Dans la lignée des Catherine Durand, Les soeurs Boulay et pourquoi pas, Laurence Hélie, la douceur est omniprésente dans la musique de Léa Jarry ; les quatre chansons de son premier EP intitulé Entre-Temps, en témoignent bien. Du country-folk qui sied à merveille à sa voix, son ukulélé, son piano ou sa guitare, aux antipodes des Véronique Labbé et Guylaine Tanguay qui elles, sonnent davantage comme l’idée qu’on peut se faire du country de Nashville.

Léa Jarry« Je n’ai pas une grosse voix country stéréotypée et je ne serai jamais une party girl à la Shania Twain. Pour moi les textes sont très importants », confiait-elle lors de notre rencontre, fébrile que ses premières compositions soient publiées chez Rosemarie Records (Mara Tremblay, Pierre Guitard, Joseph Edgar, etc.).

Quand on regarde le triomphe aux Grammys de l’Américaine Casey Musgrave avec son country bercé dans le calme et la finesse, il n’y a plus de règles. La chanteuse native de Baie-St-Paul revient de Nashville, justement. En passant une semaine à la Maison SOCAN dans la Mecque du country, elle a plongé tête première dans ce voyage initiatique, sans showcases ni séminaires, mesurant la portée de son rêve avec humilité et émerveillement.

« J’ai vu plein de shows, parlé avec plein de gens, visité des studios d’enregistrement, je me suis imprégnée de l’ambiance (The Bluebird Café, le cultissime Grande Ole Opry House, autant de génuflexions sur son passage). Je parlais aux musiciens après les spectacles, je voulais savoir comment ils/elles s’étaient rendus là. Je me suis rendu compte qu’il y a de la place pour tout le monde même si on pourrait penser que c’est une jungle. Ça m’a rassuré. Je me suis dit : enfin des gens qui me ressemblent ».

Ses quatre chansons lancées le 10 mai sont co-réalisées avec le nouveau membre de Kaïn et multi-instrumentiste John-Anthony Gagnon-Robinette. Le tandem d’écriture a tout épuré afin de garder la voix et les mots bien au chaud. L’habillage sonore est riche et discret. Deux ans de travail, à temps perdu. L’album complet est prévu pour 2020.

« Je suis une personne calme, on ne voulait pas calquer des formules, mais produire notre version du country-folk. L’inspiration, ce n’est pas si difficile, des fois j’écris juste des titres pour amorcer une chanson, des fois je suis à l’épicerie pis je checke les bananes et là, oh ! j’ai un flash ! »

Le premier extrait, 29, Saint-Adolphe (une rue de Baie-St-Paul) démarre au petit trot. Il est question de son exil vers la ville, Montréal, où la choriste et chanteuse depuis dix ans a gagné ses galons avec Gregory Charles et son Mondial Choral de Laval, qui lui permit de chanter aux côtés de Louis-Jean Cormier et Isabelle Boulay. Et à l’émission télé En direct de l’univers à plusieurs occasions. Au passage, elle a fait un bac en chant à l’UQAM.

« Montréal a été un choc. Y a eu ben des chocs. Juste de voir des visages différents chaque jour je trouvais ça fucké ! Tous ces gens je ne les ai jamais vus de ma vie et demain ce sera encore la même chose ! Je trouvais ça bizarre, moi qui suis habituée de connaître tout le monde. La première année, tous les week-ends, je prenais l’autobus pour Baie St-Paul. Ç’a été tough de trouver ma place. D’aller vers les gens et de me présenter ce n’était pas quelque chose de naturel ».

Elle parle aussi d’une autre chanson, C’est mon tour. « C’est moi qui me dis ça à propos de mon célibat, que je serai dû pour rencontrer quelqu’un. Je ne sais pas si c’est moi le problème ou les gars, mais ça ne marchait pas ! (Rires) Des fois, il n’y a pas le bon postulant. Tout le monde autour de moi était en couple. J’étais à l’université, je cherchais mon style, et C’est mon tour est aussi devenu ma quête de percer dans la musique ».

Est-ce que pour la femme en fin de vingtaine, c’est le country et rien d’autre ? « C’est la musique qui m’a accompagnée toute ma vie, je ne pense pas que je ferais volte-face et que je me lancerais dans la pop-électro. À Baie St-Paul, j’étais vraiment à contre-courant de mon époque. On pourrait penser que là-bas, le country est populaire, mais pas pantoute ! Et mes parents écoutaient Jean Leloup ou Lynda Lemay, donc, je n’avais pas de repères à la maison ».

Une musicienne intrigante, Léa Jarry. Innovatrice ? Le temps le dira. Prochain objectif : des petits concerts intimes à l’automne.



Reid Jamieson, Carolyn MillLa première chose qui nous frappe à l’écoute de l’album Me Daza, c’est la voix de Reid Jamieson.

À l’instar de Thom Yorke à l’époque où Radiohead écrivait des chansons conventionnelles, du regretté Jeff Buckley ou encore de Jeremy Dutcher, Jamieson a une voix riche et résonnante et son registre aigü est tout simplement renversant.

