Celle que l’on désigne comme la Reine du country québécois célèbre ses cinquante ans de carrière cet été avec la sortie d’un cinquantième album, collection de nouveaux enregistrements, en duo avec les amis musiciens, réalisée par son non moins célèbre frère cadet, Paul. « Tout le monde me dit que je ne fais pas mon âge, commente Julie Daraîche. Mais moi, je le dis mon âge, pis je suis contente de le dire. Dans mes spectacles, je demande au monde : voulez-vous savoir mon âge ? Pis quand je leur dis que j’ai 79 ans, tout le monde dit : Wow ! »

À 79 ans, Julie Daraîche se produit encore régulièrement ; elle sera évidemment de la 50e édition du Festival western de St-Tite, « dans la grosse salle, on devait faire un seul concert le soir, ils viennent de m’annoncer une supplémentaire dans l’après-midi. J’ai fait souvent St-Tite, mais pas autant que Paul, lui y sera pour une cinquantième année de suite, c’est incroyable ! Au tout début, je me rappelle, il travaillait dans des petits clubs. Tout revolait, tout se cassait là-dedans, c’était des vrais honky tonks ! »

Il y a quelques jours, tenez, Julie Daraîche participait au concert d’adieu de Marie King qui elle, à presque 85 ans, a bel et bien décidé d’accrocher son chapeau de cow-girl. « Y’avait du monde là !, s’emballe Julie Daraîche. Je l’ai trouvée tellement belle ! Elle a chanté plusieurs chansons toute seule. Quand j’étais enfant, je me faisais acheter des disques de Marie King, elle a toujours été une grande influence pour moi, et c’était la première femme d’ici à faire carrière dans le country. Elle était tellement contente de me voir. Je lui ai dit : Je suis toujours ici, j’étais là pour ton 50e anniversaire de carrière, je suis encore ici pour ton dernier spectacle, je suis fière d’être là pour toi. »

« On en vendait des disques en fous, mais on savait pas que des disques d’or à 50 000 copies, ça rapportait de l’argent. On ne voyait jamais passer de chèques dans ce temps-là ; pas grave, aujourd’hui, on se reprend ! »

Julie Daraîche

Julie Daraîche, 1966, au bar Roché Percé, à Montréal. Là où tout a commencé. (Source : Dani Daraîche)

Ça doit être ça, le secret de la musique country : ça garde jeune. La Reine ricane. Ça garde actif, aussi : 50 ans d’amour, le cinquantième album de la Dame, faut le faire. « C’est ça, un par année ! Ah, j’imagine que certaines années on en sortait plus qu’un, comme quand on faisait du K-Tel et qu’on n’était jamais payés ! Marie King aussi en a fait. On en vendait des disques en fous, mais on savait pas que des disques d’or à 50 000 copies, ça rapportait de l’argent. On ne voyait jamais passer de chèques dans ce temps-là ; pas grave, aujourd’hui, on se reprend ! »

Et on donne la chance aux jeunes de prendre leur place. Loin de courtiser les artistes de la pop et de la variété pour son nouvel album, Julie Daraîche a convié sa gang, les artistes country, à collaborer. La famille d’abord, ça va de soi, Paul en duo et à la réalisation, sa fille Dani, sa nièce Katia. Puis Rhéal Leblanc, la star de Bouctouche, Louis Bérubé, un autre Acadien, Patricia Caron, aussi animatrice de l’émission Chanson Via Country, la relève, incarnée par Nicolas Dufresne, un Gaspésien comme elle…

« On était en train de faire l’album, et me semblait qu’il manquait une chanson… Ça m’est venu : une chanson sur mon village, la place où je suis née, en Gaspésie. » Le village de St-François-de-Pabos, aujourd’hui fusionné à Chandler, avec vue sur la Baie-des-Chaleurs. Julie y possède toujours une maison « parce que j’ai besoin d’y aller souvent, pour me ressourcer ». La chanson, elle, s’appelle Saint-François, où je suis née, « une belle petite chanson », dit celle qui admet avoir peu composé dans sa carrière « parce qu’on avait un compositeur formidable dans la famille, mon frère Paul ».

