L’un des aspects les plus difficiles d’une carrière en musique est de se tailler une place dans un marché compétitif.

Quand une série de vitrines présentées par la SOCAN dans différentes salles de Los Angeles a mis en vedette des membres émergents anglophones de Montréal – Aiza, Clerel et Kallitechnis –, chacun de ces artistes était reconnaissant d’avoir l’occasion de présenter sa musique et de tisser des liens avec le personnel clé de l’écosystème musical local.

« C’était génial d’être reconnue en tant qu’artiste », dit l’auteure-compositrice-interprète et actrice Aiza en ajoutant que l’impossibilité de donner des performances pendant deux ans et demi lui a donné un « profond sentiment de déconnexion ». La diva pop Kallitechnis dit que cette invitation a été très appréciée. « C’était mon premier spectacle en tant que tête d’affiche à L.A. », explique-t-elle. « Je me suis sentie vraiment aimée et soutenue. C’était génial d’être reconnue en tant qu’artiste. »

La série mensuelle – qui a commencé avec Aiza en mai 2022 au Love Song Bar et qui s’est poursuivie en juin et juillet au Gold Diggers avec Clerel et Kallitechnis, respectivement – est le fruit d’une collaboration entre Evan Dubinsky de Pop Montréal et les responsables des relations créatives de la SOCAN Sara Dendane (Montréal) et Racquel Villagante (Los Angeles). Le consulat canadien de L.A. a couvert les frais de voyage et chaque artiste a bénéficié d’un hébergement gratuit à la Maison SOCAN de L.A. pendant la semaine de son spectacle.

La directrice générale de Pop Montréal, Jennifer Dorner, a dit que l’objectif était de donner un coup de pouce à quelques artistes locaux dans la foulée de la décision du gouvernement fédéral de fermer l’industrie du spectacle du jour au lendemain à cause des craintes de transmission de la COVID. « Il n’était plus question de partir en tournée », raconte Dorner. « Bref, l’objectif était d’essayer de maintenir ces liens avec les marchés internationaux, de développer de nouveaux marchés et de s’assurer que les marchés existants étaient maintenus. Nous avons travaillé avec Evan pour obtenir une subvention du Conseil canadien des arts qui se concentrait sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire, ce qui, au Québec, signifie évidemment les anglophones. »

« Je me suis sentie vraiment aimée et soutenue. C’était génial d’être reconnue en tant qu’artiste » – Kallitechnis

« Tout au long de la pandémie, on a remarqué que les groupes, artistes et communautés les plus durement touchés étaient ceux issus de communautés marginalisées et en particulier les artistes émergents. C’était évident que ces artistes avaient besoin d’un coup de pouce et de plus de soutien pour accéder à de nouveaux marchés. On a pensé qu’une fois les restrictions levées, le moment serait idéal pour cibler certains marchés et, de toute évidence, L.A. est un excellent marché pour la musique. On était vraiment contents de pouvoir compter sur ce partenariat avec la SOCAN et sur la présence d’une personne sur place. Avoir accès à la Maison SOCAN de L.A. nous a vraiment aidés. »

Avec Dubinsky comme personne-ressource qui s’occupe des contacts dans l’industrie et Pop Montréal qui injecte des fonds dans le marketing et la promotion à L. A., Dorner dit que l’événement – qui se poursuivra en octobre et novembre 2022 avec respectivement le lauréat du Prix Polaris 2022 Pierre Kwenders et un autre artiste à confirmer – a fait salle comble et a eu beaucoup de succès. « On a réussi à faire passer nos artistes canadiens à la radio en plus d’obtenir des entrevues », dit-elle. « Cette visibilité et ce temps d’antenne ont été d’une très grande aide pour ces artistes. »

Clerel a déclaré que sa participation lui a permis de fouler un nouveau terrain, puisque c’était sa toute première fois à L.A. « J’y ai passé 10 jours et j’ai rencontré beaucoup de professionnels de la musique canadiens qui avaient des connexions à Los Angeles », dit le crooner R&B avec enthousiasme. « C’est définitivement à mon spectacle que j’ai rencontré le plus de monde. J’ai eu la chance de jouer avec des musiciens américains incroyables, j’ai rencontré des auteurs-compositeurs et des producteurs et j’ai même participé à quelques sessions pendant que j’étais là. J’ai discuté de distribution avec quelques personnes, bref ç’a été très positif et ç’a été encore mieux parce que j’ai eu accès à la Maison SOCAN. J’ai très hâte d’y retourner. »

