Chargée de comptes principale des éditions à la SOCAN, Huguette Langlois est un peu la mémoire de la Société et, pourrions-nous dire en boutade, c’était un peu chez elle, dans son bureau, que se rendaient travailler les employés de la branche montréalaise. Au moment de prendre une retraite méritée après quarante années de loyaux services, elle témoigne pour nous des profondes transformations vécues par le milieu de l’édition musicale depuis ses débuts dans le métier.

Huguette Langlois, SOCANÀ quelque chose malheur est bon, dit l’adage. Ainsi, la pandémie rendra peut-être plus facile le passage à la retraite pour Huguette qui, comme tous ses collègues de la SOCAN, opère en télétravail depuis déjà la première vague.

« On vit tous de petits deuils durant cette pandémie; le télétravail, l’éloignement avec les collègues, c’en est un qui fait que la « cassure » me sera peut-être moins pénible. Les membres qui passaient au bureau et que je croisais régulièrement, le contact avec l’équipe, je n’avais plus ça pendant la pandémie, mais sincèrement, ça m’aide à passer à autre chose », croit la spécialiste de l’édition, qui s’estime avoir été l’alliée, parfois la complice, des éditeurs avec lesquels elle a eu le bonheur de travailler : « J’avais l’impression de faire partie de leurs équipes, de travailler dans chacun de leurs bureaux, ou presque ».

« C’est sûr que le contact physique n’est pas là, mais on a pu maintenir le contact avec les membres, ce qui est d’autant plus important que la situation est tellement difficile pour toute la colonie artistique. On est heureux d’avoir pu être d’un certain soutien à nos membres; c’est difficile pour tout le monde, mais au niveau artistique, ils ont été les premiers à en pâtir, et seront les derniers à pouvoir se relever », craint Huguette.

C’est pourtant par hasard qu’elle dit être entrée dans le domaine de l’édition musicale. Jeune employée d’une institution bancaire, elle a eu vent d’un poste ouvert auprès d’un éditeur, « mais je ne connaissais rien – je ne savais même pas que le droit d’auteur existait! J’ai passé trois mois à brailler en me disant: Qu’est-ce que j’ai fait ? Je ne comprends rien ! » Au bout de ces trois mois, elle a fini par se laisser happer par les rouages de cette industrie qui la fascinait.

En 1981, Huguette Langlois a accepté un poste à la CAPAC (Association des compositeurs, auteurs et éditeurs du Canada Ltée), société établie au Canada en 1925 par la Performing Rights Society britannique (sous l’appellation Canadian Performing Rights Society) et qui, avec le temps, s’était positionnée comme un des leaders de l’édition musicale au Canada. Huguette a donc été témoin de la fusion, en 1990, de la CAPAC et d’un de ses concurrents, la Performing Rights Organization of Canada (PROCAN); de cette fusion est née la SOCAN, « une fusion qui n’a pas été facile à faire, mais qui fut heureuse, non seulement pour les créateurs, mais aussi pour les utilisateurs de musique. »

L’une des plus importantes transformations que le métier a subies pendant les quatre décennies de son mandat touche à la perception du rôle de l’éditeur de la part des créateurs, suggère Huguette : durant ses premières années auprès de la CAPAC, « je me suis rendu compte que ce n’était pas toujours bien vu, un éditeur. […] Il arrivait que [les auteurs-compositeurs] signaient parce qu’il fallait qu’ils signent, sans vraiment avoir pris connaissance de l’entente – certains signaient à vie, parfois sans obligations [de la part de l’éditeur]. »

Huguette Langlois, SOCANSelon la chargée de compte, la fondation de l’Association des professionnels de l’édition musicale (APEM) en 2002 a grandement contribué à donner des lettres de noblesse au métier. De plus, « l’APEM s’est donné le mandat de faire de la formation, ce qui a permis au métier d’évoluer ». Huguette Langlois a elle-même partagé son expertise dans le cadre d’ateliers sur le métier d’éditeur, insistant sur le fait que la formation doit être continue « puisque c’est un métier en constante évolution. L’industrie change tellement, le métier d’éditeur doit aussi se mettre au diapason. »

Car selon elle, si le métier d’éditeur est une spécialisation dans l’industrie musicale, « il ne doit pas seulement s’occuper des droits d’auteurs. L’éditeur doit être au courant de tout ce qui se passe dans cette industrie pour être en mesure de répondre à toutes les questions » soulevées par les créateurs. « Un auteur-compositeur doit créer; il aura donc besoin de s’entourer d’une équipe. C’est possible de trouver un éditeur en lequel le créateur aura confiance, et la confiance de pouvoir l’emmener plus loin » en sachant judicieusement exploiter les œuvres.

Huguette Langlois quitte la SOCAN avec le sentiment du devoir accompli, avec la fierté aussi d’avoir construit une relation de confiance avec les éditeurs de musique, mais « je trouve ça un peu dommage de partir à ce moment-ci. C’est sûr que le milieu de l’édition musicale a grandement évolué ces quarante dernières années, mais il va tellement évoluer encore plus vite [dans les prochaines années], les combats [que devront mener les éditeurs] seront encore plus grands » en raison du réalignement de l’industrie de la musique autour de l’axe numérique.

« Nos éditeurs ont confiance en l’avenir, ils se battent, ils se joignent à des coalitions qui incluent toutes les parties prenantes de l’écosystème musical québécois, alors qu’avant, c’était plutôt chacun pour soi. Aujourd’hui, tout le monde a compris que c’est en s’unissant qu’on arrivera à faire changer les lois et rendre les tarifs plus justes pour les créateurs. »

Bonne retraite, Huguette!