Pour la création de son troisième album, Nouveau Langage, l’artiste multidisciplinaire N Nao a laissé les choses jaillirent d’elles-mêmes. Un casse-tête sonore s’est dessiné d’une résidence à l’autre, d’un moment solitaire à un instant collaboratif marquant. Naomie de Lorimier a choisi la pulsion artistique comme boussole.
« Je documente beaucoup les choses, que ce soit dans un journal ou avec une enregistreuse, lance-t-elle. C’est pour ça qu’il n’y a pas, pour moi, de moment clair où un album commence et finit. »
Si les pièces Nouveau Langage et Pleine Lune étaient des improvisations, elles n’étaient pas destinées à demeurer ainsi, mais parfois « c’est le premier jet qui marche », explique l’artiste. En résidence au Studio B12 grâce à REDA (Résidence en Exploration et Développement Artistique, organisme à but non lucratif créé à Valcourt, au Québec), N Nao s’est lancée dans la recherche de sonorités. « Avant d’aller là-bas, je m’étais enfermée à Baie-Saint-Paul quelques jours avec mon enregistreur cassette et j’ai fait des improvisions de loops sur une cassette recto verso dont on s’est servi en studio avec mon ingénieur de son Jean-Bruno Pinard. »
La spontanéité des éléments colligés et rapiécés, Naomie ne les assume pas toujours du premier coup. Puis son équipe récolte les bijoux, les diamants bruts et les jolis accidents. « J’essaie de plus en plus de leur faire confiance quand ils veulent garder intactes les affaires que j’ai enregistrées sur un coup de tête », rigole-t-elle.
Sa voix a capella et des pédales pour créer des boucles : c’est dans une formule extrêmement simple que N Nao a vu le jour. « Ça peut avoir l’air audacieux, de faire un show sans instrument, mais pour moi, c’était vraiment naturel », assure-t-elle.
Geek, joueuse, curieuse, Naomie s’intéresse depuis longtemps aux boutons, aux machines, aux nouveautés. « Ma curiosité m’a aussi poussée à aller vers les autres, éventuellement et en rencontrant des gens, j’ai eu envie de travailler en groupe, sur L’eau et les rêves (mars 2023), entre autres. » Avec Nouveau Langage, paru en janvier 2025, elle a l’impression de revenir à sa première impulsion. « Tout part de la voix. Les formes de chansons ce sont les voix qui se loopent. Ça me ressemble, dit-elle. Je me fais davantage confiance en tant que productrice, en tant qu’ingénieure de son. J’ai la chance d’avoir Jean-Bruno, avec qui je collabore depuis très longtemps, mais j’aime arriver avec plein de matière déjà produite. »
Les collages de voix de la pièce Nouveau Langage, c’est un travail de minutie qu’elle avait préparé en amont. « J’ai quasiment l’impression d’avoir collé les sons avec de la colle de mes propres mains », s’amuse-t-elle.
Les discussions sur le métier de musicien et sur la création, N Nao les a tous les jours. « Grâce aux collaborations et aux projets des autres auxquels je participe, ça multiplie les types de conversations que je peux avoir parce que je vois autant des gens de l’expérimental que des gens qui font de la musique grand public. Et ce que je réalise, c’est qu’on est tous dans le même bateau. »
Son sentiment qu’il est difficile de faire de l’art et de continuer est partagé par ses collègues de tous les horizons. « Ce que je vais chercher dans les relations artistiques, c’est la solidarité, insiste-t-elle. Je m’éloigne de la culture des concours et de la compétition. Je veux me concentrer sur l’essentiel. Ce n’est pas toujours sain de regarder ce que les autres font. La culture des concours est omniprésente et elle donne souvent l’impression qu’il y a de la place pour une seule personne alors que ce qui est beau, c’est la pluralité. »
Ayant étudié en arts visuels, elle touche à d’autres branches des arts et croit en toutes les manières de décloisonner le terme « industrie ». En collaborant avec d’autres artistes (Klô Pelgag, Laurence-Anne, Lou-Adriane Cassidy, etc.), Naomie de Lorimier ressent la présence d’un bateau qui n’a pas envie de couler. « On se tire tous vers le haut », promet-elle. « Je trouve que les échanges sont toujours bons et c’est la solution, en ce moment, de ne pas succomber à la peur, mais d’utiliser les énergies négatives en les sublimant pour faire du beau. Notre travail c’est de faire la beauté. »
Une fois que le beau existe, comment l’expose-t-on? Pour N Nao, les questions se renouvellent et il faut se les poser constamment. Elle se demande souvent comment c’était avant les réseaux sociaux, puisque maintenant, ils sont de moins en moins utiles. « Le bouche-à-oreille ? Les médias papier ? La radio ? On dirait que je trouve ça bien de penser : si tout explose, qu’est-ce qu’il nous reste ? Chaque fois que je peux parler de ma création à un grand public, je le vois comme un privilège, mais j’essaie de ne pas être déçue par le mécanisme parce qu’il doit effectivement être repensé. »
Musique, théâtre, cinéma. N Nao nourrira son art tant qu’elle respirera. « Mon film Miroir a été sélectionné au Festival Regard, note-t-elle. C’est beau de faire communiquer les médiums. Je vais faire une conception pour un projet de danse bientôt. J’en mange, des projets interdisciplinaires. Et je ferai des albums tant que je vais vivre. »
Le lancement de Nouveau Langage aura lieu au Ausgang Plaza, à Montréal, le 27 mars 2025, permettant à Naomie de déployer l’ensemble de ses capacités artistiques. « On va reprendre le visuel de l’album pour donner une impression de grotte, de nuit, d’humidité, explique-t-elle. J’ai juste vraiment hâte de chanter pour laisser la vibration se rendre là où elle doit aller. »