Le premier Grammy de Dave Hamelin en était tout un. Le 2 février 2025, il a été nommé dans la catégorie Album de l’année, sans aucun doute le plus prestigieux de tous les Grammys, pour sa contribution majeure en tant qu’auteur-compositeur, producteur, ingénieur et musicien sur le remarquable Cowboy Carter de Beyoncé sur lequel Hamelin a coproduit six pièces et coécrit cinq autres, incluant le simple 16 Carriages qui a été certifié Or, Just for Fun (with Willie Jones), II Hands II Heaven, Amen, et Tyrant.
Ce Grammy vient valider sans équivoque tout le travail qu’il a accompli depuis qu’il s’est installé à Los Angeles en 2018. Nous nous sommes entretenus avec lui quelques jours avant le gala et il affirme ne ressentir aucune nervosité. « Je laisse ça entre les mains des dieux. On verra ce qui arrive, je n’ai aucun contrôle là-dessus » dit-il.

Cliquez sur l’image pour démarrer le vidéoclip de la chanson 16 Carriages de Beyoncé, coécrite par Dave Hamelin, sur YouTube
Le moins qu’on puisse dire, c’est que le parcours professionnel de Dave Hamelin est inhabituel. Il s’est d’abord fait connaître au début des années 2000 en tant batteur, puis chanteur, guitariste et principal auteur-compositeur du populaire groupe rock montréalais The Stills qui faisait partie de l’immense vague indie rock qui a marqué le tournant du millénaire, vague où on retrouvait entre autres Broken Social Scene, Metric, Stars et The Dears. The Stills a remporté deux JUNOs en 2009, soit Meilleur nouveau groupe et Meilleur album alternatif pour le troisième et dernier album du groupe, Oceans Will Rise.
Quand le groupe s’est séparé en 2011, Hamelin s’est installé à Toronto sans aucune certitude quant à son avenir dans le domaine de la musique. « J’étais pas mal fatigué après la séparation des Stills », se souvient-il. « J’avais juste envie de passer un peu de temps chez moi après 10 ans de tournées. Je n’avais certainement pas encore décidé de déménager aux États-Unis, à ce moment-là. »
En 2009, il a fondé le groupe Eight and a Half aux côtés du claviériste des Stills, Liam O’Neil, et du batteur de Broken Social Scene, Justin Peroff. Ils ont lancé un album éponyme en 2012 qui a été bien accueilli. C’est à ce moment que Hamelin, avec les encouragements du cofondateur de Broken Social Scene, Kevin Drew, a commencé à se concentrer davantage sur la production. « Ma collaboration avec Kevin a commencé quand j’ai mixé une chanson pour son projet solo Darlings », explique-t-il. « Après, il m’a essentiellement forcé à produire l’album It’s Decided (2015) d’Andy Kim et ç’a vraiment été super agréable. »
De fil en aiguille, Hamelin a collaboré avec Drew et a coproduit et mixé deux albums majeurs parus en 2016, Man Machine Poem, le dernier album des Tragically Hip, et le projet solo de Gord Downie, Secret Path. Les deux projets ont reçu plusieurs JUNOs l’année suivante. Hamelin a également été musicien et assuré le mixage sur le dernier album de Downie, Introduce Yerself (2017) et il a travaillé sur les albums du Sam Roberts Band et The Belle Game.
Toute cette période jouera un rôle crucial dans son développement en tant que producteur et mixeur en le préparant pour le succès à venir à L.A. « Travailler avec Kevin et des légendes comme Andy et Gord m’a vraiment aidé à développer une méthode qui m’aide à côtoyer des gens comme ça », confie-t-il. « Apprendre à comprendre leurs attentes et comment gérer ces types de personnalités. Tu es là pour les aider à réaliser leur vision créative, mais il faut aussi que tu aies la tienne. Après, c’est une question de trouver un juste équilibre entre les deux et c’est ça que je fais depuis quelques années. »
« Dave était déterminé à réussir. Il était tellement ambitieux. » – Neville Quinlan de peermusic
Le travail d’Hamelin sur Secret Path a capté l’oreille de Neville Quinlan, directeur général de l’édition pour la branche canadienne de l’éditeur indépendant peermusic. Kevin Drew a incité Quinlan et Hamelin à se rencontrer en 2016 et ce fut un moment charnière.