L’artiste afropop/R&B Aiza, qui a organisé des répétitions et même des séances d’écriture à la Maison SOCAN, a prolongé son voyage « à mes frais » pour exploiter d’autres opportunités, notamment négocier un contrat d’édition aux États-Unis qui devrait être finalisé bientôt. « C’était vraiment bien », dit-elle. « Le Love Song était rempli à pleine capacité et j’ai eu la chance de rencontrer plein de gens cool. J’ai passé le reste de la semaine à rencontrer plein d’artistes, à enregistrer et à aller voir quelques spectacles. Tout ça arrive à point avec le lancement de mon premier album en 2023. C’était bien pour inaugurer cette nouvelle phase. »

Quant à Kallitechnis, ce voyage a confirmé son intention de s’installer à L.A. « Le fait que des entités comme Pop Montréal et le Consulat canadien m’endossent doit vouloir dire que je suis sur la bonne voie », dit-elle. « Le fait qu’ils soient prêts à associer mon image de marque à la leur est une confirmation de ma décision de m’installer à L.A. ; c’est la prochaine étape logique. Ça m’a permis de rencontrer plein de collaborateurs et de gens dans les réseaux que je bâtis depuis des années, bref ç’a bouclé la boucle et ça m’a motivée, parce que je sais que j’ai maintenant un réseau de soutien là-bas. »

 



Créer de la musique pour des jeux vidéo n’est pas comme créer la musique d’un film ou d’une émission de télévision pour une raison simple, ou pas si simple : chaque fois qu’un joueur joue, qu’il soit novice ou expérimenté, le déroulement du jeu sera différent. Chaque. Fois. Et ça, ça exige de la musique que l’on qualifie de « dynamique » ou adaptative ». Neuf fois sur dix, c’est de la musique instrumentale avec parfois une ou deux pièces vedettes.

« La différence fondamentale, c’est que les jeux vidéo sont non linéaires par définition », explique Shaun Chasin qui a composé la musique pour des jeux comme Ring Of Elysium, Quell 4D et Way of the Turtle, disponible sur Apple Arcade. « Dans un film, tu sais toujours qu’à ce moment précis, sur cette image, quelque chose de spécifique va se produire – et cela se passera de cette façon pour chaque spectateur du film. Mais même s’il s’agit d’un jeu direct et linéaire, certains joueurs prendront un temps différent pour faire les choses, ou les feront dans le désordre. »

Bien sûr, les joueurs peuvent aussi couper complètement la musique s’ils la trouvent dérangeante, mais pour ceux qui la laissent améliorer leur expérience de jeu, la musique peut être entendue lorsqu’ils parcourent le menu du jeu, lorsqu’ils visent un ennemi mortel ou lorsqu’ils se faufilent dans le couloir d’un château. La musique qui fait partie du jeu en tant que tel est qualifiée de « diégétique ».

Alors, qu’est-ce que ça prend à un auteur-compositeur qui souhaite se lancer dans la composition pour les jeux vidéo?

Être un « gamer » est ce qui compte le plus, et cela signifie non seulement de savoir comment jouer, mais surtout comment un jeu se déroule.

C’est ce que Jake Butineau appelle la « littératie des jeux ». Il œuvre dans l’industrie des jeux depuis sept ans et il a créé la musique de jeux comme Super Animal Royale, Destiny’s Sword et Dune Sea.

« C’est super important », dit Butineau, « parce que la musique suit presque toujours les actions du joueur. Si tu ne peux pas plonger dans le jeu et fournir ces actions en plus de fournir une expérience au joueur pour te permettre de voir comment la musique réagirait dans une situation donnée, ça devient vraiment pas évident de composer la musique. » Butineau est tellement impliqué dans son art qu’il souhaite passer à la conception de jeux en tant que telle, « pour me plonger encore plus dans cet état d’esprit “Comment fonctionnent les jeux?”, parce que je suis sûr que ça va m’aider à mieux composer », dit-il.

