Ian Kelly est un homme heureux. C’est même la première chose qu’on s’était dite à l’écoute de son cinquième album, Superfolk, lors de son lancement en mars dernier. Enregistré après la naissance de son troisième enfant, Superfolk est un disque plein d’espoir et de lumière, réalisé par un homme qui ne boude pas son plaisir. Malgré ses dispositions naturelles pour les textes déprimants, le chanteur québécois semblait avoir trouvé la paix intérieure et n’hésitait pas à consacrer la majorité des chansons de son nouveau disque aux joies de la vie conjugale.

« C’est vrai que l’amour heureux est un sujet relativement nouveau pour moi, mais il fallait bien que j’équilibre un peu mes chansons lourdes sur le sort de la planète! », explique Ian Kelly. « Et puis même si ça va généralement mal, il y a plein de belles choses à célébrer dans le monde. Tout ce que je souhaite, c’est que les gens sortent de mon spectacle avec un sourire et le cœur léger… »

Ian KellyC’est dans les Laurentides, à Morin-Heights plus particulièrement, que l’auteur de Montréal a trouvé son bonheur. À un peu plus d’une heure de la grande ville où il a passé le plus clair de sa vie, Ian a acquis une maison où il pourrait installer sa petite famille, qui commençait à se sentir à l’étroit en ville: « C’est l’endroit parfait pour moi. Juste à l’extérieur du village, mais à portée d’Internet haute vitesse », précise-t-il en riant. «  Je ne suis pas complètement isolé du monde, tu sais; le trottoir s’arrête juste avant ma maison, mais je peux quand même marcher au dépanneur s’il me manque du lait! »

La maison de Morin-Heights a surtout permis à Ian Kelly de concrétiser un rêve qu’il caressait depuis longtemps: celui de construire un vrai studio où il pourrait créer ses albums de A à Z, mais aussi accueillir d’autres artistes en quête d’un lieu inspirant pour travailler. « Avec la technologie d’aujourd’hui, tu peux enregistrer n’importe où, c’est sûr, mais je voulais créer une pièce avec du « room » où on peut installer le micro à plus d’un pouce de la face du chanteur. Et puis il y avait l’idée de créer quelque chose de mes mains, selon mes propres standards: je me revois encore, il y a tout juste deux ans, alors que je pelletais du gravier pour installer les fondations. Aujourd’hui, j’ai un studio professionnel à 30 secondes de mon salon qui me permet de rester près de ma famille quand je travaille… »

Ian Kelly n’est d’ailleurs pas le premier artiste à installer ses pénates dans le coin. Éloi Painchaud et Jorane ont leur propre studio à quelques minutes de chez lui et cette proximité a déjà mené à une belle collaboration. Au moment de créer la version anglophone de la bande originale du film La Guerre des Tuques, Éloi a pensé à son voisin pour traduire la chanson thème du film. Ian s’est exécuté avec plaisir, sans savoir que la chanteuse qui allait l’interpréter n’était nulle autre qu’une certaine Céline Dion. « Mettons que « j’ai écrit pour Céline », ça se place bien dans un CV, mais je n’ai pas encore vu de chèque de droits d’auteur, alors je ne peux pas te dire si c’était une job payante », lance le chanteur en rigolant. S’imagine-t-il écrire pour les autres sur une base régulière? « Ça ne serait jamais mon business principal; je le fais quand on me le demande, comme c’est arrivé avec Térez Montcalm, par exemple. Bizarrement, comme je suis auteur-compositeur et que je me suffis à moi-même, mon premier réflexe n’est jamais de penser que d’autres personnes pourraient avoir besoin de chansons, et encore moins des miennes! »

« Je ne sais pas si c’est parce que je suis plus exigeant lorsque j’écris en français, mais au final, il n’y a qu’une chose qui compte: il faut que la toune soit bonne. »

Si Ian Kelly semblait si content au moment de la sortie du disque, c’est aussi parce que le Superfolk qu’on connaît aujourd’hui a bien failli ne jamais voir le jour. On se rappellera que le chanteur avait défrayé la manchette en début d’année en annonçant sur les réseaux sociaux que le disque dur contenant toutes les chansons du disque, ainsi que la copie de sauvegarde, avaient été dérobés dans la voiture dont il avait oublié de remonter les fenêtres. L’affaire a fait jaser pendant quelques jours, au point où certaines mauvaises langues ont même cru qu’il ne s’agissait que d’un canular destiné à créer un peu de publicité autour de la sortie de l’album. Pourtant, il y avait bien eu vol; mais grâce au père du malfaiteur, Ian a pu récupérer ses enregistrements sans trop de mal.

