L’amour revêt tous les vêtements, du scaphandre aux confettis. Sur Petite plage, les mots d’Ingrid St-Pierre se posent sur les épousailles et le « nous » du quotidien, l’amour d’une mère et l’amour de tout ce qui vieillit ou n’a pas d’âge, le premier rendez-vous et l’amour parti pour toujours, l’amour de soi lorsqu’il ne tient qu’à un fil.

Ingird St-Pierre, Petit Plage« Je me suis donné le droit d’aller là où je n’étais jamais allée », dit Ingrid St-Pierre, solide. Ancrée dans le présent et le cœur partout où les émotions vivent encore, elle est parée à livrer son quatrième album en carrière, un recueil d’histoires humaines teintées d’un groove qu’on ne lui connaissait pas et qu’elle porte comme un vêtement taillé sur mesure.

« J’ai l’impression que beaucoup de choses ont changé artistiquement et humainement, j’ai eu une bonne prise de conscience par rapport à beaucoup de choses dans ma vie. Je suis plus libre et ça parait dans les arrangements et dans les textes », affirme-t-elle sans broncher. Si on sent sa voix plus « groundée », c’est qu’elle est « plus groundée dans la vie », croit-elle.

Ses grandes références artistiques demeurent des exemples d’univers apaisants et oniriques comme ceux de Sufjan Stevens et Bon Iver, mais le champ stylistique est grand et il faut parfois s’égarer pour mieux rentrer ensuite. « J’aime la grande liberté de Regina Spektor, par exemple, affirme l’auteure-compositrice. Même si c’est une fille au piano comme moi et qu’elle fait souvent des balades, elle opte pour d’autres tempos sans que ce soit dénaturé. C’est là que j’ai décidé d’aller. »

L’album n’a pas été conçu dans l’urgence de faire un album, mais plus parce qu’il y avait des choses à dire. « Les histoires sont plus importantes que les chansons », dit Ingrid en soutenant qu’elle était certaine qu’il n’y en aurait pas, d’album. J’ai tellement douté beaucoup », se souvient-elle.

Le camp d’écriture Kenekt Québec de la SOCAN fait partie des déclencheurs importants qui ont contribué à l’écriture de cet album. « Le côté très minutieux et peaufiné est toujours présent, mais la liberté d’écrire sans barrière, sans restriction et sans crainte; c’est devenu encore plus important là-bas. J’ai aussi réalisé que les seules barrières artistiques que j’avais étaient celles que je me donnais par souci de me perdre, ou de déroger de ce que les gens attendent de moi. »

C’est une autre technique d’écriture qui s’est emparée d’elle ensuite. « J’avais l’impression que les chansons existaient toutes déjà, qu’il ne suffisait que de les laisser émerger, mentionne l’artiste. C’est aussi un album que j’ai écrit dans ma tête », assure-t-elle. Et comment écrit-on sans écrire? « En devenant maman, je ne pouvais plus me vautrer devant ma page blanche dans des cafés. J’ai puisé l’inspiration partout dans mon quotidien, j’ai écrit en accouchant, lance-t-elle en riant. Mais à partir du moment où je m’assoyais au piano, tout sortait tout seul. »

Ingrid St-Pierre avoue s’être mis beaucoup de pression dans le passé « Personne ne me demandait d’être une mère parfaite, une artiste parfaite. Mais ça venait de moi. Et en écrivant mes chansons, je me demandais “Est-ce qu’on a vraiment besoin d’une chanson de plus dans l’univers musical? Pourquoi je vais rajouter une toune de plus?” Au bout du compte, chaque chanson de cet album est faite dans un but totalement égoïste. » Les deux dernières années lui ont aussi appris à se choisir et à faire ce qu’elle peut. « Mon fils ne dort jamais. Ça fait deux ans que je n’ai pas dormi », souffle-t-elle en riant.

La chanson La lumineuse (lettre à mon fils) vient rejoindre les rangs des grandes chansons de l’auteure-compositrice, celles qui mouillent les yeux même après plusieurs écoutes. « Je l’ai écrite pour mon fils, oui, mais un peu pour moi. C’est une chanson maternelle, mais une chanson de bienveillance. Comme quoi on peut se souhaiter des belles affaires à soi également. Petite plage, c’est vraiment ça. Je me suis prise dans mes bras. »

Au fil de la conversation, je confie à Ingrid que 63 rue Leman, une pièce de son album Tokyo (2015) a accompagné avec émotion un moment familial particulier, le jour où mes grands-parents se sont départis de leur maison. Cette chanson s’écoute comme un film. On peut presque voir et toucher les murs et le papier peint. Les élans d’écriture d’Ingrid sont à ce point précis. « Ça me touche tellement quand on me dit ça. Quand je fais une chanson en spectacle, dans ma tête, je pèse sur play et le film commence, je vois les mêmes images. Chaque chanson est un lieu, une maison que je vais constamment habiter. »

Rencontrez les gens, ça survient après les spectacles avec des petites histoires touchantes, mais Ingrid St-Pierre croit qu’il est important de provoquer la communion entre les générations, les rencontres.

« Quand mon ami Khoa Lê m’a dit ”je m’en vais au Vietnam et je vais prendre des images pour ton clip” (Les joaillers), je lui ai tout de suite dit ”Si tu vas au Vietnam, j’y vais”. Le clip n’est pas stagé, c’est vraiment un endroit où les gens se rendent pour danser à 4h du matin. Je me suis mêlée à eux, simplement. »

Petite plage se dresse comme une lumière d’hiver, un réverbère qui ne s’éteint même pas quand le jour se lève. « C’est un album positif et je veux qu’on s’en imprègne. C’est tellement facile de s’imprégner des choses négatives, mais avec le beau, c’est plus tough », dit Ingrid. On va travailler là-dessus.