Le bhangra du grand Vancouver est à l’orée de quelque chose de gros.

L’un des premiers indices que la scène musicale bhangra/desi de Colombie-Britannique est sur le point de se faire connaître du grand public fut la pièce « Suit », parue en 2016, qui a été un « hit » majeur partout en Inde et qui a été enregistrée et lancé par la sensation indienne de la chanson Guru Randhawa et le Canadien Aneil Kainth, alias DJ Intense.

Au moment d’écrire ces lignes, « Suit » a dépassé le cap des 65 millions de visionnements sur YouTube, et il affirme qu’il ne pourrait demander mieux au chapitre de l’impact professionnel de sa musique. « Ma carrière est passée à la vitesse grand V plus que je l’imaginais possible », rigole Intense, qui a composé et réalisé la pièce bilingue aux « beats » polyrythmiques et aux sonorités électroniques on ne peut plus entraînants « Vivre au Canada et avoir cette opportunité en Inde m’a ouvert l’esprit et de nouveaux horizons… Jusqu’ici, les opportunités et les gens qui se sont présentés à moi dépassent l’entendement. »

Parmi ces gens, on pense tout de suite à la vedette indienne Jasmin Sandlas, dont la pièce « Haaniyan » donne le coup d’envoi de l’album 124 d’Intense paru en 2016 — et qui a cumulé plus de 2 millions de visionnements sur YouTube à ce jour —, ainsi que les Canadiens G. S. Hundal et la vedette des ados, Karan Aujla.

Mais DJ Intense n’est pas le seul canadien à connaître du succès mondialement : des groupes bhangra tels que Delhi 2 Dublin et En Karma, la rappeuse Horsepowar, DJ Khanvict, DJ Raju Johal, un spécialiste du dhol (un instrument de percussion indien) et de l’harmonium, Dave Bawa ainsi que le producteur Harj Nagra ne sont que quelques-uns des joueurs actuels et en émergence de la joyeuse et entraînante musique panjabi tant appréciée de la population indienne qui se chiffre à 1,3 milliard d’âmes. Cette scène de la côte ouest s’étend de Richmond à Burnaby en passant par Surrey, et compte une population d’origine sud-asiatique de plus de 300 000 personnes.

On retrouve également dans le Grand Vancouver des pionniers de la musique bhangra et desi qui bâtissent les fondations de cette scène musicale depuis la fin des années 80 et qui, eux aussi, ont connu un succès international : l’autoproclamé « Président du bhangra » de Surrey, Jaswinder Singh « Jazzy B » Bains, le chanteur religieux K.S. Makhan, l’acteur et chanteur Sarbjit Cheema ; les frères Kamal Heer et Manmohan Waris de Richmond, ainsi que Harbhajan Mann, de Burnaby.

Mais malgré une longue histoire et un bassin très concentré de talent, les musiciens bhangra sont pratiquement inconnus dans leur propre terre d’accueil. C’est ce que le fondateur et leader de Delhi 2 Dublin Tarun Nayar — qui est également le directeur artistique du festival City of Bhangra, qui a lieu en juin chaque année — espère changer. Pour y parvenir, il a produit un documentaire financé par Telus intitulé Bhangra City portant sur cette musique qui passe trop souvent inaperçu dans la province et qui sera présenté en première le 12 juin au Van City Theatre dans le cadre de l’édition 2017 de son festival. L’administratrice A&R de la SOCAN Melissa Cameron participera à un incubateur de musique desi dans le cadre du festival, le 11 juin au Surrey Arts Centre.