« Quand Dave est arrivé dans mon bureau et à commencer à parler, j’ai tout de suite su que je voulais travailler avec lui. C’est devenu un projet majeur pour nous. C’est quelque chose de transformer un interprète et producteur en auteur-compositeur professionnel. C’est une autre façon de penser, une autre boîte à outils, un autre univers social, mais Dave était déterminé à réussir. Il était tellement ambitieux. Peu importe ce qu’on faisait, il s’investissait à 100 %. J’ai vu la magie dès le premier instant », raconte Quinlan.
Un contrat d’édition a été signé en 2017 et peermusic l’élargissait de plus en plus. Hamelin avoue d’emblée que pendant qu’il était à L.A., il « était très sceptique que ça aboutirait à quelque chose. Toutes les fois avant où j’étais à L.A., les gens essayaient de me faire “fitter” dans un contexte qui n’était pas pour moi. »
Heureusement, les choses allaient se dérouler de manière plus fluide cette fois-ci. Dave Hamelin a travaillé sans relâche au célèbre No Name Studios pendant que son éditeur payait les frais. Des connexions dans l’industrie d’une valeur inestimable ont rapidement été établies. « J’ai rencontré Che Pope [le producteur lauréat d’un Grammy] qui était l’ancien président du label GOOD Music de Kanye West, et ça m’a ouvert les portes de leur studio et ça m’a donné envie de foncer », se souvient-il.

Cliquez sur l’image pour démarrer le vidéoclip de la chanson « The Stranger » de Gord Downie coproduite par Dave Hamelin sur YouTube
Hamelin a ensuite été appelé à travailler avec une étoile montante du rap et de l’art pop du nom de 070 Shake et il a participé à trois de ses albums jusqu’à maintenant à titre de coauteur, coproducteur et musicien : Modus Vivendi, You Can’t Kill Me, et Petrichor, où l’on retrouve une reprise de la chanson Song to the Siren de Tim Buckley avec Courtney Love comme artiste invitée. « C’est cette collaboration qui a ouvert le chemin pour tout ce qui allait suivre », affirme l’artiste. « Shake et moi avons écrit une chanson pour le projet The Lion King: The Gift de Beyoncé [SCAR, qui mettait également en vedette Jessie Reyez], et c’est comme ça qu’on a fait connaissance de son équipe. J’ai commencé à travailler avec eux de plus en plus souvent et c’est comme ça que j’ai fini par travailler sur Cowboy Carter. »
Hamelin est maintenant sous contrat avec Sony Music Publishing, mais peermusic a gardé des parts dans la chanson 16 Carriages. Son travail sur Cowboy Carter a commencé avant la pandémie, mais malgré une longue attente, ce projet a catapulté la réputation d’Hamelin à un autre niveau. « Ça m’a clairement ouvert plein de portes et ç’a changé comment les gens me perçoivent dans l’industrie de manière très positive », avoue-t-il.
En plus, il a trouvé chez Beyoncé une âme sœur créative. « Beyoncé s’inspire de plein de genres musicaux et a des goûts très variés », explique-t-il. « Elle est toujours partante pour se mettre au défi d’essayer de nouvelles choses et c’est pour ça, je pense, qu’on travaille bien ensemble. J’essaie constamment d’apporter une nouvelle perspective aux artistes avec qui je travaille. C’est ce qui me passionne à propos de la musique… Disons que mon style de production est très axé sur la fusion des genres. J’aime emprunter des éléments à tout ce que j’aime et les réassembler d’une façon qui convient à ce que je suis en train de créer. »
On compte parmi les autres artistes avec qui il a travaillé à L.A. les artistes rap Leikeli47 et Clyde Guevara, et des créateurs et créatrices du domaine du R&B comme Howard Lilly (Alicia Keys, Zayn), Amber Mark et May.
Pour lui, ses racines dans le rock alternatif ont une influence sur son approche. « La musique qui jouait à la radio quand j’étais ado dans les années 90 était très différente » explique-t-il. « C’était très “edgy” avec des artistes comme Nirvana, Nine Inch Nails, Björk, Smashing Pumpkins et Soundgarden qui dominaient MTV. C’est probablement de là que me vient cette façon de penser que tout est possible. »