Comme tant d’autres auteurs-compositeurs avant (et après) lui, Tyler Shaw affirme sans hésiter que la toute première chanson qu’il a écrite était simplement « horrible ». Mais à l’époque ? « Oh ! mon dieu, je pensais qu’elle était géniale. Elle parlait d’une fille sur qui j’avais le béguin. Je m’étais dit, «  Oh ! mon dieu, cette fille est à moi ! Si elle entend ma chanson, elle voudra être avec moi.” On ne saura jamais si ça aurait marché ; elle n’a jamais entendu la chanson, mais elle devenue mienne. Mon meilleur ami a encore l’enregistrement de cette chanson et il y a quelques années, il m’a demandé si je m’en souvenais, et je lui ai répondu que j’aurais préféré ne pas m’en souvenir. »

Shaw, qui a ce jour a remporté deux prix SOCAN et deux nominations aux JUNO grâce à ses deux albums — Yesterday, paru en 2015, et Intuition, paru en septembre 2018 —, en plus de plusieurs simples certifiés, a de toute évidence évolué en tant qu’auteur-compositeur. C’est malgré tout plutôt ironique qu’un chanteur qui a d’abord attiré l’attention de l’industrie en remportant le concours MuchMusic Coca-Cola Covers en 2012 avait déjà au moins cinq années d’expérience en écriture de chansons à l’époque.

« J’ai commencé à écrire des chansons quotidiennement à l’âge de 13 ans, j’écrivais à propos d’absolument tout », nous explique-t-il depuis sa résidence de Toronto une dizaine de jours après son 26e anniversaire. « Peine d’amour, tomber en amour, la vie étudiante, tout et rien. Pratiquer l’écriture améliore nos aptitudes, comme n’importe quoi d’autre, le piano, la guitare… J’écrivais une chanson par jour, des fois deux, quand j’avais 13 ans. J’ai commencé à me développer encore plus lorsque j’ai été mis sous contrat [par Sony Music Canada]. »

Lorsqu’est venu le temps de quitter sa ville natale de Vancouver pour aller à une université de l’Île-du-Prince-Édouard, ses ambitions musicales étaient fermement ancrées et on pouvait l’entendre dans les bars locaux et sur le campus. Lorsque sa victoire dans ledit concours a débouché sur un contrat avec une maison de disques, tout est passé en vitesse supérieure. Son premier simple, « Kiss Goodnight » (2012) a été certifié Platine, tandis que son plus récent simple, « With You », tiré de l’album Intuition, a été certifié Or et visionné plus de 13 millions de fois au moment d’écrire ces lignes. Le 12 avril 2019, une version francophone du simple, mettant en vedette Sara Diamond, a été lancée.

L’apprentissage n’a pas été de tout repos. Lorsque Shaw a commencé à travailler sur son premier album, il a dû apprendre à collaborer avec d’autres créateurs, presque tous des inconnus, outre leurs réputations. « Si vous avez la capacité d’entrer dans une pièce où se trouve une personne que vous n’avez jamais rencontrée auparavant et dont vous ne savez rien à part ce qu’elle a accompli musicalement, et que vous établissez une connexion avec cette personne dans les premières 30 à 60 secondes, ça vous donne l’impression de pouvoir arriver à un résultat spécial. Mais il m’est arrivé d’entrer dans cette pièce, avant mon dernier album, et c’est… pas qu’il y ait quoi que ce soit de louche, mais ça n’était pas la “vibe” que je recherchais lorsque je collabore avec un auteur-compositeur. Ce n’était pas accueillant, pas chaleureux, juste froid et repoussant. Lorsque ça se produit, je me force à rester, car on ne sait jamais, mais en général, ça ne se passe pas bien. J’aime rester positif et me dire “OK, il passe peut-être une mauvaise journée et peut-être que nous en tirerons quelque chose de bon, on ne sait jamais.” Sauf que règle générale, ce n’est pas ça qui arrive. »

Écrire rapidement pour le cinéma
En 2017, Shaw a mis sa carrière musicale en veilleuse pour tenter sa chance comme acteur. Pour lui, ça n’est pas si différent. « Je me suis vraiment amusé », raconte-t-il. « J’ai joué dans un film intitulé The Meaning of Life où j’incarnais un clown thérapeutique pour les enfants malades qui espère devenir une vedette de la musique. Je n’avais aucune difficulté à m’identifier au rôle… sauf la partie clownesque ! », ajoute-t-il en riant. « Je chante cinq chansons dans le film, et j’ignorais qu’on s’attendait à ce que j’écrive ces cinq chansons jusqu’au premier jour du tournage. Ils m’ont demandé “As-tu écrit la chanson que tu dois chanter dans la prochaine scène ?” J’étais comme “Quelle chanson ?” Je me suis précipité vers ma loge et j’ai écrit une chanson pour la scène en cinq minutes. J’étais déjà habité par l’émotion de la scène, alors l’écriture de la chanson m’est venue facilement. Ça s’est produit comme ça cinq fois, j’ai dû écrire sur le champ une chanson pour la scène qu’on devait tourner. Ça s’est produit tout naturellement. Ç’a marché pour moi. “Donnez-moi 20 minutes, max, et je vous écris une chanson”. »

Et n’allez pas croire que l’écriture de chansons lui vient toute seule. « Écrire des chansons est toujours un défi. Chaque jour est un défi. Il y a des jours où on n’écrit rien parce qu’il n’y a rien à dire. D’autres jours, on écrit deux ou trois chansons. Pas que c’est plus difficile d’écrire des chansons maintenant ; ç’a toujours été un “challenge”. » Et ce défi, c’est parfois Shaw lui-même qui se l’impose.

Conscient du fait que son répertoire est très axé sur les chansons romantiques, il a voulu élargir ses horizons sur Intuition. « J’aime l’amour, tout le monde a un faible pour l’amour… On peut tous s’y identifier, mais c’est également vrai de la vie en général », dit l’artiste. « La majorité des chansons que j’écris sont des chansons d’amour, mais j’aime l’idée d’écrire et de parler d’autre chose que l’amour. » Il a reçu des courriels de certains fans qui lui disent que des chansons comme « Help Me » et « Anybody Out There » les ont aidés à surmonter des périodes difficiles de leurs vies.

L’expérience qu’il a acquise, et si habilement utilisée lors de son passage au SOCAN Songwriters Circle des JUNO 2019, lui a appris la meilleure attitude à avoir lorsqu’on commence une nouvelle collaboration. « Je suis un livre ouvert », dit-il simplement. « Tout le monde autour de moi a beaucoup d’expérience ; les auteurs-compositeurs, les producteurs-réalisateurs, alors je ne me sens pas insulté lorsque quelqu’un dit “cette strophe dans ce couplet pourrait être mieux”. Je le prends simplement comme un défi à me surpasser. Ça n’est pas difficile de se faire dire des trucs du genre. Tout le monde a son opinion et j’écris du mieux que je peux, alors quand quelqu’un me dit “ça n’a aucun sens”, c’est cool. Je me mets au défi de faire mieux et d’y donner plus de sens. » Que peut-il faire d’autre, de toute façon ? C’est l’essence même de l’évolution.