« Il est question de ce qui se passe dans cette sous-culture de la musique panjabi de Vancouver et qui nous a donné certains des plus grands noms de la pop panjabi, des artistes qui récoltent des dizaines et des centaines de millions de visionnements sur YouTube et qui sont totalement inconnus à Vancouver », explique Nayar. « Tous habitent les basses terres continentales, mais ils sont totalement absents de ce que nous appelons l’industrie de la musique. La scène bhangra est relativement vigoureuse depuis le début des années 80 et elle possède d’immenses ressources artistiques qui n’ont pas encore été exploitées. »

Selon Nayar, il existe une discrimination fondée sur des perceptions archaïques qui empêche les salles vancouvéroises d’engager des groupes bhangra. « En tant qu’homme brun de la région de Vancouver, je crois qu’en raison de cette perception erronée que les gens de l’Asie du Sud ont des liens avec les gangs — et il y a bel et bien eu des problèmes avec ces gangs à la fin des années 90 et au début des années 2000 —, il est maintenant très difficile pour nous de trouver des engagements à Vancouver », explique-t-il. « Notre scène ne parvient donc pas à exister dans l’espace public, sauf quelques très rares exceptions, même si bon nombre des DJs de Surrey ont des dizaines de milliers d’abonnés sur Instagram et que chacune de leurs apparitions est à guichets fermés. Malgré tout ça, ils ne seront jamais capables de se faire engager un vendredi ou un samedi soir au centre-ville de Vancouver. »

Ça ne signifie pas pour autant que le mouvement bhangra local manque de débouchés. Un circuit inattendu a repris la balle au bond. « Tout est désormais axé sur la culture des mariages », explique Nayar. « Les plus grands noms, DJs et autres, de la scène se produisent dans les mariages, car c’est là où on les réclame. Et c’est aussi là que se trouve l’argent. Les mariages panjabi et Indiens sont immenses : il y a de 1000 à 2000 personnes dans ces mariages, c’est là que se trouve la scène. Mais parce que cela ne se transmet pas à l’espace public, ces mariages finissent par devenir d’immenses raves avec des robots, des canons à confettis, des lasers et des machines fumigènes. »

DJ Asad Khan, connu de ses fans en tant que Khanvict, explique que les mariages indiens ont une signification très différente des mariages occidentaux. « Dans un mariage occidental, le DJ n’est pas le clou de la soirée. Toute l’attention est portée sur le couple, le décor, la nourriture. Dans les mariages indiens, le repas est secondaire. C’est le DJ qui est à l’avant-scène, le clou de la soirée… et vous pouvez manger quelque chose, si vous avez un petit creux… Un mariage est presque un rave. »

Khanvict

Khanvict (Photo: The Visual Cortex)

Mais comme l’explique Khanvict, les DJs qui jouent souvent dans les mariages finissent par être catégorisés. Et demandez-lui ce qui est le plus payant entre un mariage ou un club, et vous serez sûrement surpris. « C’est difficile de trouver des engagements dans les clubs, parce que lorsque vous commencez à faire des mariages, les gens vous regardent différemment », dit Khanvict, qui est propriétaire de Decibel, une entreprise de services qui emploie 16 DJs. « La vérité, c’est que je fais 10 fois plus d’argent dans un mariage qu’un autre peut faire dans un club. Pour le même travail, un DJ sera payé 200 $ dans un club, et moi je peux facturer 2000 $ pour jouer dans un mariage. Les gens qui jouent cette musique sont plus appréciés et ils se tournent donc vers les marchés où on les apprécie et qui paient bien. »

Et puisque de nombreux invités à ces mariages viennent de l’étranger pour y assister, le bouche-à-oreille est un avantage additionnel. « Lorsque vous jouez devant une pareille foule, il y a beaucoup de gens qui ont voyagé pour être là, et s’ils aiment ce que vous faites, ils en parleront une fois rentrés chez eux », explique Khanvict, qui a été invité à jouer un peu partout dans le monde, du Mexique à l’Indonésie en passant par l’Australie.

Tous n’ont toutefois pas été interdits de séjour dans les clubs. Jasleen Powar, alias Horsepowar, est une de ces exceptions qui est engagée par les clubs locaux. Originaire de Richmond, elle a un penchant féministe très développé et une approche souvent humoristique dans son hip-hop souvent engagé. C’est cette unicité qui permet à Powar de se diversifier afin de trouver des engagements.

