Maky Lavender«Il y aura autant des chansons entraînantes, qui pourraient être des intros d’épreuves aux Jeux olympiques, que des trucs plus sales à la DMX», nous disait Maky Lavender en janvier 2019 à propos de son prochain projet. Près d’un an et demi plus tard, le rappeur originaire du quartier Pierrefonds à Montréal se félicite d’avoir trouvé les mots justes pour décrire cet album qui, à ce moment, n’était encore qu’un EP embryonnaire. « Wow ! J’me rappelle pas avoir dit ça, mais ça le décrit tellement bien. C’est fou ! »

Prévu pour l’automne dernier, …At Least My Mom Loves Me est finalement paru le 29 février 2020 sous le label montréalais Ghost Club Records. « Souvent, les rappeurs sortent tout ce qu’ils ont dès que c’est enregistré, mais on a préféré prendre le temps qu’il faut pour polir le projet. Si une chanson n’était pas assez bonne, on allait chercher quelqu’un d’autre pour l’améliorer », explique-t-il, référant notamment aux chanteuses Sophia Bel et Brighid Rose, aux rappeurs Speng Squire et Zach Zoya ainsi qu’aux producteurs Lust, Yuki Dreams Again, Dr. MaD, JMF, Max Antoine Gendron et Rami B.

Même si la crise sanitaire a eu raison de son spectacle de lancement, le rappeur de 24 ans se dit plus que satisfait du rayonnement de son premier album jusqu’à maintenant. « Normalement, j’aurais dû être triste [que le buzz soit passé aussi vite], mais je trouve que le reset qui se passe dans la société est plutôt bénéfique pour tout le monde », dit-il, jugeant que le propos de ce premier album qu’il dédie à sa mère est en phase avec le climat social actuel. « C’est sûr que je devais faire plein de shows, pleins de festivals, mais là, j’ai juste pas le choix de relaxer, enfin ! C’est le temps de faire les choses que je devais faire quand j’étais jeune comme prendre des marches, jouer à la Nintendo Switch, prendre du temps pour parler à mes parents… »

Le temps est un thème central d’…At Least My Mom Loves Me. Ce temps qui passe trop vite et qui, par conséquent, nous pousse à accomplir de grandes choses ou, au contraire, nous paralyse. Longtemps, c’est la deuxième option qui a eu mainmise sur Maky. « Quand j’avais 16-17 ans, j’avais tendance à me trouver loser, car j’avais encore rien fait dans la vie. Je voyais des amis finir le cégep et je me disais : ‘’mais qu’est-ce que je vais faire, moi ?’’ J’étais un fan de hip-hop, j’allais voir plein de shows et j’étais à la fois ébloui et paralysé par tout ce qui se passait. Dans ma tête, ceux qui étaient sur le stage, c’étaient des robots. C’était impossible pour moi de me rendre là. »

Mais au lieu de cultiver son anxiété, Maky Lavender s’est servi de ce stress pour guider ses ambitions. En 2017, il a commencé par le début, c’est-à-dire en autoproduisant un premier spectacle dans son quartier (le West Island Nite Show à la salle Pauline-Julien). « Tout le monde essayait de me décourager de le faire, car il ne se passait jamais rien dans le West Island, mais pour moi, c’était important de conquérir le quartier avant de le faire avec la ville. Peu après, j’ai lancé Blowfoam 2 (la mixtape qui l’a révélé sur la scène locale) et je suis parti downtown pour faire de la musique. Je pouvais pas apprendre comment la business marchait en restant à Pierrefonds ! »

Récit de cette période de découvertes urbaines et de révélations personnelles, …At Least My Mom Loves Me témoigne d’une transition sinueuse entre l’adolescence et l’âge adulte. Une transition racontée avec sincérité, autodérision et humour, mais surtout avec une bonne dose de vantardise, héritée de la tradition brag rap américaine. « L’attitude vient souvent avec ce genre de musique. Et elle m’a aidé [dans mon parcours]. Quand j’étais petit, on se demandait tous qui allait être le ‘’Montreal guy’’, celui qui représente la ville à l’international. Y’avait Céline Dion et Saku Koivu qui jouaient un peu ce rôle, mais rien de si évident. À un certain moment, j’ai décidé que ça pouvait être moi, ce gars-là. »

« Ça a souvent été comme ça dans ma vie : on a cru en mon talent bien avant moi. »

Et à l’instar de quelques-uns de ses artistes préférés (Jay-Z, Vince Staples, Tupac), cette confiance exacerbée vient avec son revers de médaille. Premier extrait de l’album (imagé par un percutant clip d’Alexandre Pelletier), Bloom incarne bien le côté plus vulnérable de Lavender. « Je voulais être honnête par rapport à moi, à ma jalousie, à mes envies. Y’a plein de choses qui marchaient pas dans ma vie, mais hopefully, je savais que tout ça allait me mener vers quelque chose de mieux. »

Comme de fait, la chanson a aidé Lavender à croire en lui. « Pour moi, c’était juste une chanson parmi tant d’autres, mais plus les gens de mon entourage l’entendaient, plus je comprenais qu’à leurs yeux, c’était peut-être la meilleure chanson que j’avais faite jusqu’à maintenant. Ça a souvent été comme ça dans ma vie : on a cru en mon talent bien avant moi. »

Créé sur une période de deux ans, …At Least My Mom Loves Me a d’ailleurs bien failli ne jamais voir le jour. « Après quelques mois, je me suis découragé. Je me suis assis avec des gros labels d’ici pour faire un partenariat avec Ghost Club, mais ça n’a rien donné… C’est rough de faire du hip-hop anglophone au Québec ! » juge-t-il. « Mais je me suis dit que ce serait stupide de ne jamais sortir ce projet-là pour une raison qui ne m’appartient pas. J’ai choisi de me battre pour cet album. »

Et pas question d’attendre deux autres années avant de livrer du nouveau matériel. Entre une marche, une session de Nintendo Switch et une discussion avec sa mère, Maky Lavender finalise actuellement une nouvelle mixtape. « Peut-être quelque chose comme un Blowfoam 3 », prévoit-il. « L’album, c’était cool à faire, mais là, je veux y aller moins clean, plus gritty, plus énergique… À la DMX ! »