Ils remontent la barre, c’est le cas de le dire. Comme on peut le constater en écoutant leur troisième album, Queens of The Breakers, qui vient de sortir, le trio montréalais des Barr Brothers n’a pas vraiment de signature identifiable. C’est un amalgame libre et éclectique de styles allant du rock au folk en passant par le blues et la musique du monde.

Pour l’auteur-compositeur-guitariste Brad Barr, principal architecte du son du groupe, « ces éléments sont tous filtrés par ma lentille kaléidoscopique, et c’est ce qui les relie les uns aux autres. C’est un fil conducteur ou un point centre qui est plus abstrait que ce avec quoi les Ramones travaillaient, par exemple.

« Dans mon apprentissage de musicien », explique-t-il, « je me suis ouvert à tout, qu’il s’agisse de straight-ahead bebop, de musique classique hindoustanie ou de punk rock.

« Pour moi, il y a un fil conducteur à travers la plus grande partie de cette démarche que bien des gens appelleraient le blues », continue-t-il. « J’utilise rarement ce mot vu qu’il renvoie à un style lié à l’Afrique et au Sud des États-Unis. Pour moi, c’est une sensibilité interculturelle qui existe dans de nombreuses musiques allant de la japonaise à la malienne en passant par la marocaine. C’est une sorte de transe pentatonique, un bourdon, et je sens que c’est là que bat le cœur de ma musique.

« Tout le monde a besoin de se centrer, quelque part. Je n’ai jamais été friand de musique vraiment progressive ou compliquée. Je suis toujours revenu à une forme réduite qui permet à l’improvisateur ou à l’auteur-compositeur de développer quelque chose en temps réel. »

Les autres membres du groupe sont son frère Andrew (à la batterie) et Sarah Page (à la harpe), et son musique est editée par Secret City Publishing. Leur premier album éponyme de 2011 et celui de 2014, Secret Operator, leur ont valu un succès critique international, le second opus ayant été une révélation avec plus de 60 millions d’écoutes, toutes diffusions confondues.

« Tu continues de la fredonner dans l’espoir qu’un bout de texte vienne orienter ta chanson. » – Brad Barr, des Barr Brothers

Brad explique que, en préparant Queens of the Breakers, « notre seul vrai objectif esthétique était de faire quelque chose d’un peu plus flottant que nos deux derniers albums, quelque chose qui donnerait moins l’impression d’être lesté ou trop contemplatif. »

Une démarche différente a été adoptée pour l’écriture du dernier album. « Pour les disques précédents, je me présentais toujours devant le band avec des chansons plus ou moins terminées », explique Barr. « Il s’agissait ensuite pour chacun d’appliquer ses impulsions à ces chansons-là. »

« Ici, nous nous y sommes vraiment pris en groupe, simplement en improvisant pendant un mois », poursuit-il. «  On avait trouvé un petit studio dans une cabane québécoise isolée et on improvisait pendant des semaines entières, 24 heures sur 24. Une bonne partie des sons de base de l’ADN des chansons en est sortie, et je m’en suis servi pour essayer de les présenter sous forme de chansons. »

« Cette démarche était plus ou moins l’inverse de celle de nos autres enregistrements. Je l’ai trouvée difficile parce j’étais habitué à commencer une chanson seul avec moi-même, en vase clos. Cette fois-ci, c’était ‘Bon, on a ce riff ou cette vibe, et il faut que je la décortique et qu’on arrive à chanter dessus.’ Ça peut être une mélodie qui te trotte dans la tête tandis que tu vaques à tes occupations quotidiennes. Tu continues de la fredonner dans l’espoir qu’un bout de texte vienne orienter ta chanson. »

Comme d’habitude, le groupe a invité d’autres interprètes et des choristes pour enrichir le son de l’enregistrement, mais Barr souligne que le gros du travail a été fait par le trio lui-même dans son studio.

« On voulait vérifier le son de cette musique », explique Barr. « Il était également important pour Sarah de redéfinir sa place. Depuis le dernier enregistrement, elle avait fait un immense pas en avant à la harpe au plan sonore, surtout grâce à la découverte de certaines techniques d’amplification du son. Elle était intéressée à voir ce que ça pourrait donner dans le contexte d’un trio. »

Il y a maintenant 12 ans que Brad et Andrew Barr sont venus s’installer à Montréal à partir des États-Unis. Ayant grandi au Rhode Island, ils vivaient à Boston au moment de la création de leur premier band, The Slip. Ils sont depuis devenus des membres populaires de la communauté musicale de Montréal et y ont planté de solides racines personnelles.

« Je sens maintenant que je peux dire que je suis de Montréal », affirme Barr. « Je suis allé encore plus loin en achetant une maison ici avec mon frère. On a tous les deux épousé une Canadienne et on a des enfants, donc je ne risque pas de retourner chez nous de sitôt! »

Ce qui ne l’empêche pas de songer plus souvent ces temps-ci aux troubles qui sévissent dans son pays d’origine. « C’est un sentiment qui commence à s’installer », explique-t-il. « Ça n’a pas été le cas pendant un certain temps alors que je baignais dans mon amour pour Montréal, pour la communauté dans laquelle je commençais à m’inscrire et pour la liberté de cette ville. »

Pour décrire l’impact de Montréal sur sa musique, Barr explique que « ça revient aux gens qu’on a rencontrés et aux musiciens avec qui on a joué. Des gens comme Patrick Watson et les membres de Plants and Animals. Il y a d’excellents alliés ici, des gens qui vous encouragent, et aussi des choses qui vous aident à aller de l’avant, à travailler, à rester motivés, à bien vous sentir et à vous épanouir en tant qu’artistes.

« Le vocabulaire et les œuvres de Leonard Cohen n’auraient probablement pas eu l’influence qu’ils ont sur moi si je n’étais pas venu m’installer à Montréal. C’est une majesté qui m’a profondément inspiré. »

Brad Barr mentionne également une autre inspiration, sa défunte amie Lhasa de Sela. « Pendant que j’écrivais la deuxième piste du nouvel album, ‘Look Before It Changes’, j’ai clairement ressenti l’effet qu’elle a sur moi. »