Anna ArobasMade to Touch, le premier album de l’autrice-compositrice-interprète Anna Arrobas, est l’un des trésors cachés de l’automne musical québécois passé. Sa voix délicate, ses airs doux et enivrants enrobés de guitares shoegaze dosés par des timbres acoustiques et des orchestrations étudiées en font un petit bijou de pop éthérée… que la principale intéressée imaginait à l’origine comme un disque de « folk minimaliste aux influences country »!

« C’est en collaborant avec Pierre [Guérineau], Jesse [Osbourne-Lanthier] et Asaël [Richard-Robitaille] que l’album est devenu ce truc grandiose et cinématographique, complètement différent que ce que j’imaginais au départ. »

Mais avant de parler musique, attardons-nous à cette mystérieuse – et superbe – pochette. Anna, la mine épuisée, abattue, le visage barbouillé, des blessures sur les mains reposant sur la poignée de ce qui semble être une pelle. Plantée dans la forêt, vêtue d’un uniforme d’une autre époque. On a envie d’imaginer ainsi la scène : décembre 1837, au lendemain de la bataille de Saint-Eustache, une patriote défaite enterre ses morts.

« J’adore l’interprétation! sursaute Anna. Je suis vraiment fascinée par ce genre d’univers, j’aime m’imaginer voyager dans le temps, dans ce genre de mondes » qui pourraient aussi évoquer le décor gothique et surnaturel du film Sleepy Hollow (1999) de Tim Burton. « Je voulais créer quelque chose d’ambigu, qu’on se demande dans quelle époque l’image a été prise ».

À la base, Anna Arrobas est photographe professionnelle, ce qui explique le soin mis sur cette pochette qui, lorsqu’on en découvrira l’édition vinyle, montrera un trou creusé au sol à l’endos. « J’aime vraiment travailler des images qui ont une dimension cinématographique, qui racontent une histoire, comme il y a beaucoup de storytelling dans les textes des chansons. Je voulais décrire une scène où, si on ne comprend pas tout à fait ce qui se passe, on comprend la peine, la sévérité du moment. »

Anna Arrobas compose des chansons depuis l’âge de seize ans, encouragée par son papa Jérémie Arrobas, qui fut claviériste de la première incarnation du célèbre groupe synth-pop Men Without Hats. « Lorsque je compose, je n’arrive pas à préciser quelle sera l’histoire, le sujet, d’une chanson avant de commencer à l’écrire. Et c’est en écrivant que je comprends ce qu’elle raconte, sa logique, et ce que j’ai vécu qui l’a inspirée. Au final, ça fait toujours du sens avec quelque chose que j’ai vécu », explique Anna.

Anna Arrobas, Farther West

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« Je suis quelqu’un qui rumine énormément sur ma vie et sur toutes les petites décisions que j‘ai prises, poursuit-elle. J’accepte tout ça, mais, ouais, j’analyse beaucoup tout ce qui se passe dans ma vie. [Sur Made to Touch], j’évoque beaucoup la notion de la perte, en repensant à mon passé et à comment tout aurait pu être différent, avec l’envie de simplement tout enterrer et oublier. Je parle beaucoup d’amour, de peines d‘amour, d’avoir perdu quelqu’un – ou même de penser à perdre un amant avant même qu’il ne t’ait quitté. Comme sur la chanson Farther West, racontée du point de vue d’une femme dont le mari est parti à la guerre en sachant qu’il n’en reviendra pas. »

En 2019, Anna Arrobas lançait un premier EP, mixé par Pierre Guérineau (Feu St-Antoine, Essaie Pas) et matricé par Jesse Osbourne-Lanthier; les deux musiciens et réalisateurs ont fondé à l’été 2020 la maison de disques Éditions Appærent, formidable vivier de talents musicaux avant-gardistes qu’a rejoint Anna au moment de plancher sur ce premier album, longuement peaufiné durant la pandémie, avec l’apport du complice des Éditions Asaël, membre de Marie Davidson et l’Oeil Nu, tout comme Guérineau.

« Des gens vraiment talentueux, à titre de musiciens et de réalisateurs, commente Anna. Je suis chanceuse d’avoir pu collaborer avec eux. Lorsqu’on s’est rencontrés, je ne les connaissais pas très bien. On a jasé de nos goûts musicaux, on adore tous Cocteau Twins, Prefab Sprout, The Jesus and Mary Chain, des trucs qu’on a découverts plus jeunes ». L’influence de Cocteau Twins, et plus généralement de la production du label britannique 4AD dans ses glorieuses années 1980, transpire dans la facture sonore de Made to Touch.

« On partage surtout des intérêts dans une vaste diversité de musiques, et en faisant l’album, il était clair qu’on ne voulait pas nous coincer dans un style », l’album touchant aussi à la musique ambient (sur Careworn Seal, de façon particulièrement évidente), ajoutant beaucoup de textures et d’atmosphère à l’ensemble, le souci du détail sonore, riche et complexe, étant une des spécialités du coréalisateur Jesse-Osborne-Lanthier.

« Aussi, on a découvert qu’on adorait tous jouer aux jeux vidéo! Les musiques originales pour jeux vidéo, on est fans – d’ailleurs, la première fois que j’ai rencontré Jesse, ce n’était même pas en personne. C’était en ligne, sur le jeu vidéo Animal Crossing! »