Horsepowar

Horsepowar (Photo: HYFN)

« Parce que je suis une rappeuse, c’est un peu plus facile de trouver des “gigs” », explique celle qui a donné quelques prestations à l’édition 2016 de SXSW et dont le plus grand succès YouTube, « Queen », cumule plus de 90 000 visionnements. « Je suis chanceuse. Chanceuse parce que je ne fais pas uniquement partie de la scène sud-asiatique, j’établis des ponts, ce qui est la véritable nature hybride d’une enfant de la diaspora, l’est et l’ouest qui se rencontrent, et ça me permet de jouer dans des spectacles plus grand public. »

« Je suis encore en train de peaufiner le son et le look Horsepowar, et j’essaie d’être la plus authentique possible. Mais je suis toujours tiraillée entre différents styles et goûts musicaux ; j’ai grandi en écoutant du Black Sabbath et du Ben Harper en passant par une phase emo. Puis je me suis tournée vers le hip-hop et j’ai aussi toujours aimé le Bollywood, je n’ai donc jamais correspondu à une seule image. Mais lorsqu’il est question de la scène desi/sud-asiatique, j’ai l’impression qu’on m’y apprécie uniquement pour qui je suis. C’est pour ça que lorsque vient le temps de trouver des engagements, j’ai le sentiment que je peux évoluer dans plusieurs mondes différents. »

Horsepowar convient néanmoins que la sc ; ne musicale de Vancouver peut paraître diviseuse. « Je crois que, de manière générale, Vancouver doit faire des efforts pour être plus inclusive », dit-elle. « Quand je vais à Oakland, Toronto ou L.A., je sens une inclusion, ce qu’ils veulent c’est des gens talentueux et si t’es cool, t’es cool, et c’est tout ce qui compte. Tandis qu’ici, il faut constamment le prouver. » Ou, comme le disait récemment Nayar au Vancouver Courier, « je ne m’attends pas à ce qu’un système capitaliste soit altruiste. Mais ça m’enrage qu’il y ait de l’argent à faire, tant d’excellentes histoires à raconter et de bonne musique, mais qu’une importante communauté de notre ville ne soit malgré tout pas servie par les modèles conventionnels. »

DJ Intense

DJ Intense (Photo: Sergio Pawar/Dreamfinity)

DJ Intense croit que le potentiel des scènes bhangra et desi de Vancouver a amplement fait ses preuves ailleurs, et des marchés étrangers comme l’Inde sont constamment à la recherche de nouveauté. « Je crois que le fait que je vienne de l’étranger a joué pour beaucoup », explique-t-il. « Le marché de la musique indien est à la recherche de quelque chose d’inédit, de nouveau. Ils essaient d’être toujours plus occidentaux. Qui de mieux pour leur donner cela que quelqu’un de la côte ouest ? Je crois que le Canada est vraiment sur le point de devenir la prochaine superpuissance de la musique indienne. »

Et au niveau local, il y a une lueur d’espoir que l’acceptation viendra. En plus de jouer avec Delhi 2 Dublin, de diriger le VIBC et de lancer son film Bhangra City, Nayar est également impliqué dans un autre projet baptisé Desi Subculture qui collabore avec le promoteur vancouvérois Blueprint pour présenter des vitrines au club Celebrities. « Ils reconnaissent la nécessité de faire entrer la culture sud-asiatique dans le “mainstream” à Vancouver, alors nous travaillons là-dessus ensemble », explique Nayar. « La demande est là. Les billets se vendent. Et nous souhaitons aider l’industrie à réaliser qu’il y a là une opportunité économique… On serait stupides de ne pas s’impliquer. »



Si un jour vous passez par le village de Neuville, capitale du blé d’Inde située tout près de celle de la province du Québec, arrêtez saluer Médé Langlois au magasin de sa ferme, l’Économusée de la conserverie. C’est dans le nom, on y vend « du « cannage », fait selon des recettes « qui ont cent cinquante ans » et à partir des fruits et légumes qui poussent sur ses terres depuis 350 ans, la Ferme Langlois étant considérée comme la plus ancienne ferme en activité au pays. Or Médé, fier producteur maraîcher et laitier depuis onze générations, est aussi un punk.

