De nouveaux talents émergent constamment sur la scène rap québécoise. En voici cinq qui attireront assurément l’attention du public et des médias cette année.

Maky Lavender

Natif du quartier Pierrefonds à Montréal, Maky Lavender a eu la piqûre pour le hip-hop en voyant évoluer la foisonnante scène des beatmakers québécois il y a quelques années. Interpellé par la musique de High Klassified, de Kaytranada et de Tommy Kruise, le jeune rappeur a eu envie de s’immerger dans un monde qui lui paraissait si éloigné, voire inatteignable. « Je venais du West Island. Dans ma tête, c’était impossible de cohabiter avec ces gars-là. Mais, je n’ai pas lâché. J’ai d’abord tenté d’avoir le respect des gens de mon quartier, puis je me suis inscrit dans une école de professionnels du son. Peu après, j’ai su que Nate Husser (rappeur, membre de The Posterz) avait besoin d’un ingénieur sonore, donc j’ai commencé à travailler avec lui. Il m’a donné confiance en moi. Je lui dois beaucoup. »

Après quelques projets embryonnaires, Lavender s’est révélé en septembre 2017 avec Blowfoam 2, EP qui lui a permis d’attirer l’attention de Ghost Club Records, étiquette montréalaise en pleine expansion. Depuis, le touche-à-tout est aussi à l’aise au micro que devant son portable ou derrière la console, s’imposant ainsi comme l’un des joueurs les plus complets de notre scène rap. Bête de scène au charisme contagieux, il maîtrise l’autodérision comme peu de ses compères. Une humilité qui fait du bien dans un milieu où les egos sont surdimensionnés.

Bien avancé, son prochain EP sera un mélange de chansons festives et sombres, à l’image d’un artiste de 23 ans à l’optimisme fougueux, mais aux prises avec une anxiété parfois intense. « Il y aura autant des chansons entraînantes, qui pourraient être des intros d’épreuves aux Jeux olympiques, que des trucs plus sales à la DMX. La plupart des chansons sont enregistrées, mais dans ma tête, ce n’est pas encore terminé. Je prends mon temps pour être certain de sortir exactement ce que je veux. »

Naya Ali

Même si elle a un talent fou, Naya Ali a eu un parcours sinueux dans le microcosme du rap montréalais. Après ses débuts au micro à la fin de l’adolescence, l’Éthiopienne d’origine a fait quelques spectacles dans la métropole, mais a décidé de tout arrêter durant sa vingtaine pour se concentrer sur ses études universitaires à Concordia. Peu emballée par son entrée sur le marché du travail, l’artiste maintenant âgée de 30 ans est revenue vers la musique pour se ressourcer et reprendre confiance en elle-même.

Et l’attente en aura valu le coup. Lancé à l’automne dernier, son premier EP Higher Self est imprégné d’un puissant message d’autonomie et de persévérance, en phase avec l’idéologie d’une créatrice avisée qui refuse les conventions sociales. « Nous grandissons dans un fil narratif décidé d’avance, qui nous enjoint à obéir aux règles, à avoir une belle maison, à construire une vie de famille, à épargner pour la retraite… Mais en fait, nous avons été conçus pour créer, évoluer, nous influencer les uns les autres. Nous avons le pouvoir de changer et de créer nos propres réalités. »

Autant influencée par le courant trap actuel que par des artistes au groove organique comme J. Cole et Kendrick Lamar, Ali prépare un premier album officiel, qui verra le jour d’ici la fin de l’année. « En ce moment, je grandis, je crée, j’apprends et je me prépare pour les prochains mois. Lentement, je révèle différentes facettes de moi, autant au niveau sonore que poétique. Le son percutant auquel j’ai habitué les gens avec le premier EP sera encore là, mais je veux travailler sur des sons qui ont un impact émotionnel sur les gens. »

Kirouac

Kirouac n’a pas le profil du rappeur conventionnel. Élevé à Mont-Royal, ville cossue de l’île de Montréal, l’artiste a été initié au slam à l’école secondaire, ce qui l’a graduellement amené à s’intéresser au rap. En 2015, ses premiers pas au sein du duo PEM (avec son complice Nomad) lui ont donné la confiance nécessaire pour élaborer un premier EP solo, le prometteur Je m’en rappelle plus, mais c’est vraiment bon. Peu après, il a fait la rencontre déterminante du producteur Kodakludo lors de son entrée au baccalauréat en cinéma à l’UQAM. « Il a entendu l’une de mes chansons dans un party et il est venu me voir. Dès qu’il m’a fait entendre ses beats, ça a été un gros déclic. Le potentiel de notre chimie était grand. »

