Créer de la musique pour des jeux vidéo n’est pas comme créer la musique d’un film ou d’une émission de télévision pour une raison simple, ou pas si simple : chaque fois qu’un joueur joue, qu’il soit novice ou expérimenté, le déroulement du jeu sera différent. Chaque. Fois. Et ça, ça exige de la musique que l’on qualifie de « dynamique » ou adaptative ». Neuf fois sur dix, c’est de la musique instrumentale avec parfois une ou deux pièces vedettes.

« La différence fondamentale, c’est que les jeux vidéo sont non linéaires par définition », explique Shaun Chasin qui a composé la musique pour des jeux comme Ring Of Elysium, Quell 4D et Way of the Turtle, disponible sur Apple Arcade. « Dans un film, tu sais toujours qu’à ce moment précis, sur cette image, quelque chose de spécifique va se produire – et cela se passera de cette façon pour chaque spectateur du film. Mais même s’il s’agit d’un jeu direct et linéaire, certains joueurs prendront un temps différent pour faire les choses, ou les feront dans le désordre. »

Bien sûr, les joueurs peuvent aussi couper complètement la musique s’ils la trouvent dérangeante, mais pour ceux qui la laissent améliorer leur expérience de jeu, la musique peut être entendue lorsqu’ils parcourent le menu du jeu, lorsqu’ils visent un ennemi mortel ou lorsqu’ils se faufilent dans le couloir d’un château. La musique qui fait partie du jeu en tant que tel est qualifiée de « diégétique ».

Alors, qu’est-ce que ça prend à un auteur-compositeur qui souhaite se lancer dans la composition pour les jeux vidéo?

Être un « gamer » est ce qui compte le plus, et cela signifie non seulement de savoir comment jouer, mais surtout comment un jeu se déroule.

C’est ce que Jake Butineau appelle la « littératie des jeux ». Il œuvre dans l’industrie des jeux depuis sept ans et il a créé la musique de jeux comme Super Animal Royale, Destiny’s Sword et Dune Sea.

« C’est super important », dit Butineau, « parce que la musique suit presque toujours les actions du joueur. Si tu ne peux pas plonger dans le jeu et fournir ces actions en plus de fournir une expérience au joueur pour te permettre de voir comment la musique réagirait dans une situation donnée, ça devient vraiment pas évident de composer la musique. » Butineau est tellement impliqué dans son art qu’il souhaite passer à la conception de jeux en tant que telle, « pour me plonger encore plus dans cet état d’esprit “Comment fonctionnent les jeux?”, parce que je suis sûr que ça va m’aider à mieux composer », dit-il.

« J’ai appris les compétences dont j’avais besoin dans les “game jams » — Jake Butineau

Le débutant Aaron Paris, qui se considère « un peu gamer », vient tout juste de terminer son travail pour un premier projet. Sous contrat avec le Kilometre Music Group, il est impliqué dans le projet Kingsway Music Library de Frank Dukes en plus d’être crédité sur l’album DONDA 2 de Kanye West. Il a été invité par le renommé et primé compositeur à l’image Keith Power (qui a composé la musique d’émissions de télé comme Hawaii Five-0, Magnum PI, MacGyver et Heartland) à co-composer pour la bande-annonce du jeu Soulframe.

« Il m’a envoyé une ébauche d’accords et un squelette de la composition, puis il m’a donné un tas de références de ce qu’il voulait côté sonorité et ressenti », dit Paris. « À partir de ça, j’ai composé un arrangement de cordes, des voix, de la guitare et de la basse. » Le jeu est encore en production, mais il devrait travailler sur la trame sonore complète.

Quand il a entrepris sa carrière il y a dix ans, Chasin venait de compléter une mineure en composition pour les jeux vidéo au prestigieux Berklee College of Music de Boston et il avait également participé à de nombreux « game jams », un hybride intense entre un camp de création musicale et un marathon de programmation pour la création de musique de jeux vidéo.

« Ce sont des événements incroyables », avoue Chasin. « Généralement, t’es assigné au hasard à une équipe avec des gens que tu ne connais pas. Disons que tu fais leur connaissance le vendredi soir, et il faut que tu livres un résultat le lundi. On reste debout toute la fin de semaine et tu crées un jeu avec ce monde-là. C’est une manière fantastique d’apprendre et de se tisser un réseau. J’ai rencontré du monde durant un “game jam” avec qui je travaille encore aujourd’hui. »

Butineau abonde dans le même sens. « Ce qui est vraiment bien quand on se lance dans l’espace audio des jeux vidéo, c’est que peu importe la quantité de compétences que tu possèdes, tu vas toujours trouver l’équipe dans laquelle tu as ta place », dit-il. « Un excellent moyen de voir quelles compétences tu veux apprendre et développer, c’est de travailler en équipe durant un “game jam”. Ils ont souvent lieu en personne dans les grandes villes, mais il y a aussi beaucoup de “game jams” en ligne. »

« C’est réellement comme ça que j’ai commencé. J’ai appris toutes les compétences dont j’avais besoin parce que tu n’as pas le choix de plonger au cœur même du processus. »