« Tsé, les ancêtres qui habitaient ici, ils jouaient du folklore », raconte le chanteur et guitariste du groupe « punklore » Carotté, qui a mis le feu aux planches de l’Astral le 9 juin 2017, dans un programme double des Francofolies de Montréal mettant aussi en vedette les dangereux Bleuets d’Orloge Simard. « Moi, j’ai grandi dans le folklore sans le vouloir, si tu veux. Ça jouait du folklore ici tout le temps. Tout le monde du village se ramassait ici, dans la cuisine d’été de la maison familiale, pis tout le monde jouait du folklore, au moins une fois par semaine. Mais plus tard, à l’école secondaire avec mes chums, on écoutait beaucoup de punk. »

Médé s’était levé comme à tous les jours à 4h15 du matin pour traire ses vaches, travailler aux champs et veiller au bon roulement de son magasin, mais au bout du fil à l’heure du midi, il semble encore fringant d’énergie et plein d’histoires à raconter, sur la musique, ses vaches (« Si elles aiment le punk? Y’ont pas ben le choix, on pratique dans la grange ! ») ou sur le métier d’agriculteur (nous y reviendrons). Tenez, voici le récit de la naissance de Carotté, qui a lancé un premier album intitulé Punklore et Trashdition (du « cannage » musical !) en 2015 sur étiquette Slam Disques.

« Après avoir ouvert l’Économusée, j’ai décidé de participer au nouveau marché public qui se tenait à Deschambault près d’ici. La journée, on vendait des légumes et pendant ce temps, des musiciens faisaient de l’animation : un petit groupe de trad, trois musiciens. Pis là, ben, à la fin de la journée, on les rejoignait pour une ‘tite bière, un ‘tit rhum, et à un moment donné, je leur ai dit : Pourquoi on ferait pas un groupe ensemble ? J’ai deux chums qui jouent du punk. Vous trois, nous trois, moitié punk, moitié folklore, un mélange des deux. Ça ne s’est pas fait beaucoup ici – on se souvient de Groovy Aardvark qui avait enregistré Boisson d’avril » avec Yves Lambert, alors que les Irlandais l’ont fait (The Pogues), ainsi que les Bretons du nord de la France (Soldat Louis, Matmatah, Les Ramoneurs de menhirs).

Ainsi naquit Carotté et son « punklore » au répertoire constitué de compositions originales – « On écrit les textes en groupe, sinon, c’est Étienne, le violoniste, qui écrit, y’é pas pire là-dedans » – et de chansons traditionnelles de la trempe de la célébrissime Tape la bizoune d’Oscar Thiffault. « Les compositions, c’est bien, mais le plus important, c’est de sauver de l’oubli des airs, des mélodies du répertoire folklorique, comme l’air d’une chanson que chantait Madame Louise qu’on a utilisé ».

Des vieux airs, mais avec l’énergie et le sens de la fête d’aujourd’hui. « Ça fait un beau mélange, il faut préserver ça, estime Médé. Parce que le folklore, c’est comme notre terroir musical. C’est comme quand je sème mes graines de concombre à Neuville ; on est peut-être trois ou quatre [agriculteurs] sur la planète à posséder ces petites graines-là et à semer ce concombre-là, c’est important pour moi, de continuer ça. »

« Parce que tu sais, la musique et l’agriculture, pour moi, ça va de pair », abonde le barde agriculteur. Ah bon? « Quand je vais dans le champ pour planter [mes légumes], c’est comme si je m’en allais faire de nouvelles chansons. Et lorsqu’on ouvre le magasin le matin, c’est comme lorsqu’on fait une balance de son – un soundcheck. Et là quand arrive le monde, les clients, c’est le show! »

