Nous poursuivons notre série d’entretiens portant sur ces mariages heureux du mystère de la création que l’on appelle… les duos d’auteurs et compositeurs. Cette semaine, notre duo est un couple, Jorane et Éloi Painchaud, qui connait un automne chargé, notamment grâce à la parution de sa bande originale du film La guerre des tuques 3D.

Notre conversation se fait par écrans interposés, eux dans leur studio maison des Laurentides, nous depuis la métropole. Jorane : « On n’est pas encore très ferrés en entrevues de couples… » Assis à ses côtés, son conjoint Éloi, auteur, compositeur et réalisateur, esquisse un sourire en écoutant sa blonde.

Jorane, Éloi PainchaudAinsi, notre duo connait un automne faste, d’abord au rayon des distinctions. Il y a quelques semaines, Jorane a remporté le Félix de l’Album de l’année – Instrumental pour Mélopée. Son deuxième Félix en carrière, mais c’était « la première fois que j’avais l’honneur de monter sur scène pour aller chercher le prix. Je n’avais pu assister au gala la première fois, et on ne me l’avait jamais rendu… »

Ajoutons à la décoration du dernier gala de l’ADISQ le prix André-Gagnon de la Fondation SPACQ pour l’ensemble de sa carrière en musique instrumentale ainsi que le prix Gaston-Roux du Théâtre du Nouveau Monde pour la musique de la pièce Le Journal d’Anne Frank qu’elle a composée, remis ces dernières semaines. Avec une telle récolte, Jorane avait de quoi fêter l’Action de grâce.

La musique de film occupe beaucoup le duo. En 2007, Jorane signait déjà la musique du long-métrage Un dimanche à Kigali, pour laquelle elle avait remporté un prix Jutra. « Jorane faisait de la musique de film avant qu’on lui demande de composer de la musique de film », note Éloi Painchaud pour caractériser la musique de sa compagne.

Ensemble, ils ont relevé le défi de mettre des notes sous les images du Louis Cyr : L’Homme le plus fort au monde de Daniel Roby (2013). Le duo signe aujourd’hui la bande originale de La guerre des tuques 3D, et on attend celle de La Chasse-Galerie : La Légende, réalisé par Jean-Philippe Duval, qui sortira sur nos écrans à Noël.

Jorane, Éloi Painchaud« Pour La guerre des tuques 3D, on nous a d’abord approchés en nous demandant d’écrire des chansons », explique Painchaud, aussitôt interrompu par Jorane : « Ça, c’est le point fort d’Éloi! » « C’est sûr, je viens de la pop, par mon travail avec Okoumé et Jonathan [son frère], poursuit-il. Donc, c’est un des angles importants de notre collaboration avec les producteurs [du film]. On avait besoin de cinq chansons maîtresses, cinq thèmes, qu’on a ensuite déclinés, tantôt de manière plus folk pour les scènes intimes, tantôt plus orchestrale pour les scènes d’action. »

Jorane et Éloi ont planché près de deux ans sur la musique de La guerre des tuques 3D. « Au début, on travaillait à partir de dessins en crayon de plomb qu’ils nous fournissaient! », raconte Jorane. Ces musiques du film d’animation ont pour fil conducteur une couleur folk typiquement québécoise qui sert en quelque sorte de second décor aux scènes du film. Ce travail n’aurait été possible sans le concours de l’arrangeur Tim Rideout (aussi de l’aventure Louis Cyr) et de Ian Kelly, qui a assuré la traduction en anglais des chansons, insiste Éloi.

Celui-ci a également hérité du rôle de réalisateur et superviseur de cette bande originale : « Il fallait aller chercher des artistes, les appeler pour les inviter à participer au projet. On a été chanceux, par exemple, de pouvoir compter sur Céline Dion. » Jorane ajoute : « Il faut dire que Céline est aussi de la génération qui a tripé sur le film original, et elle a aussi des enfants… » Et l’idée de la reprise chorale, avec Marie-Pierre Arthur, Marie-Mai, Louis-Jean Cormier et Fred Pellerin, elle vient d’où? Éloi : « On s’est longtemps demandé s’il fallait qu’on la reprenne, si on devait inviter Nathalie Simard à la refaire… Finalement, c’est Fred qui a eu le flash. Il a dit : Pourquoi on ferait pas un We Are the Tuques? »

Le processus de création de Jorane et Éloi ne se réalise pas dans un cadre précis, chaque projet amenant sa manière de collaborer. « Lorsqu’on s’est assis avec Jean-François Pouliot [réalisateur de La guerre des tuques 3D], j’ai pris beaucoup de notes. Il voulait que les chansons parlent de ci et de ça. On part de là. Des fois, Éloi passait une soirée seul en studio à chercher. Des fois, c’est chacun de son côté avec une guitare, et on met en commun. »

« Y’a pas seulement deux façons d’écrire une chanson, y’en a des milliers, abonde Éloi. Pour certaines, on travaillait en ping-pong, en s’échangeant des phrases, des idées, des mélodies. Pour d’autres, ça sort plus aisément. »

Jorane, Éloi Painchaud
Éloi considère sa compagne plus « mélodiste. Son téléphone est loadé de mélodies, lorsqu’elle en a une en tête, elle s’enregistre la fredonnant. Souvent, c’est par ça qu’on commence à travailler une chanson. » Lui, son truc, c’est de donner corps à ces mélodies, avec sa guitare, mais aussi les mots : « J’aime écrire, j’ai toujours écrit, depuis que je suis gamin. Une chanson, c’est une forme narrative très précise dans laquelle tout peut être dit. C’est vraiment un bonheur immense pour moi d’écrire des chansons. »

« L’important, c’est la passion, enchaîne Jorane. Au début [de notre relation amoureuse], on ne travaillait pas ensemble. Les premières années, on ne se pressait pas pour travailler sur le matériel que l’autre composait ou enregistrait. Par contre, on était toujours la première oreille de l’autre, on se prodiguait des conseils. Il a fallu du temps pour s’apprivoiser, sans rien brusquer. »

Pour Éloi, ce qui est particulier dans leur duo, c’est de pouvoir être là dès les premiers balbutiements d’une œuvre. « Pour moi, la première mouture d’une chanson est toujours archifragile. On s’écoute, on se conseille. Jorane foisonne tellement d’idées, elle est souvent mon ressort, elle me donne du jus, artistiquement. »

« Il faut toujours trouver le côté positif dans le travail de l’autre et le pousser dans la bonne direction », résume Jorane.

Visitez le studio maison de Jorane & Éloi Painchaud au cœur des Laurentides :