Puis il y a la voix artistique de ses chansons, coécrites avec sa partenaire de création et de vie, Carolyn Victoria Mill. On pense ici à des réflexions profondes sur le doute de soi-même (« Enough »), le veillissement (« Evergreen ») et des vignettes sur la résilience néccessaires pour relever ces défis (« Better Man »). On y retrouve également des regards lucides sur la façon dont l’humanité revit sans cesse les mêmes problèmes (« Circles ») ou encore comment nous nous conformons trop souvent à la masse, tout particulièrement sur les réseaux sociaux (« Dominoes »). Il ne faudrait pas oublier la douce et touchante chanson pro-choix (« She »).

Enregistré en compagnie du producteur Kieran Kennedy dans un petit chalet au bord de la mer a County Cork, en Irlande, l’album est somptueux et cinématique et s’articule autour de la guitare à cordes de nylon de Jamieson. Le titre de l’album, « me daza », signifie « vraiment excellent » en patois local, mais sa vraie traduction signifie « je meurs ». Cet album se veut une œuvre par des adultes et pour des adultes qui tient tête à notre inévitable mortalité.

Il n’aura fallu qu’une semaine pour l’enregistrer. « Le premier matin, je pensais simplement tester la sonorité de ma guitare », raconte Jamieson. « Je me disais que j’allais passer à travers mes chansons pour tester le tout. Mais non, ce sont ces prises qui se sont retrouvées sur l’album… J’ai réalisé que chaque fois que j’accomplis la moindre petite chose et que c’est enregistré, je dois vraiment le faire avec conviction. »

« Nous avons passé la majeure partie de la semaine au pub ! » lance Mill, incrédule. « On travaillait comme des déchaînés de 10 h à 14 h. Go, go, go! Et hop ! au pub. Le premier jour, on travaille depuis quelques heures et Kieran dit “alors, on va au pub ?” Reid et moi étions comme “T’es sérieux ?” Puis tu te souviens que t’es en Irlande. Ça fait partie du processus. »

Mais comment fonctionne le processus créatif en couple ? « J’ai l’impression qu’on est rendus à une étape où nous essayons d’utiliser nos forces autant que nous pouvons », explique Jamieson. « J’arrive toujours à trouver une musique qu’on peut utiliser. Je n’ai toutefois pas toujours de sujets ou de trucs que j’ai envie de dire. C’est là que Mill entre en jeu.

Prenez “Evergreen”, par exemple, qui parle du fait que l’amour dans un couple peut grandir même dans la cinquantaine et après. » « J’étais sur le point d’avoir 50 ans, et je me suis rendu compte qu’il y a des chansons d’amour pour les jeunes femmes, pour les mères, mais où sont les chansons d’amour pour les vieilles biques ? » raconte Mill. « Reid me rassure constamment et certaines des choses qu’il me dit sont vraiment belles. Je voulais rendre justice à ce qu’il me dit quand je suis triste ou insécure… Lorsque je ressens cette cape d’invisibilité que les femmes portent à contrecœur à partir d’un certain âge. Je me suis rendu compte que je ne suis pas la seule qui a besoin d’entendre ces mots. »

Écrire des chansons dans un chiffrier
Jamieson et Mill n’écrivent pas leurs chansons à l’aide de mémos vocaux, de textos, de courriels, de Pro Tools, ni même de papier et crayons ; ils utilisent plutôt une version revisitée de la technique littéraire du « cut-up » et ils utilisent… des chiffriers Microsoft Excel. « Ligne par ligne et colonne par colonne », explique Mill. « Il y a une colonne pour les accords, une colonne pour les paroles, et une colonne pour des alternatives de mots. On peut mettre les vraiment bonnes strophes en caractères gras, ou encore copies les strophes qui ne fonctionnent pas dans une chanson et les coller dans une autre. »

« C’est un immense compliment pour moi que Carolyn écrive des paroles qui, après que je les aie chantées quelques fois, me donnent l’impression qu’elles sont de moi », affirme Jamieson. Ce à quoi Mill répond « mais elles sont de toi ! Tu m’as dit ces choses, moi je les ai traduites en chanson. »

Sur « Better Man », cette traduction se penche sur le défi que les hommes doivent relever pour devenir des humains plus évolués dans le climat social actuel, tandis que « Enough » offre des paroles encourageantes pour ces moments où nous nous remettons en question. « J’aimerais que tout le monde ait la chanson “Enough” dans la tête au lui de cette voix intérieure », dit Mill. « Cette voix qui dit “OMG t’es grosse. Regarde ce vieux visage. T’as vraiment tout raté. T’aurais pas dû dire ça”. »

Si un tel objectif est plutôt impensable, Jamieson et Mill en ont réussi un autre, plus modeste, la « tournance », ou la combinaison d’une tournée et de vacances. « Au lieu de jouer soir après soir dans des endroits différents, on se “booke” trois soirs là où nous avons envie d’aller », explique Mill. « On arrive une journée avant, on rencontre les gens, et on passe un bon moment. Le deuxième soir on donne un spectacle, puis le lendemain, on passe du temps avec les gens qu’on a rencontrés durant le spectacle. On ne fait pas beaucoup d’argent, mais on n’en perd pas non plus. On passe de vraiment beaux moments et on vit des expériences très enrichissantes. » Ce qui, évidemment, nourrit leur créativité.

