Si l’on se fie aux Nations Unies, 2016 serait l’année internationale des légumineuses. Nourrissant, peut-être, mais pas très excitant du point de vue artistique, vous en conviendrez. On préfère donc vous rappeler que 2016 marque également la deuxième moitié de ce qui a été désigné comme « L’année Jean Derome » par nul autre que… Jean Derome lui-même. Après avoir obtenu une bourse de carrière du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ), le saxophoniste et flûtiste, compositeur et improvisateur chevronné, a décidé de célébrer son 60e anniversaire de naissance en revenant sur quatre décennies de musiques audacieuses.

L’idée était d’offrir au public une petite partie de son imposant répertoire lors d’une série de concerts échelonnés sur 12 mois, des shows conçus pour petits et grands ensembles, qui balanceraient entre improvisations et interprétations, créations et reprises. L’année Derome serait aussi marquée par un documentaire, « Derome ou les Turbulences Musicales », une expo de photos et un disque, Musiques de Chambre 1992-2012.

« Dans le genre de musique que je pratique, une première mondiale, c’est aussi souvent une dernière mondiale! »

« J’ai parfois l’impression d’être passé directement de la relève à la bourse de carrière », lance le musicien, qui a fait ses débuts professionnels au début des années 1970. « Je trouvais ça intéressant de faire le point et surtout de pouvoir mesurer l’évolution de ma musique au fil des ans. Mais ce qui était certain, c’est que je ne voulais pas faire de rétrospective classique: j’aime l’idée que si on ne l’indiquait pas clairement, le public ne saurait pas vraiment si telle ou telle pièce est ancienne ou récente. »

Jean Derome

Photo: Martin Morissette

Voilà une belle façon de décrire cette fameuse « musique actuelle » à laquelle le nom de Jean Derome est associé depuis si longtemps. Elle puise à tous les genres et toutes les époques et son audace et son absence de codes précis la rendent aussi intemporelle qu’insaisissable. « C’est une musique parfaite pour moi, car elle est une espèce de zone grise permanente, poursuit Derome. C’est une musique de flexibilité, de mobilité: on peut emprunter au jazz, au folklore, au rock, à la musique contemporaine. »

Sans surprise, c’est à Victoriaville qu’a débuté l’Année Derome en mai 2015. À l’invitation du fondateur et programmateur du Festival de Musique Actuelle, Michel Levasseur, Jean Derome s’est amené dans les Bois-Francs avec Résistances, une création électrisante réunissant 20 musiciens (pour la plupart des amis et complices de l’étiquette Ambiances Magnétiques, cofondée il y a une trentaine d’années par Derome, Joane Hétu René Lussier naviguant entre improvisation et composition, sous la houlette du chef. Inspiré de Canot Camping, un autre projet pour grand ensemble, ce spectacle, malgré son ampleur, semblait être destiné à demeurer unique, comme c’est souvent le cas avec les événements de musique actuelle.

« Dans le genre de musique que je pratique, une première mondiale, c’est aussi souvent une dernière mondiale! » lance Derome avec un petit rire jaune. C’est un autre avantage de cette année de célébrations: faire revivre des trucs qui n’ont existé qu’une seule fois, revisiter des pièces qui n’avaient pas dit leur dernier mot! »

Multi-instrumentiste, Derome est surtout associé au saxophone, son instrument de prédilection depuis maintenant plusieurs années «  J’ai passé la première moitié de ma vie de musicien en jouant surtout de la flûte et la deuxième en jouant surtout du saxophone. Si on me demande ce que je suis, je réponds généralement « musicien » ou saxophoniste. »

Même s’il semble faire corps avec son instrument, Jean Derome lui est souvent infidèle: en concert, il n’est pas rare de le voir empoigner l’un des nombreux appeaux de chasse qu’il collectionne depuis des années, un instrument jouet ou simplement un objet quelconque dont il apprécie la sonorité. On l’a même déjà vu faire un solo de sac de chips dans un show de danse… « Quand j’ai découvert les appeaux et sifflets, j’ai pu étendre mon langage musical. Je sais que pour le public, il y a quelque chose de presque comique à me voir jouer de ces objets bizarres, mais pour moi, ils sont simplement un moyen de faire sortir les sons que j’ai en tête. »

S’il gagne sa vie en multipliant les compositions de commande pour le cinéma, le théâtre, la danse et la télé (il n’hésite pas à se qualifier de working musician), Jean Derome demeure un explorateur dans l’âme, prêt à se lancer à corps perdu dans l’inconnu. Il continue de pratiquer un art exigeant et résolument anti-commercial, destiné à un public avide de surprises. Par le passé, Jean Derome a déjà décrit sa pratique comme un véritable sacerdoce. Sa carrière ne serait-elle qu’un long parcours du combattant?

«  C’est peut-être un combat, mais je ne me suis jamais battu contre des gens. Contre moi-même, peut-être, contre la tentation de devenir aigri ou blasé. Des fois je me dis que je pourrais prendre ma retraite, mais ça ne dure jamais longtemps parce plein de nouveaux projets débarquent et je suis incapable de dire non. Un pommier, ça fait des pommes. Un musicien, ça fait de la musique. C’est pas plus compliqué que ça! »