« J’ai appris les compétences dont j’avais besoin dans les “game jams » — Jake Butineau

Le débutant Aaron Paris, qui se considère « un peu gamer », vient tout juste de terminer son travail pour un premier projet. Sous contrat avec le Kilometre Music Group, il est impliqué dans le projet Kingsway Music Library de Frank Dukes en plus d’être crédité sur l’album DONDA 2 de Kanye West. Il a été invité par le renommé et primé compositeur à l’image Keith Power (qui a composé la musique d’émissions de télé comme Hawaii Five-0, Magnum PI, MacGyver et Heartland) à co-composer pour la bande-annonce du jeu Soulframe.

« Il m’a envoyé une ébauche d’accords et un squelette de la composition, puis il m’a donné un tas de références de ce qu’il voulait côté sonorité et ressenti », dit Paris. « À partir de ça, j’ai composé un arrangement de cordes, des voix, de la guitare et de la basse. » Le jeu est encore en production, mais il devrait travailler sur la trame sonore complète.

Quand il a entrepris sa carrière il y a dix ans, Chasin venait de compléter une mineure en composition pour les jeux vidéo au prestigieux Berklee College of Music de Boston et il avait également participé à de nombreux « game jams », un hybride intense entre un camp de création musicale et un marathon de programmation pour la création de musique de jeux vidéo.

« Ce sont des événements incroyables », avoue Chasin. « Généralement, t’es assigné au hasard à une équipe avec des gens que tu ne connais pas. Disons que tu fais leur connaissance le vendredi soir, et il faut que tu livres un résultat le lundi. On reste debout toute la fin de semaine et tu crées un jeu avec ce monde-là. C’est une manière fantastique d’apprendre et de se tisser un réseau. J’ai rencontré du monde durant un “game jam” avec qui je travaille encore aujourd’hui. »

Butineau abonde dans le même sens. « Ce qui est vraiment bien quand on se lance dans l’espace audio des jeux vidéo, c’est que peu importe la quantité de compétences que tu possèdes, tu vas toujours trouver l’équipe dans laquelle tu as ta place », dit-il. « Un excellent moyen de voir quelles compétences tu veux apprendre et développer, c’est de travailler en équipe durant un “game jam”. Ils ont souvent lieu en personne dans les grandes villes, mais il y a aussi beaucoup de “game jams” en ligne. »

« C’est réellement comme ça que j’ai commencé. J’ai appris toutes les compétences dont j’avais besoin parce que tu n’as pas le choix de plonger au cœur même du processus. »



De ses cheveux hirsutes teints en vermillon à sa multitude de tatouages, Jutes est le portrait d’une rockstar. Faisant carrière en musique depuis huit ans, il a accumulé plus de 20 millions de diffusions en continu dans le monde entier tout en expérimentant divers genres et en les imprégnant de sa touche unique. Il n’a toutefois jamais enregistré d’album carrément rock. Ce n’est qu’après avoir rencontré sa partenaire actuelle, Demi Lovato, et participé à des séances d’écriture pour son nouvel album punk rock HOLY FVCK, qu’il a décidé que le temps était venu.

Jutes – alias Jordan Lutes – a grandi sur une ferme à Kars, en Ontario, à environ 44 km au sud d’Ottawa, entourée de 300 acres de forêt ; la propriété la plus proche était à cinq minutes de marche. Il a eu une belle enfance durant laquelle il pratiquait l’équitation et passait du temps avec ses amis, mais il était malgré tout beaucoup intéressé pas le basketball et le cinéma. « J’ai toujours eu l’impression d’être un mouton noir », dit-il. « Tout ce que je voulais quand j’étais jeune, c’était de vivre en ville, au cœur de tout. »

Il s’est inscrit au programme de cinéma de la Humber College, mais il a rapidement perdu son intérêt pour la discipline. Il passait tout son temps dans sa chambre à peaufiner son nouveau passe-temps : enregistrer des raps humoristiques à l’aide de GarageBand et du microphone de sa caméra Web. « Je séchais tous mes cours juste pour écrire ces stupides chansons », se souvient-il. « J’enregistrais des chansons drôles parce que je n’avais pas la confiance en moi de dire “je suis un rappeur, maintenant”. »

Après avoir décidé de faire carrière en musique, il a abandonné l’université, il s’est installé au centre-ville de Toronto, s’est trouvé un emploi et a dédié tout son temps à la poursuite de son rêve. Son premier succès a été « Cocaine Cinderella », une chanson pop-rap pleine d’angoisse qui a attiré l’attention des internautes en 2016, amassant des milliers de diffusions en continu. Enregistré sur le divan de son salon avec son premier vrai microphone, on y découvre ce qui rend Jutes unique : sa voix brute et pleine d’émotions et ses paroles très personnelles.

