À travers les audacieux mélanges musicaux de No Wanga 2, le chanteur d’origine haïtienne Fwonte désire rassembler et faire cohabiter les cultures du monde.

De pair avec son réalisateur et fidèle « grand manitou » Vincent Letelier (alias Freeworm), qui a donné un son uniforme à ce riche alliage de hip-hop, d’électro, de kompa, de rara et d’influences diverses provenant autant de la musique malienne que moyen-orientale, le Montréalais soutient un propos idéaliste célébrant la force de la mixité sociale.

Fwonte« Quand j’ai amorcé l’écriture du EP, il y avait tous ces migrants qui arrivaient en Europe et en Amérique du Nord, et j’entendais beaucoup de personnes se demander si toute cette vague de nouveaux arrivants allait causer des problèmes dans la société. Pour leur répondre, j’ai voulu intégrer des styles musicaux de tous les continents dans ma musique. Je voulais prouver que, si des genres aussi hétéroclites pouvaient cohabiter naturellement dans une même chanson, les humains aussi en étaient capables. »

Optimiste sans être naïf, le chanteur créole s’adonne aussi à des critiques plus directes. Sur Ansamn, composée par le renommé DJ et producteur haïtien Gardy Girault, il évoque le manque de solidarité qu’il a perçu lors d’un récent séjour dans son pays natal. « J’ai vu comment les gens vivaient pour eux-mêmes, comment ils essayaient de s’en sortir en s’occupant uniquement de leurs affaires, sans penser à la communauté, réprouve-t-il. Selon moi, la seule façon de sortir le pays du chaos, c’est que tout le monde se mette ensemble pour faire avancer les choses. »

Surtout, Fwonte insiste sur l’importance du travail, de la persévérance, du cœur à l’ouvrage. L’adage No Wanga est traversé par ces valeurs. « Dans le vaudou, le wanga, c’est le sacrifice que le prêtre fait afin que tu atteignes un but précis. Ça peut, par exemple, prendre la forme d’une prière ou d’un parfum spécial qui met en transe les gens autour de toi, explique-t-il. Le message que je veux lancer aux jeunes, c’est que le plus important, c’est pas le wanga, mais bien le travail. Aide-toi et le ciel t’aidera… Ne fais pas le wanga en pensant que c’est ce qui va t’amener du succès. »

Initié à la musique vaudou par sa famille maternelle, Fwonte a été élevé par sa grand-mère paternelle après la disparition soudaine de ses parents, alors qu’il n’avait que trois ans. « C’est elle qui m’a initié au kompa et aux chants évangéliques. Toutes ces musiques-là m’habitaient encore quand j’ai commencé à écouter du hip-hop à l’adolescence, se souvient-il. L’art m’a rapidement interpellé dans la vie, et ça soulevait des inquiétudes chez mes oncles et mes tantes de Floride qui finançaient mes études. Ils voulaient que j’arrête tout ça et que je choisisse une autre voie professionnelle, mais ma grand-mère me disait de ne pas les écouter et de faire ce que j’aime. »

« J’ai préféré la vibe de Montréal. »

Alors qu’il occupe un poste de designer graphique au tournant de la décennie actuelle, l’artiste choisit de faire le grand saut dans la musique. Pour ce faire, il prend la décision de déménager à Montréal, là où la famille de sa copine habite. « Je voulais lancer ma carrière et j’hésitais entre m’installer ici ou bien en Floride. En comparant les deux, j’ai préféré la vibe de Montréal. Dans les soirées de musique haïtienne en Floride, c’était uniquement ma communauté qui était là, comme à Port-au-Prince. À Montréal, la culture était plus inclusive, et j’appréciais déjà certains artistes de la scène comme Luck Mervil ou Muzion. »

À peine un mois après son arrivée, l’artiste participe à un spectacle-bénéfice pour Haïti, alors mis à mal par un tragique tremblement de terre. Ce soir-là, au défunt Club Lambi, il rencontre son futur complice musical Vincent Letelier, avec qui il enregistrera ensuite l’essentiel du premier EP Men mwen. Évoluant alors sous le nom Mr. Ok, le rappeur ne met pas de temps à s’imposer comme une révélation de la scène world 2.0 montréalaise, notamment en se rapprochant de deux de ses principaux représentants : Boogat et Poirier.

Sept ans après cette intégration presque instantanée, Fwonte est plus que satisfait de son évolution musicale au Québec. « Si j’ai fait une chose de bien dans la vie, c’est bien de venir ici », juge-t-il.

Malgré tout, un mal du pays l’envahit parfois, comme il le dévoile sur la mélancolique Chagren, et la touchante Grann, un hommage très personnel à sa grand-mère qui lui provoque encore des bouleversements émotifs. « La première fois que je l’ai chantée sur scène, j’ai pleuré… Ça ne m’était jamais arrivé avant, mais l’émotion est venue me chercher jusqu’au motton, confie-t-il. Quand j’étais plus petit, ma grand-mère était toujours un peu anxieuse pour mon futur, et là, j’ai simplement voulu lui dire qu’elle n’avait plus à s’en faire, que j’avais maintenant une carrière, une famille et que, tout ce qui me manquait, au fond, c’était elle… »