« Au final, cette expérience a surtout été positive, explique Ian. C’est sûr, j’ai mal filé pendant un jour ou deux, mais la réaction qui a suivi l’événement a été complètement renversante. J’arrivais au bout de ma marge de crédit et je stressais un peu à l’idée de recommencer le disque et je recevais des appels de musiciens qui voulaient venir jouer gratuitement pour que je le refasse! J’ai eu droit à des articles dans les journaux d’ici et du monde entier; j’ai ressenti beaucoup d’empathie à mon endroit et ça m’a un peu réconcilié avec l’humain. »

Même si le larcin a été commis dans une rue du quartier Parc Extension, le nouveau campagnard n’est pas du genre à dire du mal de la ville qui l’a vu grandir. Au contraire: Montréal, le joyeux single qui a propulsé l’album, est une véritable lettre d’amour à la Métropole « J’espère juste que les gens ne seront pas trop tannés de l’entendre l’an prochain parce je trouve qu’elle serait parfaite pour le 375e anniversaire de Montréal! » Avis au maire Coderre: voilà le genre d’hymne qui pourrait rallier toute la population de l’île! Avec une forte présence sur les ondes radio, c’est aussi l’un des plus gros succès de la carrière de Ian, qui, bien qu’il pratique plus souvent la langue de Richler que celle de Tremblay, n’en est pourtant pas à sa première chanson en français.

Ian Kelly« Je sais qu’au Québec, tu as beaucoup plus de chances de tourner en radio avec une chanson en français, parce lorsque tu chantes en anglais, tu es en compétition avec Coldplay et Rihanna. Mais je n’ai certainement pas écrit Montréal pour des raisons commerciales, précise Kelly. Au départ, je voulais que l’album soit moitié franco moitié anglo, mais en réécoutant certaines chansons en français, je trouvais qu’elles étaient plus faibles. Je ne sais pas si c’est parce que je suis plus exigeant lorsque j’écris en français, mais au final, il n’y a qu’une chose qui compte: il faut que la toune soit bonne. » Montréal est certainement l’une des très bonnes chansons de Superfolk, où l’on retrouve aussi la jolie Comme Un Loup qui, elle, évoque plutôt sa nouvelle vie de campagne que le monde urbain qu’il a quitté.

Aujourd’hui, fort du succès de son album, Ian Kelly sillonne les routes du Québec avec un spectacle en solo qu’il décrit comme un retour à la source. « C’est surtout une tournée qui me permet de jouer dans des petites salles plus intimes. D’abord parce que j’aime la proximité avec le public, mais aussi parce que je préfère de loin une salle de 200 places complètement pleine à une salle de 600 à moitié vide! » Ian offre également aux spectateurs l’occasion de repartir avec une clé USB contenant un enregistrement du concert auquel ils viennent d’assister, une liberté qu’il peut se permettre maintenant qu’il est complètement indépendant. « J’adore ma liberté et je peux te dire que les décisions se prennent beaucoup plus rapidement aujourd’hui, confirme le principal intéressé. Cela dit, je ne regrette pas du tout les années que j’ai passées avec un label: sans Audiogram, je ne serais probablement pas en train de ta parler de ma musique aujourd’hui. »

Au-delà de la tournée, Ian Kelly a quelques projets qui risquent de le garder occupé au cours de la prochaine année. Il devrait passer une partie de l’hiver à composer la bande originale du prochain film du réalisateur Marc-André Lavoie (Bluff, Y’en Aura Pas de Facile et Hot Dog), qui a aussi signé le clip de Montréal. Et l’été prochain, si tout va bien, on se rendra à Morin-Heights pour assister à la première édition d’un festival qu’il est en train de mettre sur pied en compagnie de son ami Éloi Painchaud et qui devrait s’appeler… Superfolk. « J’ai des projets plein la tête et beaucoup d’ambitions, c’est clair, mais l’argent n’en fait pas partie, précise Kelly. Tous les jours, je me considère chanceux de vivre de ma musique, mais tout ce que je veux, c’est faire des choses qui me font tripper et qui font du bien aux gens. »



Le néologisme anglais « lifer » peut signifier une personne condamnée à al prison à vie (life sentence) ou une personne qui se dévoue entièrement à son seul métier.