Après plusieurs années consacrées à lancer des chansons, il s’est installé à Los Angeles. D’abord mis sous contrat chez Capitol Records en tant qu’artiste hip-hop et R&B, Jutes a commencé à entrevoir une carrière dans un genre musical différent. « J’avais envie de faire du pop-punk », dit-il. « On peut quand même utiliser des « drums » hip-hop, mais je veux faire du pop-punk. » Après qu’on lui ait fortement suggéré de ne pas faire cette transition, il a accepté un compromis en ajoutant des éléments rock à sa musique. Ses populaires simples « When You’re Around » et « Backseat (Kiss Me) » combinaient des « beats » trap accrocheurs, des grosses guitares et des pistes de voix passionnées.

En 2021, durant la pandémie, il a quitté son label et est redevenu artiste indépendant. L’année qui a suivi a été sous le signe de l’expérimentation : Jutes s’est donnée comme mission d’écrire une chanson par semaine et il a lancé Careful What You Wish For. En mars 2021, il déclarait au magazine Nuance : « je vis pour écrire des chansons – c’est ce que je fais jour après jour. Des fois il est trois heures du matin, juste avant que je me couche, d’autres fois c’est en prenant mon café le matin. C’est thérapeutique pour moi et c’est comme ça que j’ai appris à être honnête à propos de mes émotions et de ma santé mentale, j’ai une connexion très profonde avec cet art. »

En rentrant à L.A. après des vacances de Noël à la maison, il a reçu un message de son gérant qui lui demandait s’il voulait participer à une séance d’écriture avec Demi Lovato pour son prochain album. Il était excité, mais nerveux : il allait travailler avec Lovato et le célèbre producteur Oak Felder. Était-il la bonne personne pour ça? En écoutant les chansons du plus récent projet de Lovato, il n’en était pas convaincu.

La séance a débuté et on lui a fait écouter quelques-unes des pièces déjà finalisées : « Freak », « 29 » et « Heaven ». L’anxiété s’est rapidement transformée en excitation ; il aidait Demi Lovato à réaliser un album punk rock. « Je n’arrivais pas à croire que je créais la musique que j’aime en compagnie de Demi Lovato!’ confie Jutes. « Je me suis immédiatement senti parfaitement à l’aise. On a quitté cette séance en tant que bons amis. C’est comme si on se connaissait déjà. »

Jutes a été invité à participer à deux autres séances et il était désormais le coauteur de trois des chansons sur HOLY FVCK : « Substance » (dont la vidéo a été visionnée plus de 6 millions de fois sur YouTube), un appel aux armes plein de mécontentement ; « CITY OF ANGELS », une ode à L. A. grivoise et racoleuse ; et « Happy Ending ». Lovato et Jutes sont devenus amis pendant leur collaboration, discutant et s’envoyant des recommandations de chansons. De fil en aiguille, ils ont commencé à se fréquenter.

Le travail de Jutes durant ces séances a stimulé sa créativité. « J’ai été très inspiré par mon travail avec Demi et Oak, je voulais juste créer de la musique qui me fait sentir comme je me sentais avec eux », raconte l’artiste. Il a alors entrepris de travailler sur un nouvel album entouré de fidèles collaborateurs. Ce prochain album comportera principalement des percussions « live » et oscillera entre grunge, punk, rap et un peu de pop.

En ce moment, Jutes s’amuse à créer tout ce qu’il veut, comme en témoignent ses plus récents simples, « Hollywood Hillbilly » et « Out The Door », deux morceaux au rythme déchaîné. « J’ai l’impression que pendant très longtemps, j’ai couru après ce que les gens voulaient entendre », dit-il. « Maintenant, je ne fais que des chansons que moi-même j’écouterais sans arrêt. »