« Ce n’est plus l’album que je pensais sortir », admet Camille Poliquin, l’autrice-compositrice-interprète derrière Kroy.

Kroy, MILITIA, Gerardo Alcaine, photoSaisissant alliage de trip-hop, d’hyperpop et d’électro-pop sombre, MILITIA devait sortir trois ou quatre ans après son prédécesseur, Scavenger (2016), mais en raison d’un certain événement qui a monopolisé nos vies à partir de mars 2020, l’artiste montréalaise a choisi de plancher sur du nouveau matériel.

« Et là, j’ai eu de la difficulté à prioriser mon projet solo », explique celle qui forme la moitié du duo Milk & Bone. « Quand il y a plein de gens qui te sollicitent, c’est tout un processus de se faire confiance, de se dire ‘’J’ai le droit moi aussi, à mon projet’’. Faut se rappeler que c’est correct de prendre du temps pour soi. »

L’artiste de 32 ans propose, avec MILITIA, « le portrait d’une jeune femme imparfaite en évolution ». Plus précisément, Poliquin revient sur les épisodes tourmentés de sa vingtaine – période marquée par plusieurs chocs relationnels, coups de foudre et déceptions amoureuses. « L’album est une rétrospection des 10 ans qui viennent de passer. Et finalement, je me rends compte que je deale toujours de la même manière avec ce qui se passe dans ma vie. J’apprends pas ! Oui, je vieillis, mais j’apprends pas tant que ça… Les chansons parlent des mêmes choses, des mêmes erreurs. »

Quelle est donc la part d’« évolution » dans le portrait de cette jeune femme imparfaite ? « C’est la manière de dealer avec les choses qui est différente », nuance Poliquin. « En tant que personne, je ne change pas. Je suis toujours quelqu’un qui fait énormément confiance aux autres, qui met son coeur sur la table. Souvent, ça ne me sert pas super bien… Je me sens souvent trahie ; c’est comme un pattern qui revient. Par contre, ma manière de vivre avec tout ça, elle a changé. Je réussis à me pardonner là-dedans, dans la trahison et le mensonge. Y’a une humiliation qui est difficile à accepter. »

Camille Poliquin fait énormément confiance aux autres sur le plan musical. Sauf que, dans ce cas-ci, il n’y a pas de trahison. Elle renoue sur ce deuxième album avec son fidèle allié Guillaume Guilbault, auteur-compositeur-interprète et réalisateur qui l’accompagne depuis ses études au cégep. Elle se tourne aussi vers Max-Antoine Poulin Gendron, producteur, compositeur et multi-instrumentiste qui a fait sa marque avec Geoffroy, Marie-Mai et, surtout, Milk & Bone. Camille a aussi regardé à l’extérieur du Québec, en s’alliant au producteur torontois Goldchain et au Californien d’adoption (via Toronto) Casey MQ.

En plus de donner une teinte hip-hop à la structure rythmique de quelques pièces, ces collaborations donnent du coffre à MILITIA. C’est en quelque sorte l’étape de raffinement après la création plus ou moins brute de Poliquin. Les esquisses de certains morceaux ont d’ailleurs pris racine sur le téléphone de l’artiste montréalaise. « Les chansons que je préfère, celles qui feelent le plus authentique, elles arrivent par mémos vocaux. C’est comme un burst créatif qui arrive… Faut que je l’enregistre tout de suite ! »

Kroy, SALTWATER, video

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Ces « explosions » créatives, éparpillées sur huit années de travail, ont fini par guider le choix du titre de l’album. « Chacune des chansons est extrêmement indépendante. Elle est son propre agent, elle a son propre truc à défendre. Bref, l’album, c’est comme douze agents ou douze soldats qui ont chacun quelque chose à défendre. Ils forment chacun une petite milice. »

Certains titres de chansons (AIRFORCE ONE, KILLSWITCH) renvoient également à un champ lexical militaire, tandis que d’autres textes évoquent plutôt la machinerie, les robots, les fantômes. « Je pense qu’à la base, mon champ lexical est assez violent. Et je suis confortable là-dedans. J’aime parler de mes émotions en utilisant des hyperboles sur les robots, les voitures. Je me sens en sécurité… which is weird!» admet-elle, en riant. « En fait, j’me suis rendu compte que les robots, les voitures, les armes, ça me terrifie. Et mon coping mechanism (mécanisme d’adaptation) pour gérer cette peur-là, c’est d’en parler et, donc, de m’en libérer. »

C’est le même mécanisme qui porte Camille Poliquin à extérioriser ses émotions en toute vulnérabilité dans ses chansons. « En tant qu’ado, les moments les plus formateurs, c’est quand j’étais dans le noir et que j’écoutais The Used, My Chemical Romance… J’ai appris à gérer mes émotions avec du darkness. C’est ce qui m’a aidé à naviguer dans les moments les plus tourmentés de l’adolescence. »

Et y’a-t-il un revers de médaille à exploiter cette noirceur ? Est-ce qu’on peut s’enliser dans la tristesse à force de toujours vouloir s’en libérer ? « En fait, moi, je suis confortable là-dedans, dans la tristesse », répond Camille Poliquin. « Est-ce que tout ça est le résultat des vestiges d’un Québec religieux ? Est-ce que je suis prise dans un christian guilt ? Peut-être ! Mais clairement, en moi, j’ai ça… j’ai besoin de souffrir. »