Nous avons rencontré la rappeuse torontoise DijahSB le lendemain du concert « Ken Pops Out » de Kendrick Lamar à Los Angeles visant à célébrer Juneteenth, et iel a d’entrée de jeu déclaré « les gens ne comprennent juste pas son impact culturel. Il n’a pas juste réuni plein d’artistes locaux, il a aussi réuni des membres de différents gangs [Crips, Bloods, Piru] et il a diffusé l’événement sur Amazon. C’est plus gros que la musique. Culturellement, ça n’a pas de prix. »

Il va sans dire que son opinion n’est probablement pas la plus populaire dans la ville de Drake étant donné l’interminable « beef » entre les deux rappeurs. Mais pour l’artiste qui aime se détendre à la maison avec son chat, publier des messages sur X et regarder les matchs de la NBA et de la WNBA, l’important c’est de rester fidèle à la musique. Et iel sait qu’iel est appréciée dans sa ville natale malgré cette opinion divergente. « Je ressens très bien le soutien de Toronto et de tout le Canada », dit-iel. « La CBC, Polaris, FACTOR, SOCAN, tout ce monde-là est derrière moi. »

DijahSB How R U, video

Sélectionnez l’image pour faire jouer la vidéo YouTube de la chanson How R U? de DijahSB

Après une décennie dans la « game », les choses vont bon train pour iel. Depuis 2020, Dijah a travaillé avec Tanika Charles sur la chanson Different Morning, et a fait la première partie de Cadence Weapon au TD Music Hall à Toronto. Iel a participé à un « jingle » pour le Jr. Jays Club, un programme des Blue Jays de Toronto destiné aux jeunes. Une de ses chansons a également été utilisée dans une publicité majeure pour Android. Mais avant tout, fin 2023, Dijah a signé un contrat d’édition avec la célèbre maison de disques Ninja Tune où elle côtoie des artistes comme Kamasi Washington, Yaya Bey et une collègue membre de la SOCAN, Jayda G.

« Ce sont eux qui m’ont contacté – ça te donne confiance, ce genre de choses là », dit-iel. « On a un partage de parts très raisonnable – ils poussent mon matériel pour des synchros et gardent la part d’édition. Je sors de la musique depuis 10 ans. Mon matériel plus récent a été placé en synchro dans des pubs et ça tourne à la radio aussi. Pendant tout ce temps, cet argent s’accumulait, tellement que le premier trimestre qu’ils ont touché a pratiquement remboursé toute mon avance et mon dernier paiement de la SOCAN a été suffisant pour payer mon loyer. C’est malade! »

Le 11 juillet 2024, son album The Flower That Knew (2023) a été inclus sur la courte liste pour l’édition 2024 du Prix de musique Polaris. « Ce genre de truc est surréaliste », nous a-t-iel dit en juin. « Penses-y, environ 200 personnes ont écouté tous les meilleurs albums canadiens sortis cette année et se sont dit “l’album de Dijah mérite d’être sur la longue liste des 40 meilleurs”. C’est le genre de chose dont on rêve en tant qu’artiste. » Et voilà qu’il fait maintenant partie de la liste des 10 finalistes pour le prix – et pour une deuxième fois, la première étant en 2021 avec son EP Head Above the Waters.

Flower est une preuve de plus du formidable talent de Dijah et confirme qu’iel appartient à la lignée des rappeurs du mouvement Native Tongues des années 90 dont faisaient notamment partie De La Soul, A Tribe Called Quest, Jungle Brothers et Queen Latifah. À l’instar de cette illustre compagnie, son plus récent projet propose des grooves des plus funky, de mélodies jazz hypnotiques, un « flow » de velours et des textes accrocheurs. Dans des chansons comme How R U ?, I’m Blooming, Back Outside, et Fertilize, sa vibe est calme et positive et ses mots transcendent ses circonstances difficiles, passées et présentes, et incitent les autres à faire de même. Sa musique fait du bien et invite à persévérer, à accepter les difficultés de la vie et à les surmonter malgré tout.

« Je comprends les éléments nécessaires à la création d’une bonne chanson, mais je sais aussi qu’il faut y mettre tout son cœur »

« Je comprends les éléments nécessaires à la création d’une bonne chanson, mais je sais aussi qu’il faut y mettre tout son cœur », expliquent-iel. « En y intégrant également ce que vous vivez… C’est ce que la plupart de mes artistes préférés ont fait pour moi. Qu’est-ce que la musique si ce n’est la vulnérabilité et le fait d’être racontable ? »

Tout comme sa musique, Dijah n’a pas une once de prétention. Comme iel l’a déjà dit sur TikTok, « je ne veux pas influencer qui que ce soit, je veux juste rapper, je veux juste faire de la musique. » « C’est ça aussi, la vie d’artiste », dit-iel aujourd’hui. « Si tu veux gagner ta vie en ayant une vraie carrière – à moins d’être une auteure-compositrice non-interprète professionnelle, tu n’as pas le choix d’être célèbre. C’est inévitable. Il y a quand même un juste milieu où je peux faire de l’argent avec ma musique mais personne ne me reconnaît quand je fais mon épicerie. C’est là que je souhaite arriver. »

Et c’est pour ça qu’iel a choisi de bâtir une carrière à long terme plutôt que la gloire instantanée après un partage « viral » sur Internet. « Tu vas devoir donner des spectacles devant juste cinq personnes, mais tu dois quand même livrer la marchandise », affirme Dijah. « Tu vas donner des spectacles qui vont ne payer que 300$. C’est important de passer par-là pour gagner des vrais “fans” et avoir confiance en toi. »

DijahSB, I'm Blooming, video

Sélectionnez l’image pour faire jouer la vidéo YouTube de la chanson I’m Blooming de DijahSB

Iel est déjà en train de tourner la page de Flower et se rapproche de la piste de danse. Une collaboration avec le duo électronique Snakehips et le duo hip-hop EarthGang sortira le 19 juillet et son propre nouveau simple – qui sortira le 3 août et qu’elle qualifie de « dance/house-hop » – s’intitule « Uh Huh ». La chanson est construite autour d’un « beat » de Keys N Krates et elle croit qu’elle risque fort de devenir la chanson de l’été 2024. Le « beat » et le flow » sont tellement solides que même l’humble artiste a écrit sur X « que ça pourrait fort bien mettre le feu à toutes les places où ça jouera ». Iel a également un autre morceau dance à paraître en septembre.

Parlant de « Uh Huh », Dijah affirme que « j’ai toujours fait des trucs qui sonnent pas mal dans ce genre-là, et quand j’ai changé de nom pour devenir DijahSB, je cherchais encore mon son. J’ai essayé un peu de tout, house, trap, boom-bap… Mais ce qui a le plus intéressé les gens, c’était les “beats” plus dansants. C’est aussi dans ce genre que je fais mon meilleur matériel… J’ai l’impression que la joie est un acte de résistance. Danser est un acte de résistance. Et c’est là que je veux faire ma contribution. »

Pour DijahSB, gagner sa vie grâce à la musique est une victoire en soi. « C’est tellement triste de voir des artistes tomber dans le piège des chiffres », dit-iel. « Les accolades, c’est bien. C’est beau de s’inscrire sur les palmarès ou de voir son nom sur un panneau d’affichage. Mais sais-tu à quel point c’est rare de pouvoir gagner sa vie uniquement grâce à la musique, de pouvoir dire “je vais aller dans une autre ville, faire un spectacle, et les gens vont venir me voir”. C’est un privilège inouï de pouvoir faire de la musique. »