre ans depuis son disque précédent, All Things Passed.

« Quand j’ai commencé à écrire des chansons, ce qui m’inspirait c’est ma douleur. J’ai eu une adolescence extrêmement tourmentée, j’étais vraiment malheureuse. Je parlais beaucoup du suicide pis des idées noires qui me hantaient. Mais c’était trop intense pour être exprimé en français. J’aurais fendu en deux. De le faire dans une langue seconde m’a permis de m’ouvrir davantage. Et mon anglais s’est amélioré au fil des ans. »

« Avoir un enfant, ce n’est plus juste moi dans mon petit univers, ça m’a énormément changé. Je suis rendue hypersensible en général, tout devient plus beau ou plus triste, je regarde tout avec une loupe dans le cœur. »

Tel un placard secret entr’ouvert, Picard dévoile sur cet album aérien et dépouillé le côté sombre de ses états d’âmes sur des nappes de piano et de cordes, quelques guitares de Simon Pedneault et un dialogue harmonique duveteux, sans surcharge sonore. Avec le complice idéal, le multi-instrumentiste Antoine Gratton, maestro des textures, qui a donné à l’écriture de la musicienne l’écrin musical adéquat.

« Les thèmes abordés sont plutôt sombres, admet-elle, je pense qu’on a tous besoin de voir les deux antipodes de notre âme. Mais ce n’était pas un objectif au départ de faire un disque plus dark. Dans cette optique, Antoine et moi on a vraiment connecté, on est allé à fond. Il a réussi à habiller les chansons sans dénaturer mes maquettes créées en préproduction ». Autrement dit: faire prendre la mayonnaise musicale à partir de règles non définies.

Enregistrées en deux sessions de six jours au studio b-12 à Valcourt (où fut conçu le projet collectif Sept jours en mai en 2015), les neuf chansons composées par l’auteure de Gate 22, son méga-succès, transcendent l’exercice. « Je ne voulais pas puncher de 9 à 5 ». Jeunes parents, Picard et Gratton ont emmené dans l’immense maison les grands-parents qui ont occupé les petits tandis que le tandem créatif s’échinait dans la pièce d’à côté.

« Je regarde tout avec une loupe dans le cœur. »

Elle nous partage pêle-mêle le fruit de ses inspirations: « The Beauty We’ve found, c’est un peu la chanson carpe diem de l’album: l’amour ce n’est pas permanent, mais il ne faut pas s’empêcher d’aimer quelqu’un pour autant. Witch Hunt, clairement une toune sombre, se sentir rejeté, l’intolérance des autres… La tempête, seule chanson en français qui raconte le décès de ma belle-mère suite à un cancer il y a trois ans. Too Little Too Late parle d’alcoolisme, des dommages collatéraux, etc. ».

On pourrait ajouter que sur la très country Rock Bottom, il n’y a pas de batterie et que In Town semble sortie d’un film de Tarantino. « Je raconte une histoire que je verrais bien en vidéoclip. Il y a un petit côté alternatif-trash que j’aime ».

Une chose est sûre, The Beauty We’ve Found est un indispensable disque de chevet. Ses textes sont plus aboutis, elle qui a travaillé avec Xavier Lacouture dans des ateliers d’écriture à Tadoussac. « C’est la première fois que je développe des outils pour écrire. Pour l’autodidacte que je suis, c’est un plus ».

Pascale Picard a aujourd’hui 36 ans. En 2007, lorsque Me Myself & Us est sorti, on le rappelle, elle fut propulsée avec ses chansons anglophones dans la stratosphère du showbizz avec un fort potentiel à l’international. Outre la contagieuse Gate 22, plusieurs hits radio de ce même disque ont attiré les projecteurs sur elle, fille de Québec qui a grandi à Sainte-Julie, puis Charlesbourg et Beauport avant de s’établir à Stoneham avec sa smala, point de chute pour la planchiste à neige assidue qu’elle est.

« Je me suis beaucoup fait demander Sorry cet été (en tournée solo), ça faisait longtemps que je l’avais jouée ! » Mais le contexte est très différent de ses débuts: « j’ai fait du bar pis je me faisais caller toutes sortes de niaiseries ».

Que dirait la Pascale Picard d’aujourd’hui à celle de 2007? « Je lui chanterais Whole (la dernière chanson du disque) qui parle de se faire confiance pis de s’écouter ».

