DawaMafia, Carlos GuerraLe titre de cet album, un sixième projet en duo, témoigne bien de la vision que les deux frères Zacka et Tali B ont d’eux-mêmes. Pour eux, Infréquentable, c’est une manière d’assumer leur passé, de vivre en paix avec ce que les gens pensent d’eux. « Encore aujourd’hui, je vois une certaine distance avec les autres. Je ressens ça tous les jours. C’est comme si j’avais une étiquette « Infréquentable » sur le front. J’ai choisi de l’assumer, de vivre avec », explique Tali B, sept ans plus jeune que son aîné.

Cette démarcation claire entre DawaMafia et le reste du monde se transpose de différentes manières sur ce nouvel album – un premier en duo depuis 2020. Les deux rappeurs s’y présentent comme des personnages méfiants, qui n’ont pas froid aux yeux. Leur repaire pour affronter ce regard parfois brutal de l’Autre ? La loyauté. « La première qualité que tu dois avoir chez un homme, c’est la loyauté. S’il n’est pas loyal, éloigne-toi de lui », tranche Zacka.

« Nous, on a deux ou trois amis dans la vie, mais sinon, c’est la famille (qui importe). À la maison, on était cinq frères et deux sœurs. On est une famille unie. Moi je pourrais mourir pour mon frère, et je sais que lui aussi pourrait die pour moi », confie Tali B.

C’est à Brossard que les deux frères ont grandi. Réputée pour son quartier DIX-30 et ses coins plus cossus, cette ville de la Rive-Sud de Montréal abrite aussi une classe sociale plus pauvre dans ses différents complexes d’habitations à loyer modique. C’est de là que Tali B et Zacka viennent. « Disons qu’on n’est pas nés avec une cuillère en or dans la bouche », euphémise Zacka. « On a fait ce qu’on avait à faire pour être là où on est aujourd’hui. »

Durant leur adolescence, Tali B, Zacka et le reste de la fratrie se forgent une réputation dans les quatre coins de la ville : celle de foutre le ‘’dawa’’ – argot pour ‘’bordel’’. « Y’avait tout le temps un des frères qui foutaient le bordel quelque part. Des fois, tu arrivais quelque part, dans une soirée, et on te disait : ‘’T’as foutu la merde ici le mois dernier ! Tu rentres pas !’’ Pourtant, t’avais jamais mis les pieds là-bas !», se rappelle, en souriant, Zacka. « Souvent, nos soirées finissaient en bataille. C’était ça, notre quotidien. »

La musique est rapidement devenue un rempart pour s’éloigner du chaos urbain. « On a toujours fait de la musique. Avant d’enregistrer, on faisait des freestyles, tous ensemble. Le rap a commencé à prendre une place de plus en plus grande dans nos vies », explique Zacka.

DawaMafia, Infrequentable

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Avec les années, Zacka et Tali B sont devenus les deux plus assidus musicalement. Après avoir développé des projets chacun de leur côté (en solo pour Tali et en groupe – avec Bagdad Musik notamment – pour Zacka), les deux ont uni leurs forces officiellement, sous le nom DawaMafia, dans la deuxième moitié des années 2010. « Tant qu’à gaspiller notre temps dans différents projets, on s’est dit qu’on allait le faire ensemble. Y’a rien de plus fort que cette union par le sang », renchérit Tali B.

« Mais au début, c’était pas sérieux. C’est devenu sérieux une fois qu’on a arrêté d’investir de l’argent dans le projet. Je peux dire qu’il y a eu un switch y’a trois ans environ », explique Zacka. « Parfois, Dieu met du monde sur ton chemin. Nous, ça a été notre manager (Rico Rich, l’un des joueurs de premier plan de la scène rap de Québec). Il est venu nous montrer comment structurer les choses. »

« En ce moment, on est au peak. Au moment où je te parle, Infréquentable est sorti il y a 2 ou 3 semaines, et déjà, on est à deux millions de vues », se félicite Tali B.

Au-delà des chiffres, c’est le contenu d’Infréquentable qui marque. Plus que jamais, les deux frères sont en parfaite osmose au micro, se relançant de manière fluide avec autant de dextérité sur le plan du flow que du chant. « On veut donner l’impression de chanter et de rapper en même temps. On fusionne vraiment les deux. On est inspirés par ce qui se fait du côté américain, avec la scène plus récente des NLE Choppa et A Boogie wit da Hoodie », indique Tali B. « On s’aide, on travaille en équipe. On se doit de faire ressentir une certaine connexion. On est un duo : on n’est pas un feat, mais bien un seul artiste. »

On remarque également l’évolution du duo sur le plan des textes. Les deux frères québéco-marocains y affichent leur passé de manière perspicace, révélant des épisodes sombres de leur vécu, sans pour autant verser dans le récit dramatique ou trop explicite. ‘’Aujourd’hui, j’fais de l’art à plein temps / Avant j’faisais du tort à plein de gens’’, lance le duo sur Fast, chanson qui symbolise bien le propos de cet album qui, graduellement, dans sa deuxième moitié, laisse germer une idée de changement et de transformation.

Est-ce que tranquillement les deux frères seraient sur le point de devenir plus sages ? « Je dirais pas plus sage, mais plus mature », nuance Tali B. « La sagesse, y’a encore beaucoup à acquérir. »