Huit années, c’est une éternité dans le monde du hip-hop. Imaginez huit années dans le monde du hip-hop canadien! Et pourtant, D-Sisive, qui se qualifie lui-même de « papa canadien de 43 ans » s’est donné la mission de devenir « le rappeur le plus presque célèbre du monde ». Et comme si ça n’était pas assez, l’artiste – dont le vrai nom est Derek Christoff – affirme qu’il peut y arriver en trois mois.

N’oublions pas qu’il a annoncé cet objectif il y a… trois mois! Le but du rappeur nommé sur la longue liste du Prix Polaris et finaliste aux JUNOs était de se donner un objectif qui raviverait sa créativité, lui a qui a lancé deux albums par année entre 2008 et 2014. En 2009, il a remporté le prix Écho de la chanson de la SOCAN (aujourd’hui connu simplement sous le nom de Prix de la chanson SOCAN) pour sa chanson « Nobody With a Notepad », coécrite avec Rob « Muneshine » Bakker, parmi une liste de finalistes comprenant Joel Plaskett, Land of Talk, et Timber Timbre. Et il est sans aucun doute le seul rappeur à avoir eu à la fois Ron Sexsmith et Damian Abraham de Fucked Up comme invités sur ses albums. Voici maintenant que D-Sisive est en voie de réussir à lancer deux EP par mois tout en publiant des baladodiffusions, des vlogues et en animant des séances d’écoute avec ses fans sur Zoom, le tout dans la cadre d’un projet par abonnement qu’il a baptisé Knoblich Gardens.

D-Sisive, Knoblich Gardens, Episode 1

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Malgré son audacieuse vantardise digne de la WWE, Christoff demeure réaliste. « La musique a complètement changé au cours des huit dernières années », dit-il. « Quand j’étais au sommet de mon art dans le temps, je faisais partie de la conversation ; pour ce que ça vaut, j’étais sur les listes de la CBC t dans les articles de Vice sur le rap canadien. Maintenant, c’est comme si je n’avais jamais existé. Tout est différent : les sonorités, les sous-genres de hip-hop, même les gens qui travaillent dans l’industrie. Je me sens comme un nouvel artiste qui commence à zéro. »

Il a d’ailleurs déjà pris une autre longue pause. Battle rappeur acclamé à la fin des années 90, il s’était retiré de la scène pendant 6 ans pour surmonter une dépression. Quand il est revenu à l’avant-scène en 2008, il était en train de lentement devenir accro aux Percocets qu’on lui avait prescrits après une forme virulente de mononucléose. Fils d’un alcoolique, il ne buvait pas et ne prenait aucune drogue avant ça, même pas des antidouleurs. Comme bien des gens, il n’a pas réalisé que les Percocets ne sont pas vraiment différents de l’héroïne synthétique. Il a rapidement découvert que sa fratrie en consommait également et il avait désormais accès à une source fiable et peu coûteuse.

« Tu pourrais imaginer que mes frères et sœurs essaieraient de me dissuader, mais c’est devenu une situation d’habilitation », confie-t-il. « J’aurais pu dire non. Mais ma vie devenait de plus en plus sombre. Mon père était de plus en plus malade, sa dépendance empirait et ces pilules sont devenues une façon de fuir tout ça. Les choses ont progressé lentement. Je n’ai pas plongé tête première du jour au lendemain. »

Sa dépendance et d’autres événements l’ont finalement rattrapé après la parution de son EP Raging Bull en 2014. Il a commencé une cure de désintoxication en 2017 et était déterminé à recommencer à enregistrer. Son médecin lui a conseillé de ralentir la cadence afin d’éviter une rechute. Christoffa donc trouvé un bouleau dans une usine où il commençait à 5 h du matin et s’est consacré à sa vie en tant que père de trois fillettes. C’est en octobre 2022, durant une escapade avec se conjointe que cette dernière lui a dit qu’elle en avait assez : « Je ne veux plus entendre tes idées, je veux t’entendre rapper! » lui a-t-elle lancé. Deux jours plus tard, il a publié une vidéo sur les réseaux sociaux dans laquelle il annonçait l’ambitieux projet Knoblich Gardens. Quinze minutes plus tard, il recevait un message de son collaborateur de longue date, procès-verbal. « Bon, alors, euh… J’ai vu ton message, t’es complètement malade, mais allons-y! » Trois semaines plus tard, le premier EP était lancé.

À peu près à la même époque, il a publié sur Instagram une photo avant-après : à gauche, le désastre narcotique des années précédentes ; à droite, la version sobre qui a perdu du poids et est maintenant l’heureux père de jumelles. Il a ensuite reçu un message d’un fan qu’il avait croisé sur University Avenue à Toronto le jour où il est entré en cure de désintoxication, en 2017. Le message disait : « Ta musique m’a aidé à traverser des périodes sombres et des moments difficiles dans ma vie. J’ai toujours voulu te rencontrer. Quand on jasait cette journée-là, tout ce que je me disais dans ma tête c’est “je ne crois pas qu’il va vivre encore longtemps”. J’avais vraiment envie de prendre une photo avec toi, mais je ne pouvais pas parce que je ne voulais pas que ce soit ça mon dernier souvenir de quelqu’un que j’admirais autant. »

D-Sisive, Knoblich Gardens, Episode 2

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Et maintenant qu’il est de retour, il a entendu son lot de détracteurs. « J’ai des amis qui me disent que personne ne veut entendre un gars de mon âge rapper. Moi je leur dis : “et tu l’as trouvée où, la preuve de ça?” » Il cite entre autres la carrière de El-P, le rappeur de 48 ans qui remplit des arénas avec son duo Run the Jewels. « El-P a prouvé que l’âge n’a pas d’importance tant que tu crées de la “shit” hallucinante à laquelle les gens s’identifient. Peut-être que c’est simplement que les “kids” ne veulent pas entendre de vieux rappeurs s’ils ne leur proposent pas des trucs qu’ils ont envie d’entendre. »

Malgré cette perception vraisemblable de l’industrie, il y a un auditoire de fans de hip-hop plus âgés qui apprécient les artistes ayant une expérience de la vie : s’il y a des fans de rap dans leur quarantaine, pourquoi un rappeur dans la quarantaine ne pourrait pas connaître du succès? « Je ne sais pas qui a inventé cette idée qu’à 40 ans t’arrêtes d’écouter de la musique et tu te contentes de fixer un mur toute la journée », lance Christoff. « Y a aussi des jeunes de 23 ans qui m’écoutent, et je le sais parce qu’ils m’écrivent, et en plus, il faut qu’ils creusent pour me trouver. »

Récemment, dans une de ses baladodiffusions, il disait « je n’ai pas fait tant d’erreurs, j’ai fait toutes les erreurs. » Quand je le questionne à ce sujet, il éclate de rire et dit « C’est ma vie. Ça va être l’inscription sur ma pierre tombale. Tant que tu apprends de tes erreurs et que tu ne les répètes pas. »