Après ce généreux entretien de trente minutes, on n’allait pas terminer l’entrevue sans parler de Paul McCartney et du concert en 2008 qui soulignait le 400e anniversaire de la Ville De Québec ou The Stills et le Pascale Picard Band ont été invités à jouer en début de soirée. « Je me fais encore arrêter dans la rue pour ça. J’étais au top à ce moment-là. L’artiste du moment. On n’a pas fait de sound check. Il y avait des snipers sur le toit de l’hôtel Concorde ! Si Paul était venu une année avant ou après 2008, ce n’est pas moi qu’on aurait appelé. S’il était venu sur les Plaines cette année c’est Hubert Lenoir à qui l’on aurait demandé  ! »



Richard Reed ParryRichard Reed Parry est étendu sur le plancher, à quelques centimètres de moi, et je remarque un sourire discret s’esquisser sur son visage. Alors que sa propre musique emplit peu à peu l’espace du local du Plateau Mont-Royal où nous nous trouvons, je remarque à quel point son état méditatif tranche avec l’énergie brute qu’il déploie habituellement sur scène avec son groupe Arcade Fire. Il faut dire que nous ne sommes pas ici pour parler de l’un des groupes rock les plus connus de la planète, mais bien pour découvrir son plus récent album solo à l’invitation de Julien Boumard Coallier, organisateur des soirées Die Pod Die. Le compositeur a accepté d’écouter son propre album – sur vinyle, il va sans dire – en compagnie d’un petit groupe de fans avant de répondre à nos questions.

Dès le début de la conversation, je fais remarquer à Parry à quel point cette écoute collective, presque religieuse, me semble appropriée. Car si la musique intime et hypnotique que l’on retrouve sur Quiet River of Dust Vol. 1 est faite sur mesure pour être écoutée au casque, elle est aussi, paradoxalement, trop expansive pour une seule paire d’oreilles.

« C’est vrai qu’il s’agit d’un album introspectif qui aspire à s’étendre dans les grands espaces, confirme Richard. Pas seulement parce qu’il a été inspiré par la nature, mais aussi parce qu’il aborde l’idée de transcendance, d’aller au-delà de soi. Lorsque j’écrivais les chansons, l’image qui me revenait sans cesse était celle d’un rite funéraire en mer. J’aime beaucoup cette idée de répandre les cendres de quelqu’un dans l’eau; que cette eau s’évapore vers les nuages, qu’elle retombe sur terre pour nourrir un arbre et que cet arbre meure à son tour pour revenir à l’eau. Ce gigantesque cycle de la vie, cet éternel retour vers la nature me fascine. »

C’est d’ailleurs en plein cœur de la nature que ce projet a vu le jour il y a une dizaine d’années. Histoire de fuir le brouhaha quotidien qui est le lot du musicien rock, Parry s’est exilé dans un monastère japonais au terme d’une tournée d’Arcade Fire. Loin du monde, ses journées étaient rythmées par les chants des moines bouddhistes et le silence infini d’une nature enneigée où il a trouvé une inspiration en forme de fantôme. En s’enfonçant dans la forêt où il prenait de longues marches, il a cru entendre un jour une mélodie venue du répertoire de son défunt père, musicien folk qui a joué avec le groupe Friends of Fiddler’s Green.

« Cette musique était là, même si personne n’était là pour la jouer, raconte Richard. C’est comme si le silence de la nature avait éveillé quelque chose et m’avait ramené à moi-même : la musique était là, partout… L’image de la rivière dans mon titre renvoie aussi à ce continuum musical qui est au cœur de la musique folk qui a bercé mon enfance: cette transmission de chants ancestraux, de génération en génération, c’est quelque chose de très fort chez moi. »

Si certaines pièces portent plus que d’autres l’empreinte de cette tradition folk, notamment l’épique I Was In The World (Was the World in Me?), d’autres relèvent plus de la musique ambient, voire du psychédélisme. Des bruits d’insectes, d’oiseaux, de vent ou de rivières ponctuent ce voyage musical spirituel. En fait, Parry semble avoir réuni sur un même disque les deux pôles de sa personnalité artistique : l’aspect traditionnel son héritage familial et le côté expérimental exploré lors de ses études en électroacoustique à l’Université McGill. Le tout relié par une approche conceptuelle hautement complexe, où la spiritualité japonaise tient une place prépondérante.

« C’est un album concept, soit, mais ce n’est pas The Wall, précise Richard. Il y a un début et une fin et le deuxième volume (qui paraîtra au printemps, NDLR) va explorer l’autre côté de la rivière; mais je n’essaie pas de raconter une histoire linéaire. Pour moi, il s’agit de peindre avec des mots, d’évoquer plutôt que de dire. Et si on se laisse porter, je crois que le son lui-même raconte l’histoire. »

Voilà probablement la seule clé dont vous avez besoin pour décoder cet album envoûtant. Étendez-vous, fermez les yeux et laissez-vous porter par le son : le voyage est beaucoup plus fascinant que la destination.