Survivre dans l’industrie canadienne de la musique peut parfois ressembler à une sentence de prison à vie que l’on s’impose à soi-même, mais nous avons interviewé pour vous quatre auteurs-compositeurs canadiens qui représentent plutôt fièrement la deuxième définition du terme « lifer ».

Deux d’entre eux, Lee Aaron et Ron Hawkins, ont connu des périodes de succès commercial, tandis que Kyp Harness et David Leask ont toujours gagné leur vie, et l’immense respect de leurs pairs, en marge des frontières commerciales.

Tous les quatre comptent plus de 20 années d’expérience en studio et sur scène. Nous avons donc voulu savoir comment ils parviennent à demeurer créatifs, productifs et économiquement viables.

David Leask

David LeaskAvant d’immigrer au Canada au début des années 90, l’auteur-compositeur-interprète écossais David Leask était conseiller financier. « J’aurais dû me donner le conseil financier suivant : “ne fait pas carrière en musique” », dit-il en riant.

Sa passion pour la création musicale et la scène lui ont toutefois permis de jouir d’une carrière de plus de 20 ans et cinq albums depuis son premier, 100 Camels, paru en 1996. Il a été finaliste aux prix JUNOS et a remporté les honneurs dans de nombreux concours internationaux de création musicale.

Lorsqu’il prend un léger recul sur cette année anniversaire, Leask déclare : « Je suis en paix avec ce que j’ai lancé sur chacun de mes albums, mais je suis plutôt un type qui regarde vers l’avant. »

Son nouvel album —The Clarke Hall Sessions , enregistré en spectacle à Port Credit, Ontario, en compagnie de Justin Abedin et Sean O’Connor — a été très bien reçu. Il comprend cinq chansons créées à Nashville, dont trois l’ont été à la Maison SOCAN de cette ville. « Working On Faith » est le fruit d’une collaboration avec Bill DiLuigi et elle a été enregistrée par un jeune artiste américain pour une maison de disque gospel très en vue, et ses autres collaborateurs ont été Daryl Burgess, Tim Taylor et Tom Jutz, pour ne nommer que ceux-là. « Ce fut toute une expérience de me rendre là-bas et de collaborer avec des auteurs de si grand talent », raconte Leask au sujet de son passage à la Maison SOCAN.

Ce n’était d’ailleurs pas son premier voyage de création à Nashville. « J’ai longtemps essayé de n’être qu’un auteur-compositeur professionnel », se remémore l’artiste. « Je n’ai toutefois jamais arrêté de donner des spectacles. C’est mon principal gagne-pain, alors je continuais à monter sur scène pour jouer mes anciennes chansons et en tester de nouvelles. »

« Ces deux aspects, créer et jouer devant un public, sont importants pour moi. L’énergie que l’on reçoit quand on est sur scène est la confirmation que ce métier vaut la peine d’être fait. C’est beaucoup plus difficile si vous êtes un créateur, seul dans son sous-sol à essayer d’écrire un “hit”. »

Leask a également collaboré avec Suzie Vinnick et Jay Semko, et ses chansons ont été endisquées par Vinnick, Alex Runions, Mandy Ringdal, Twin Kennedy, et de nombreux autres.

« Mon engagement envers la musique n’a jamais diminué », souligne l’homme. « C’est une route parsemée de vallons et de pics, mais j’ai toujours trouvé le carburant créatif dont j’avais besoin. Les choses changent au fil du temps, au fur et à mesure que l’on évolue en tant qu’artiste et en tant que personne. »

Kyp Harness

Kyp Harness

Le folk-rockeur torontois Kyp Harness est souvent décrit comme le créateur des créateurs en raison de l’immense respect que lui vouent ses pairs. Parmi les gens qui l’ont encensé haut et fort, on retrouve d’aussi grands noms que Ron Sexsmith (qui a d’ailleurs repris certaines de ses chansons), Daniel Lanois, Bob Wiseman et Mary Margaret O’Hara.

