Soyons honnêtes : si ce n’était pas des sons de scie coupant des os, de corneilles qui craillent ou de porte qui grincent, les films d’horreur seraient beaucoup moins horrifiants.
Mais grâce à de brillants compositeurs à l’image équipés de tout un arsenal d’outils, de techniques et d’astuces, ces paysages sonores terrifiants nous font trembler de peur dans nos fauteuils au cinéma.
Le Torontois Mark Korven, compositeur pour des films d’horreur depuis la fin des années 90, a développé un outil pour susciter ce genre de réactions qui n’utilise pas tous ces gadgets technologiques typiques des studios d’enregistrement. En collaboration avec le luthier torontois Tony Duggan-Smith, il a créé The Apprehension Engine, une invention canadienne qui a bouleversé notre conscience collective il y a deux ans lorsque Korven a publié sur YouTube une vidéo faisant étalage des possibilités offertes par son instrument.
La vidéo a été visionnée plus de sept millions de fois et Korven explique que Duggan-Smith « a reçu un nombre important de demandes pour construire un exemplaire de l’appareil, dont certaines par de grands noms que nous ne sommes pas en mesure de divulguer ». Il affirme cependant que cet instrument unique, qualifié par le célèbre musicien Brian Eno du « plus terrifiant instrument de musique de tous les temps », coûte 10 000 $ US et que dix exemplaires ont trouvé preneur à ce jour.
« Je voulais créer un instrument qui me permette de créer des paysages sonores horrifiants », explique Korven. « Je voulais m’éloigner des échantillons et des effets sonores, et je voulais que ce soit un instrument acoustique. Mais une fois que j’ai mis la main dessus, je n’ai pas pu résister à la tentation d’y brancher des modules d’effet pour avoir encore plus de possibilités », dit-il en rigolant.
Le musicien explique qu’après avoir conceptualisé son Apprehension Engine, il l’a schématisé et a demandé à Duggan-Smith de le construire en deux semaines. « Je lui ai dit que je voulais un “reverb” à ressorts, une vielle à roue et un “e-bow” [un archet électronique pour la guitare], car j’adore utiliser cet outil. Il a adoré l’idée. Il m’a dit, “enfin une pause de construire guitare après guitare !” »
Korven affirme ne jamais avoir peur des sons sinistres que produit son instrument. « Je compose beaucoup de musique de films d’horreur, et c’est devenu relaxant, presque cathartique. C’est une peu comme ressentir une tension interne et pouvoir l’exprimer à travers la musique afin de l’extérioriser. »
« Je veux pouvoir produire des sons monstrueux. »
Et Korven a une réponse toute prête pour répondre aux puristes qui remettent en question le fait que l’Apprehension Engine est un instrument de musique ou pas, voire que les sons qu’il produit sont vraiment de la « musique ». « Ma définition de la musique est un son qui a un impact émotif », laisse-t-il tomber. « Et à l’opposé, de la “muzak” générique et sans personnalité, pour moi, ça n’est pas de la musique. »
Korven convient d’emblée que l’Apprehension Engine n’est pas un instrument au sens traditionnel du terme, puisque « c’est difficile de jouer quoi que ce soit de mélodique ou d’harmonique au sens traditionnel du terme, mais ces restrictions sont créativement libératrices. C’est un peu comme une boîte de bruitage ; ça n’est pas un tout cohérent, mais les possibilités sont sans fin. »
Korven explique que lorsqu’il reçoit une commande pour la trame sonore d’un film d’horreur, il « expérimente. Quand je m’assois devant l’Apprehension Engine, je ne pense pas en termes de notes et d’harmonies. Je me demande plutôt comment je peux tenir le e-bow différemment ou comment je peux toucher un des éléments de manière à créer un son que je n’ai jamais créé auparavant. »
Il décrit ainsi sa signature sonore : « c’est ma folie sonore très unique qui est funky et crottée. » Il affirme qu’en tant que compositeur à l’image, « on peut passer une carrière entière à faire exactement ce que les réalisateurs nous demandent, mais j’ai toute la liberté du monde de créer ce que j’ai envie de créer. Et ce que je veux par-dessus tout, c’est d’être libre, je veux pouvoir créer des sons monstrueux. »