Médé Langlois fait également des liens anthropologiques entre la musique traditionnelle et le punk, « deux styles musicaux qui étaient en marge de la société, et qui dénonçaient l’ordre. La Bolduc, par exemple, elle dénonçait des choses dans ses chansons, pis nous autres aussi. »

« Parce que nous autres, en agriculture, on en a des choses à dénoncer, enchaîne Médé, mais on travaille cent heures par semaine, sept jours sur sept. Je n’ai pas le temps d’aller au Parlement pour manifester pis dénoncer tout ce qui ne fonctionne pas dans l’agriculture – parce qu’elle est malade l’agriculture au Québec », déplore le musicien, qui trouve néanmoins le temps pour faire de la musique. Parce que c’est nécessaire. Vital. « Si je ne fais pas de musique, je ne peux pas faire de l’agriculture. Et pas d’agriculture, pas de musique. »

Sur le premier album déjà, entre les airs de fêtes déridés comme celui qu’entonnait Oscar Thiffault, une chanson comme Souffrance : « Je vis dans un pays pas mal pourri…, ça reflète nos inquiétudes, des histoires comme celle du petit fromager qui se fait piler dessus ».

Source d’inquiétude, le tracé du « pipe-line Énergie Est, qui va passer sur mes terres », celles qu’a labouré un certain François Langlois à Neuville, le premier de la famille venu d’outre-Atlantique s’installer en Nouvelle-France en 1667 et fondé cette entreprise qui sera le sujet d’un grand reportage de l’émission La Semaine Verte l’automne prochain. Imaginez, on va promener du pétrole sur ces terres ancestrales, mesdames et messieurs… Ça réveille le punk en nous. « Y’en a assez à dénoncer en agriculture, y’en a pas beaucoup d’agriculteurs qui ont un micro et une scène pour le faire, alors qu’on va le faire. »

Carotté sera des festivals de la région et des foires agricoles tout l’été avec sa musique pour fêter et se fâcher. Des nouvelles compositions seront au programme, en vue d’un album à paraître en 2018. La conserverie Chez Médé de la Ferme Langlois est ouverte du mercredi au dimanche pendant le mois de juin, puis tous les jours de juillet à octobre.

 



« Est-ce que je peux te rappeler dans cinq minutes ? Le gars des guitares Godin sonne à la porte », s’excuse Michel Cusson à mi-chemin de notre entretien téléphonique. Reprise de la conversation, le principal intéressé jubile : « Je viens de recevoir mes deux nouvelles guitares sur mesure. Une Porsche et une Ferrari ! » Un gamin de 60 ans, exaucé de ses désirs, trépignant, passionné.

Michel Cusson en a fait du chemin depuis la télésérie Omertà, il y a vingt ans. Le savoir-faire du guitariste-compositeur a déjà une empreinte énorme sur le paysage télévisuel et cinématographique québécois : Unité 9, Napoléon, Aurore, Maurice-Richard, Séraphin, un homme et son péché, Riopelle, les spectacles équestres Cavalia et Odysseo, Imax 3D (Ultimate Wave Tahiti, Volcanoes of the Deep Sea, etc.), un documentaire sur feu la peintre Corno, on en passe et on en oublie, récoltant au passage sept prix SOCAN au fil des ans.

« J’accepte tous les contrats, admet-il d’emblée. Ce qui fait en sorte que je peux travailler simultanément sur plus d’un. La raison étant, les projets sont financés par des institutions, parfois l’approbation financière arrive six mois plus tard que les échéanciers prévus, donc tu dois être capable de livrer avec le train qui passe. C’est très fréquent que je travaille sur plusieurs trucs en même temps. »

Les méthodes de travail et la technologie ont bien sûr évolué depuis Omertà. Cusson s’est ainsi créé un alias, Mélodika, qu’il utilise dans ses projets plus électroniques. « Je compose partout, même dans une chambre d’hôtel, je ne suis jamais assis sur une seule chaise et je traîne toujours mes deux laptops. »