Bien qu’il n’ait jamais eu de succès commercial significatif, Harness a su tirer son épingle du jeu et sa carrière sur disque vient tout juste de passer le cap des 25 ans. « Je ne pense pas à ça d’habitude, c’est simplement ce que je fais chaque jour », dit-il. « Mais un jour on se réveille en se disant “Putain, mais j’ai sorti 13 albums?!” »

Son corpus a récemment accueilli un solide nouvel album, Stoplight Moon. « Je crois que chacun de mes albums contient certains bons éléments », poursuit l’artiste. « Je ne dis pas que tout ce que je touche se transforme en or, mais j’aime ma musique, donc on peut dire que j’en suis fier. »
Les impératifs commerciaux n’ont jamais été une motivation pour Kyp Harness. « Un artiste crée de l’art, car c’est ce que les artistes font. Vous n’avez aucune idée si votre projet demeurera marginal, mais chaque jour, vous créez, et c’est un acte de foi. Je n’ai pas d’autre choix que de créer, alors j’y vais à fond?! »

Harness admet volontiers qu’il « y a eu des périodes sombres, de doute et de remise en question, mais je suis une de ces personnes pour qui ce métier a toujours été une vocation. En fin de compte, il ne faut pas créer en pensant au résultat final. »

« Si vous écrivez un épisode d’une télésérie comme Who’s the Boss, vous devez respecter un certain cadre, et les redevances suivront. J’essaie de créer quelque chose de plus noble et de différent. Je fais ça depuis si longtemps que ça n’aurait aucun bon sens de tenter de faire autre chose que d’essayer de faire la meilleure version possible de ce que je sais faire. »

Harness a attisé sa créativité en écrivant sous d’autres formes. Il a été l’auteur d’une bande dessinée intitulée Mortimer The Slug et des critiques de ses héros comiques Charlie Chaplin et Laurel et Hardy ont toutes deux été publiées par des éditeurs académiques.

Une de ses nouvelles, Wigford Rememberies, a récemment été publiée pour la première fois chez Harbour Publishing. « Pendant toutes ces années, j’ai écrit en parallèle avec la musique, et c’est la première à être acceptée. Mes séances de lecture à Toronto et Ottawa se sont bien déroulées et j’adore ne pas avoir à trimballer ma guitare avec moi tout le temps?! »

Quoi qu’il en soit, la musique demeure sa principale passion, et son aspect collaboratif est une source d’énergie pour Kyp Harness. « J’adore le sentiment de vitalité et de spontanéité que je ressens lorsque je joue avec d’autres gens », confie l’artiste. « Il se passe des choses imprévisibles. Vos amis musiciens lui donnent vie, et on a envie de faire de la musique ne serait-ce que pour cette sensation-là. »

Lee Aaron

Lee Aaron

La carrière de Lee Aaron, connue principalement comme chanteuse et auteure-compositrice hard rock, remonte au début des années 80. Autrefois appelée « La Reine du Métal », elle a connu un immense succès commercial au Canada, en Europe et au Japon en plus d’être 10 fois finaliste aux prix JUNOS, tandis que son album Bodyrock, lancé en 1989, a été certifié double platine.

Elle a dû surmonter des turbulences commerciales et financières ­ incluant une faillite ­ pour ensuite se rebâtir une crédibilité grâce à des explorations dans le domaine du jazz, du blues et de l’alt-rock, avec son projet 2preciious, notamment. Elle est maintenant revenue à ses racines hard rock et son album Fire and Gasoline a été bien accueilli.

« Je suis désormais dévouée à la création musicale, pour les bonnes raisons », explique Lee Aaron. « J’écris de la musique pour la simple et bonne raison que j’aime ça. »

Elle avoue d’emblée qu’elle a déjà remis son choix de carrière en question. « C’est un domaine qui est très dur, et tout le monde qui veut vraiment y faire une longue carrière se casse la gueule un jour ou l’autre », dit-elle avec la sagesse de l’expérience. « On s’expose volontairement à la critique, à l’incompréhension et au rejet par une industrie qui ne sait rien à propos de vous personnellement, alors il faut vraiment avoir la couenne très dure. »

Lee Aaron est encore aujourd’hui passionnée par la création musicale. « Le processus créatif de partir d’une idée et de la transformer en une chanson, puis d’aller en studio où des musiciens lui donnent vie est incroyablement excitante », affirme l’artiste. « Pour moi, la production d’une chanson est une peu comme créer une toile sonore avec différentes couches de couleurs, de textures, de mouvements et d’espace et de la peaufiner jusqu’à ce qu’elle vous touche directement dans l’âme. »

Pour Lee Aaron, l’approche « faites-le vous même » est une source d’énergie. « C’est beaucoup plus de travail, mais au moins, si les choses tournent mal, je n’ai que moi-même à blâmer. De plus, je n’aurai plus jamais besoin de porter des shorts en spandex rouge?! »