Vraiment pas une mauvaise idée, en fin de compte.



La tradition se perpétue. La quatrième édition du camp d’écriture Kenekt Québec de la SOCAN aura laissé, encore une fois, des souvenirs d’émotions musicales et humaines indélébiles chez les 17 participants auteurs, autrices, compositeurs, compositrices et producers, qui ont répondu présents à l’invitation de Widney Bonfils, responsable A&R de la SOCAN. Ainsi, du 28 avril au 4 mai 2019, dans le cadre enchanteur du Rabaska Lodge, un centre de villégiature aux abords du majestueux lac Baskatong, à 4 heures de route de Montréal, dans les Hautes-Laurentides, ils avaient à créer en équipe changeante une chanson par jour à partir d’un thème, présenté sans préavis chaque matin, à temps pour la séance d’écoute de fin de soirée. Widney Bonfils, chef d’orchestre du camp Kenekt Québec, explique :

(Voir les photos ici.)

PARTICIPANTS
Auteurs, Compositeurs
Yannick Rastogi (KNY Factory)
Félix Bélisle (Choses sauvages)
Lola Melita
Gabrielle Shonk
Gabriella
Sarahmée
Maude Audet
La Bronze
Cherry Lena
Naya Ali
Réalisateurs
Chloé Lacasse
Tim Buron
Clément Langlois-Légaré
Adel Kazi
Seb Ruban
Ghislain Poirier
Sean Fisher
Éditeurs, Management,
Labels
Sony ATV UK
Dare to Care
Coyote Records|
Lili Louise Musique
Lady Publishing
Productions Akademy
Musicor

« Ce n’est jamais chose facile que d’entreprendre ce genre de projets: mélanger 17 auteurs, compositeurs et producers avec des styles musicaux variés allants du rap, au rock, à l’électro en passant par la folk. Je suis fier de cette classe 2019 tant ils ont été ouverts d’esprits et authentiques.

Pendant une semaine, nous étions perdus dans le fin fond de la forêt, sans internet ni téléphone. Chaque jour représentait un challenge unique tant dans les équipes (qui changeaient chaque jour) que dans le déroulement de la journée. Audacieux ou fous, les choix d’équipe ont été faits après avoir passé plusieurs mois à écouter les œuvres de chacun des créateurs présents au camp. Chose agréablement surprenante, malgré leur différence de styles, ils avaient plus ou moins une chanson ou une sonorité qui les rassemblait et c’est à travers des exercices qui les sortaient de leur zone de confort qu’ils s’en sont aperçus. En effet, chaque matin nous leur proposions une thématique de travail différente qui avait pour but de les aider à se rapprocher.

Parmi les thèmes utilisés.

Jour 1: Image
Nous leur proposions une image par équipe. Le but était de s’en servir comme moteur de discussion.

Jour 2: Pays
Par équipe, ils avaient à choisir une chanson parmi les 5 proposées par pays pour s’en inspirer. Les pays étaient la France, le Canada, le Royaume-Uni, l’Afrique du Sud et la région des Caraïbes.

Jour 3: Sensations
Les yeux bandés et par équipe, ils devaient toucher et/ou sentir des objets que nous avions soigneusement choisis (café, thé des bois, pâte à modeler…). Le but, encore une fois, était de se laisser porter par la sensation ressentie en touchant ou en sentant l’objet en question et donc de faire appel à sa mémoire affective.

Jour 4: Introspection
Chacun des participants avait une minute pour écrire une ou deux phrases les concernant. Par équipe, ils devaient choisir un des messages au hasard. Nous avons été frappés par la profondeur et la vulnérabilité de certains des messages. Les chansons qui en résultèrent se sont avérées profondément touchantes.

Cette semaine a créé en nous tous un profond sentiment de bien-être et d’acceptation. C’est à travers nos différences que nous apprenons les uns des autres. Sous nos peaux de différentes couleurs, nos univers musicaux différents, nous sommes tous les mêmes, avec les mêmes peurs, les mêmes envies, les mêmes rêves. La musique a ce pouvoir, le pouvoir de nous rassembler, de nous motiver, de nos guérir. Nous sommes arrivés étrangers et sommes repartis amis, liés à jamais par ce souvenir incroyable. »

Quoi de mieux pour bien saisir l’ambiance créative et festive ainsi que l’esprit de camaraderie de cette quatrième édition du camp d’écriture Kenekt Québec de la SOCAN que de visionner cette courte vidéo produite sur place :

Tendez l’oreille dans les prochains mois, certaines des pièces créées au Camp Kenekt Québec pourraient bien se frayer un chemin jusqu’à vous!