Michel Cusson

« J’ai eu des professeurs extraordinaires en Pierre Houle et Francine Forest (réalisateur et productrice), ce sont eux qui m’ont montré la dramaturgie musicale. J’ai appris comment regarder l’image. Pour être un bon compositeur de musique de film (et de téléséries), il faut être à l’écoute, poser des questions et laisser son égo de côté. C’est super important. Rien n’est acquis. Des fois, ça signifie enlever des silences, comment ton extrait sonore entre dans la séquence et surtout, comment tu en sors ! Les producteurs, les réalisateurs, les metteurs en scène, tous ont un langage différent. C’est donc crucial pour moi de savoir décoder ce qu’ils disent. »

À ce jour, Michel Cusson a mis sa griffe sur une vingtaine de téléséries qui représentent au total entre 300 et 400 épisodes et il a côtoyé une trentaine de cinéastes et réalisateurs.

« Quand tu fais de la musique à l’image, tu travailles de façon verticale en regardant plusieurs fois une séquence avant de saisir l’émotion qui colle le mieux : qu’est-ce que je veux dire, comment je l’illustre, avec quelle émotion et quel angle ; je n’ai plus besoin de regarder une scène au complet. Je compose le morceau avec en tête l’émotion qui s’y rattache… Ça fait une grande différence, la musique est plus solide ainsi en travaillant hors de l’image. »

Et comment ça se passe avec Unité 9 ?

« Je suis rendu à l’épisode 122, lance le compositeur, comme pour mesurer le travail accompli. J’aime la télésérie parce que tu peux développer à fond des thèmes et des variantes, les personnages ont tous une couleur particulière. Je les connais par cœur. Dans ce cas-ci, je visionne chaque épisode au complet avant de composer. Pour Unité 9, mon partenaire Kim Gaboury (le compositeur et réalisateur, alias aKido) joue aussi des instruments. »

Il y a quelques mois, il a trouvé le temps de publier Michel Cusson solo, inspiré de photos de familles qu’il a ramassées sur les rives du Maine. Neuf titres sont gravés, mais le spectacle audiovisuel intime et saisissant qui en découle est en constante mutation.

« J’avais le goût de réapprendre ma façon de faire. Dans mon processus j’ai combiné l’improvisation et l’écriture. Je peux m’asseoir avec mon spaceship (son arsenal technologique) et composer instantanément. Je bâtis ma trame sonore en direct, devant les gens. Et avec les boucles créées, je construis par-dessus et j’improvise. Mais j’ai quelques pistes préenregistrées qui se mêlent à tout ça. Mon spectacle, c’est 100% des sons de guitare. Chaque provocation d’idée est l’fun ! »

Au mois de décembre dernier, la nouvelle du retour d’UZEB après un hiatus de 25 ans en a étonné plusieurs. Le virtuose bassiste Alain Caron et l’érudit batteur Paul Brochu vont toujours faire partie de son ADN, mais comment trois musiciens aux agendas bien remplis ont trouvé la motivation ?

En 1992, le concert d’adieu extérieur au Festival international de jazz semblait avoir bouclé la boucle après une quinzaine d’années de jazz-rock et de fusion instrumentale de haute voltige récoltant les accolades partout sur le globe. « Il y avait un froid entre nous, je ne te le cache pas, mais on est des grands garçons, on se voyait ponctuellement depuis quelques années et finalement on a eu le goût de reconstituer UZEB. Il n’y a pas de nouvelles compositions pour l’instant et on ne se donne pas d’échéancier, on y va prudemment. Il y a quand même dix-huit dates à l’agenda dont plusieurs en Europe et le concert-réunion prévu dans un peu plus d’un mois à la salle Wilfrid-Pelletier se vend très bien, on a dépassé le cap des 2,500 billets vendus. En 1992, UZEB s’est séparé, mais il n’a jamais divorcé ! »