Elle choisit ses occasions de tournée avec soin, maintenant, expliquant qu’il « serait impossible, avec une jeune famille, de partir en tournée comme je le faisais auparavant. Minimiser le temps où je suis absente et maximiser mon impact est l’approche que j’ai choisie. Jouer “Whatcha do to my Body” 25 fois par an, c’est amusant. La jouer 250 fois, non. »

Lorsqu’elle repense à sa carrière bien remplie, Lee Aaron dit « J’ai fait des choix qui n’étaient pas motivés par l’argent et qui étaient les bons choix pour moi. La vraie récompense est de créer une œuvre musicale qui touche les gens. »

Ron Hawkins

Ron Hawkins

Photo: Bob Ciolfi

Le troubadour indie-rock torontois Ron Hawkins est un fier « lifer ». Lors d’un récent spectacle solo, il a déclaré « je n’ai pas eu un vrai emploi depuis 1990. » Depuis, il a joui d’une carrière très productive, d’abord au sein de The Lowest of the Low (LOTL) où il était le principal auteur-compositeur, puis comme leader du groupe The Rusty Nails. LOTL s’est depuis reformé et il joue également au sein du groupe The Do Good Assassins en plus de sa carrière solo.

« Avoir trois groupes en même temps me garde occupé », explique Hawkins. « Mon agent croit que je pourrais être plus connu si je m’éparpillais un peu moins, mais l’important pour moi est de demeurer intéressé. Je suis certainement choyé d’avoir une vie où je crée une chanson et je peux me poser la question “pour qui sera celle-là??”. »

Son album solo Spit Sputter and Sparkle lancé récemment est son 15e depuis le lancement du Shakespeare My Butt de LOTL en 1991. Il joue la majorité des instruments sur cet album qu’il a principalement enregistré chez lui, une façon de travailler qu’il trouve libératrice.

« Je peux le faire, maintenant, car cette technologie n’existait pas il y a 20 ans. Dans les débuts des Low, j’écrivais des chansons à la guitare acoustique assis sur mon lit dans ma petite chambre très punk rock. Je peux désormais produire des démos de très haute qualité, ça devient donc un cycle très excitant. Plus on en fait, plus on veut en faire. »

« C’est vraiment stimulant de pouvoir accorder autant de temps et d’énergie que l’on veut sans se soucier de l’heure pour ensuite se rendre au studio [haut de gamme] Revolution Recording pour ajouter une piste de batterie qui bénéficie de 75?000 $ de microphones pour la capter. »

Hawkins a également beaucoup gagné en savoir et en sagesse tout au long de son périple. Une chose qu’il ne refera pas, c’est l’intense horaire de tournée que s’imposait LTOL au plus fort de sa popularité. « Jamais je ne pourrais refaire cela », affirme l’artiste. « À l’époque, et c’était en partie une solution autant qu’un problème, nous étions constamment saouls et gelés. On en perdait de grands pans. Maintenant, je suis très, très conscient du temps qui passe. »

Il poursuit : « Je suis très à l’aise avec le fait que mon auditoire est un dixième de celui des Low. Je me rends compte aujourd’hui que la même chose est arrivée à mes héros comme John Lennon et Joe Strummer. »

Dans son cas, c’est la satisfaction créative personnelle qu’il retire de son travail qui lui donne l’énergie de continuer. « D’abord et avant tout, il faut que vous vous amusiez vous-même », croit-il. « C’est ce qui rend ce métier plus facile que la plupart des carrières des gens autour de vous. »



C’est à Londres que Paroles & Musique a rejoint Cristobal Tapia de Veer. Compositeur canadien d’origine chilienne, l’homme y a trouvé depuis 2012 un terrain de jeu pour ses musiques sur image. « C’est vrai que je pourrais tout faire de mon studio à Montréal. La nouvelle génération accepte de travailler via Skype. Et je le fais aussi, surtout à la fin d’un projet. Mais pour dire vrai, j’aime au début rencontrer l’équipe pour comprendre la direction d’une série ou d’un film. Je cerne mieux aussi l’énergie des gens avec qui je travaille. »

