Octobre 2004. Au moment où il effectue des retouches à un recueil de poésie, Ivan Bielinski (rebaptisé Ivy) découvre une discipline qui changera sa vie : le slam. Né d’une idée du poète américain Marc Kelly Smith, la discipline voit le jour il y a 26 ans et se veut à la base un concours oratoire où s’affrontent des poètes. Préconisant la liberté d’expression, le mouvement met néanmoins de l’avant quelques règles minimales et flexibles : ne pas utiliser d’accessoires ou de décorations, livrer des textes courts (approximativement trois minutes), a capella, punchés, construits et qui ne laissent pas de place à l’improvisation.

« La musique, c’est mon amour, mais les mots, c’est toute ma vie. »[/

Séduit par l’ambiance électrisante lors de ces rassemblements de poètes, l’homme saisit alors toute la puissance du slam. « Ce fut un choc. Avant ça, j’écrivais de la poésie d’un côté et je faisais de la musique style chansonnier de l’autre. J’ai vu que le slam était simplement une démarche de poésie qui a connu un détour, un simple tournant et qui permet un échange vivant entre les poètes et le public. Puis, j’ai entendu Grand Corps Malade. Ça permettait de rassembler la poésie et la chanson et ça me plaisait grandement. L’enjeu du slam n’était pas le même que celui de la poésie plus classique dans sa forme. Tu devais rejoindre les gens de façon plus directe. C’est l’art de placer le public au cœur de la poésie et de l’émouvoir. Ça m’allumait beaucoup, » avance-t-il, un trémolo dans la voix.

Tous les chemins mènent au slam
Après avoir livré un obscur premier album solo de facture folk-jazz en 1999 et fait revivre son projet folk-trash Ivy et Reggie en 2002, notre homme décide alors de réorienter son tir. Slamérica, œuvre slam foisonnante, voit le jour en 2008. L’album est accompagné d’un livre. Débarqué dans les bacs plus tôt cette année, Hors des sentiers battus réaffirme la force de frappe d’Ivy. Épaulé une fois de plus par Philippe Brault (Random Recipe, Pierre Lapointe), l’artiste propose un opus à l’habillage sonore plus étoffé, aux styles plus variés et aux textes à la fois plus personnels et universels. « Après la première tournée, j’avais accumulé assez de matériel pour faire un album, mais je ne voulais pas faire un autre Slamérica. Étant critique de ce que je fais, j’ai décidé de laisser le temps passer. Depuis le début du projet, je caressais l’idée d’avoir un quatuor à cordes. Je pensais que ça allait être cool! Musicalement, j’avais envie d’aller plus loin que Slamérica. D’une manière très pragmatique, j’ai eu plus de moyens pour concevoir Hors des sentiers battus. J’ai pu engager des musiciens. Il y a donc beaucoup de chansons avec de la vraie batterie. Avant, je ne pouvais pas me le permettre. Tout était programmé. Avec le temps, j’ai développé un besoin de me faire comprendre plus facilement et cet album en est le résultat, » affirme le volubile poète.

Une scène encore verte
Si plusieurs journalistes et une poignée de curieux se sont entichés de slam au cours des dernières années, un problème majeur demeure : celui de la diffusion, particulièrement en territoire québécois. Le fondateur de Slamontréal et de la Ligue québécoise de slam explique : « Ici, le réseau n’est pas développé et ça reste difficile de convaincre les gens de s’impliquer, alors on n’a pas le choix de faire les choses soi-même. On s’accroche. Il faut trouver des façons ingénieuses de convaincre les gens de venir assister aux soirées de slam. Ça demeure tout un travail, mais on est récompensés parce que les gens sont toujours étonnés du résultat, » déclare l’admirateur de Jacques Brel, Richard Desjardins, Corbeau et du poète américain Walt Whitman.

Malgré les embûches, le slam continue d’ouvrir une multitude de portes à notre amoureux des mots dont celles des écoles primaires et secondaires. Depuis quelque temps, Ivy prend plaisir à initier des étudiants à la conception poétique. Ce dernier croit que l’art niche du slam continuera à se développer et à attirer l’attention de nombreux amateurs de poésie. « Je garde espoir que ce marché progressera ici éventuellement. En France, il se développe bien, mais ça demeure difficile de gagner sa vie en ne vendant que des disques et des livres. Ce sont les spectacles qui viennent me sauver. Malgré tout, ça reste ardu. Les bookeurs de salles sont interloqués. Ils ne savent pas quoi faire avec les slameurs. Aujourd’hui, tout doit être étiqueté et doit rentrer dans un créneau particulier. Les gens de l’industrie ont encore de la difficulté à trouver qui je suis exactement, dans quelle catégorie me classer. À ce jour, les slameurs restent des bibittes! » s’exclame-t-il.

Tisser des liens ici comme ailleurs
En plus de préparer un événement d’importance qui aura lieu au mois de février (et dont il garde jalousement le secret), le vétéran de la scène poursuit ses ateliers de poésie dans les écoles en plus de trimballer son slam sur les routes québécoises et étrangères. Un arrêt prévu : Nantes. « Le slam a beaucoup débordé là-bas. C’est moins extra-terrestre. Mon dernier disque fait son chemin aussi. Ça vaut la peine d’aller voir si on peut y développer ma carrière. Je ne voulais pas aller en France avec Slamérica parce que je trouvais que l’album tournait trop sur une thématique québécoise. Je me demandais si ça allait les intéresser. Aujourd’hui, je veux voir la réaction des gens. Tu vois, ce que j’aime c’est de rassembler les poètes, tisser des liens, les encourager à poursuivre. Et écrire, bien entendu. La musique, c’est mon amour, mais les mots, c’est toute ma vie. »