Paru en juin dernier, le premier projet du duo, wesh, a connu un rayonnement enviable sur les ondes de quelques radios, dont CISM et ICI Première. Portrait sympathique et décomplexé d’un jeune adulte qui découvre sa métropole, ce mini-album s’inscrit dans la tendance du « rap de gentil », un sous-genre issu du Plateau-Mont-Royal qui a majoritairement été popularisé par FouKi dans les deux dernières années. « C’est une étiquette que j’assume entièrement, car dans la vie de tous les jours, je suis quelqu’un de soft, pas un bandit des grands chemins. Pour faire du rap, ça sert à rien de prétendre qu’on est quelqu’un d’autre. »

Toujours guidé par cette quête d’authenticité, le rappeur de 22 ans explorera un gros morceau de son enfance dans son prochain EP en collaboration avec Kodakludo, prévu pour le 1er février. Hommage à la série de romans fantastiques Amos Daragon, écrite par le Québécois Bryan Perro, Amos contiendra quatre chansons qui évoqueront chacune l’un des quatre éléments de la Terre. Fort d’un engouement accentué sur la scène locale, il tentera ensuite de tirer son épingle du jeu lors du Cabaret Festif! de la relève ainsi que dans un autre concours-vitrine montréalais encore gardé secret.

Tizzo

Ce n’est pas Tizzo qui a choisi le rap, mais bien le contraire. Après des débuts en anglais plus ou moins sérieux au milieu des années 2000, le jeune rappeur a perfectionné son flow lorsqu’il s’est établi sur la Rive-Nord, là où il a enregistré un nombre incalculable de chansons, dont la grande majorité n’a jamais été publiée. Des démêlés avec la justice et un passage en prison l’ont ensuite tenu à l’écart de la musique, mais sa productivité a repris de plus belle en 2016, année charnière durant laquelle est parue Comment faire. « C’est une chanson qui, comme toutes les autres, était seulement destinée à être entendue par mes amis. Finalement, elle s’est promenée de courriel en courriel et, quelques mois après, un ami m’a invité à venir l’interpréter dans un club du centre-ville. À ma grande surprise, tout le monde s’est mis à la chanter avec moi. »

Ébahi par ce bouche-à-oreille fortuit, Tizzo a mis de l’ardeur au travail comme jamais. Résultat : quatre mixtapes en moins d’un an en 2018, dont deux avec son acolyte Shreez. Sorti de nulle part aux yeux de plusieurs, l’artiste de 26 ans est devenu la sensation la plus spectaculaire de la scène encore trop sous-médiatisée du street rap montréalais. Bombes trap accrocheuses à l’énergie foudroyante, ses pièces On fouette et Ça pue sont d’ailleurs en voie de devenir des hymnes du hip-hop québécois.

Pour le principal intéressé, ce succès considérable remet les choses en perspective. Moins d’un an après la sortie de son premier projet Tu sais vol. 1, le rap est devenu une vraie profession, et il doit maintenant réussir à garder la cadence. Un défi qu’il entrevoit avec beaucoup d’optimisme. « Ça va être encore plus fou que l’année passée. Chaque fois que je sors du studio, les beats sont encore plus terribles ! Les jeunes veulent sauter et bouger, et c’est exactement ce que je leur donne. »

White-B

White-B peut remercier le rap de s’être présenté sur son chemin au milieu de l’adolescence, à un moment où tout aurait pu basculer. Miné par des problèmes familiaux, le Montréalais a vu son destin s’éclaircir lorsqu’il a déménagé dans le nord de la ville, là où il a rencontré ses fidèles complices du collectif 5sang14 (Lost, MB, Gaza). « J’ai entendu les gars rapper et j’ai constaté qu’ils avaient un talent incroyable. Je me suis inspiré d’eux et j’ai commencé moi aussi à gratter des textes. Peu à peu, on s’est mis à faire des freestyles ensemble, parfois pendant des journées ou des soirées complètes. »

En 2016, son premier EP En noir et blanc, en duo avec Lost, a causé la surprise sur la scène rap de la métropole. Un an plus tard, le succès sa première mixtape solo Confession risquée confirmait bien des choses. Plus que jamais, le rap allait devenir un enjeu primordial pour White-B, et non plus un simple passe-temps comme avant.

Entre textes conscients dans la lignée d’un rap français puriste et egotrip à la facture américaine plus pop, l’artiste de 23 ans fait le pont entre deux écoles et s’assure de plaire à un vaste public. Générant un petit engouement de l’autre côté de l’Atlantique, celui qui accumule les millions de vues et d’écoutes en continu offrira une deuxième mixtape au printemps prochain. « C’est le projet qui représentera le mieux mon vibe actuel, soit quelque chose de très percutant, mais d’aussi très mélodieux. Je ressens un peu de pression, je ne le cacherai pas, mais je ne veux pas non plus presser les choses. Je veux m’assurer de ne pas livrer un Confession risquée 2, car le plus important, c’est de proposer quelque chose de différent. »