Pabos — Montréal

Gaspésie, terre promise du country québécois ! « Parce qu’on n’avait juste ça, explique Julie Daraîche. Quand on était jeunes, on avait des radios à batteries ; ces fichues radios, ça pognait pas grand-chose, et en plus si la température était mauvaise… Mais on attrapait un poste de Nashville ! On était charmés. Merle Haggard, Johnny Cash, Buck Owens, Hank Williams. Les mélodies, les chansons, c’était beau. » À la même époque, le country québécois était déjà bien en selle grâce au Soldat Lebrun, Paul Brunelle, Marcel Martel « qu’on adorait. On allait le voir quand il venait en Gaspésie, une fois par année. On ramassait nos sous toute l’année, ça coûtait 50 cennes entrer. »

Paul, Julie et ses enfants ont quitté la Gaspésie au milieu des années 60 pour trouver du travail à Montréal. « Quand j’ai commencé ma carrière, j’étais serveuse au bar Le Rocher Percé », rue Rachel, devenu ensuite le bar Au Pied du quai quand Julie, son frère et son conjoint Bernard Duguay ont repris le commerce, aujourd’hui les Verres Stérilisés. « Les frères Duguay, ils travaillaient comme portiers. Les propriétaires, Monsieur Desfossés et Monsieur St-Onge, venaient de Carleton-sur-Mer, ils aimaient ça, le country. C’est pour la fête d’un des propriétaires que j’ai chanté pour la première fois. Les Gaspésiens s’étaient réunis dans le bar, on avait fêté jusqu’à 5h du matin. »

Sa première chanson? Mister John B de Sylvie Vartan (la Sloop John B des Beach Boys). « Et Si le chapeau te fait, de Daniel Guérard. Les frères Duguay venaient m’accompagner, guitare et violon. C’est resté de même jusqu’à ce qu’un jour le patron me dit : Écoute Julie, moi, j’aimerais mieux te voir sur le stage que derrière le bar, ça va attirer plus de monde. Comment ça, je ne suis pas une chanteuse, moi ? En plus, j’étais une bonne barmaid. Mais il m’a répondu : Oui, mais t’as vu comment le monde t’aime ? Alors on a formé notre trio », Julie et les Frères Duguay.

C’est avec les Frères Duguay – dont Bernard, son amoureux pendant sept ans, décédé au printemps dernier – que Julie a enregistré son premier « long-jeu et obtenu son premier disque d’or, précise-t-elle. J’ai fait carrière avec eux de 1967 à 1977, c’était de bons chanteurs. »

Une battante

La vie d’artiste country au Québec dans les années 70 n’était pas de tout repos, et encore moins pour une femme, assure Julie Daraîche. « Surtout moi, j’avais des enfants. J’ai fait ma carrière tout en élevant mes enfants. Quand le succès est arrivé, j’ai dû jouer partout en province. Je m’installais un moment dans une ville pour donner des concerts dans la région, puis ensuite dans une autre, mais j’avais toujours mon logement à Rosemont. Quand l’école finissait le vendredi après-midi, je partais avec les enfants donner mes concerts, jusqu’au dimanche soir. Ils dormaient dans l’auto en revenant à Montréal, puis le lundi matin, je les envoyais à l’école. »

« C’était dur dans ces années-là, surtout avec toute la dope qui circulait. J’avais de la misère avec ça, je voyais des gens qui en prenaient et je ne voulais pas de cette vie-là pour eux » qui ont suivi dans les pas de leur mère, dans la musique country, sa fille chanteuse, son fils qui l’a accompagné à la batterie pendant quinze ans. « Je leur ai expliqué que c’est pas comme ça que ça marche, que moi, j’avais beau vivre là-dedans, je n’en ai jamais pris, jamais touché à ça. »

De ces cinquante ans de chansons, Julie Daraîche n’en garde cependant que les beaux souvenirs. « Mon plus beau ? Paul et moi au premier gala de l’ADISQ, recevant le premier trophée pour l’album country, ça, c’est un beau souvenir. Aussi, d’avoir chanté dans la première grande salle de spectacles chez nous, en Gaspésie. C’était mon école, quand j’étais petite. » Et les tournées aux États-Unis durant les années 70 ? « Avec Marcel Martel et sa femme, et nos danseurs country, les Frères Grenier. On allait jusqu’au Connecticut. Au Massachusetts, le country ça pognait, c’était pas croyable. Quand on chantait Un Verre sur la table, tout le monde connaissait les paroles… »

À l’aube d’entamer sa propre tournée d’adieux en 2018, la Reine du country se dit aujourd’hui sereine et heureuse. « Très ! J’ai eu des maris qui sont décédés, aujourd’hui, j’ai un ami qui reste avec moi, un ange. J’ai mes enfants, j’ai même des arrière-petits-enfants, on se voit souvent. Je chante, je voyage, je fais la belle vie. Je suis une femme comblée. »