Cristobal Tapia de VeerDepuis un mois et demi, Cristo est actuellement à la composition de pistes musicales pour la série anglaise National Treasure (Channel 4) réalisé par Marc Munden, l’homme derrière la série culte, Utopia. Tapia de Veer et Munden en sont à leur troisième collaboration incluant Utopia et The Crimsom Petal and the White, série historique qui a initié leur rencontre professionnelle. « Ce fut une chance de rencontrer Munden. Grâce à lui, à sa notoriété, j’ai pu embrasser des projets intéressants. »

Bien que Cristo Tapia de Veer ait étudié au Conservatoire du Québec en musique classique, spécialisation percussion, ses premiers pas professionnels se trouvaient déjà à mille lieues de cet univers. Cristo a collaboré à One Ton, trio de pop électronique nommé aux Junos et signé sur Warner Music, qui a obtenu un certain succès. Mais l’homme réalise rapidement les limites d’un univers musical trop circonscrit. Il se lance dans un projet solo, The Spider in Charlie’s Box, qu’il compose dans sa chambre à coucher. De ce geste germe une envie, celle d’écrire sans contrainte de la musique pour le cinéma et la télévision. Son vœu se réalise. L’album servira de carte de visite auprès de différents réalisateurs et le présente comme  un compositeur singulier qui ne suit pas les règles habituelles. « Je ne connais pas les règles des compositeurs de musique pour images. Et c’est franchement par hasard que je suis ici. »

Au Québec, Cristo est particulièrement connu pour les très belles pistes sonores de la série télé Série noire, lauréat de deux prix Gémeaux en 2015 pour la bande sonore, et détenteur d’une nouvelle nomination en 2016. C’est en enregistrant le groupe de Jean-François Rivard, réalisateur de Série noire, dans un studio montréalais que les deux hommes font connaissance. Rivard recontacte Tapia de Veer pour asseoir les ambiances sonores de Série noire. La commande est, dès lors, très claire. « Rivard m’a orienté vers les trames sonores des films d’horreur des années 80, particulièrement celles de John Carpenter qui composait ses propres musiques. J’ai donc beaucoup joué avec les synthétiseurs tout en gardant un regard minimaliste. »

« J’ai composé pour la série Humans qui a connu un énorme succès en Angleterre, 7 millions de spectateurs par soir. Mais j’ai refusé de signer la deuxième saison. Je ne voulais pas me répéter. »

Quand on demande à Cristobal Tapia de Veer de circonscrire son style musical comme compositeur, l’homme réfléchit et se lance dans une explication qui met en lumière son approche hors des conventions du métier. « J’aime concevoir la musique de film ou d’une série comme un personnage en soi. Habituellement, la musique sur image doit être relativement transparente. Elle est une aide au rythme et au drame. Mais moi, je ne perçois pas son rôle de cette façon-là. J’aime musicalement prendre plus de place et apporter un caractère défini à la musique. J’aime proposer un contrepoint à l’émotion véhiculée par une scène. »

« Dans Utopia, il y avait des scènes avec des tueurs. Parallèlement, nous voulions révéler leur enfance, leur manque de famille, qui les ont amenés là, chose qui n’était pas révélée à l’écran. Sur une scène de meurtre, on a alors placé une musique enfantine. C’était beaucoup plus touchant et plus perturbant. » Cristo aime aussi inventer des sonorités, des sons qu’il utilise ensuite dans ses trames musicales. Il évite donc les sons prédéterminés des synthétiseurs et ordinateurs afin de créer de nouvelles textures. La source est diverse, des sons d’animaux à ceux des environnements urbains, récoltés ici et là, par son échantillonneur.

L’homme qui prévoit un retour cet été à Montréal perçoit la planète comme son terrain de jeu. Il travaille aussi à Los Angeles pour deux séries, dont l’une diffusée sur BBC America. Le film de science-fiction britannique The Girl with All the Gifts, dont Cristo réalise la bande sonore, sera présenté en septembre sur grand écran. Malgré ses ambitions, Cristo aime se rappeler les lignes directrices qui l’influencent comme musicien. « Ce que je cherche avant tout, c’est de la liberté dans la création. Je ne veux pas composer à Los Angeles parce que c’est Los Angeles. J’ai composé pour la série Humans qui a connu un énorme succès en Angleterre, 7 millions de spectateurs par soir. Mais j’ai refusé de signer la deuxième saison. Je ne voulais pas me répéter. Pour moi, c’est sacré d’opter pour des contrats qui me gardent dans une grande disposition créative, qui offrent l’innovation. Je ne suis pas ici pour être sur le pilote automatique. »